Focus spectacles IN, Festival international du théâtre de rue Éclat, Reportage, Aurillac

Aurillac en quête de liens nouveaux

Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

L’ouverture du festival international du théâtre de rue, placé sous le signe de la lutte et du Brésil, annonçait de belles heures revendicatives et méditatives. Le IN de cette 38édition nous a offert des spectacles bucoliques, survoltés, cinématographiques… parfois peu soucieux des enjeux hors les murs.

Cette année encore, Aurillac n’a pas failli à sa réputation rebelle et engagée. Lors de la cérémonie de remise des clés de la ville aux artistes, pastèque et drapeau palestinien ont surgi. Au milieu des traditionnels fumigènes et d’une pluie de ballons colorés, l’éloge des saxifrages qui percent le béton a teinté l’atmosphère d’une détermination bienveillante. Moins tapageuse qu’à l’accoutumée, cette fête de lancement a pris le temps de maîtriser les peurs – le maire en équilibre sur une échelle – et s’est clos sur une déambulation végétale de Marina Guzzo qui s’immisçait tout en douceur dans la foule.

« Cérémonie d’ouverture », Marina Guzzo © Stéphanie Ruffier

Que nous racontait, cette année, le festival sur l’état du monde et de l’art ? D’abord, il nous faut évacuer la consternante couverture de la presse nationale : non, Aurillac ne fut pas le théâtre d’une « guérilla urbaine » mais d’une poignée de poubelles incendiées, de vitrines brisées auxquelles répondirent des gazages lacrymos étatiques. Si la 38édition fut marquée par ces quelques affrontements violents entre une bande organisée (fafs ou anarchistes, impossible à démêler) et les CRS lors de la première nuit, le climat lors des jours qui suivirent fut serein. Le directeur Frédéric Remy soutenu par la municipalité a su tenir le cap pour qu’artistes et publics se rencontrent.

Quid du lien au public ?

Mises à l’honneur, les propositions du Brésil ont parfois déçu. L’insolite Bosque de Clarice Lima offre de prime abord une image saisissante : femmes sans tête, jambes-branches dressées sur un socle de robes en corolles ondulant dans la légère brise. Au-delà de la contemplation méditative d’une forêt éco-féministe (qui aurait nécessité une vision davantage en plongée pour savourer la floraison de couleurs sur le bitume), on pourrait s’inquiéter des corps successivement étendus au sol. Mais la performance choisit de ne pas sur-imprimer de discours politique. Elle reste à l’état d’énigmatique rêverie surréaliste. Silencieuse.

« Bosque », Clarice Lima © Vincent Muteau

Zona Franca d’Alice Ripoll et sa Compagnie Suave fait preuve d’une énergie viscérale, soit. À minuit, sur un dance-floor où la lumière magnifie ballons et paillettes, des danses aux genres éclectiques et des mises à nu explosives se succèdent. Liberté ! Dommage, la création sonore n’est pas à la hauteur pour une grande place et le public assez peu pris en compte. Shampoo, présenté dans la salle du Parapluie, est aussi admirablement éclairé. Renato Linhares enchaîne des tours de pistes réjouis en patins à roulettes. Ses saisissantes abstractions gonflées nous rappellent le foehn de Phia Ménard. Il faut s’accrocher aux signes ambigus d’une douche d’images oniriques, aériennes ou grinçantes, qui bandent et débandent. Entre la liberté créative de l’enfant dans son bain… et le plaisir de frictions plus sexuelles. Déroutant dans sa répétitivité malgré quelques magnifiques surgissements de formes.

En adresse directe à la rue

Fábio Osório Monteiro choisit, quant à lui, de dialoguer de plein pied avec le public, accompagné d’une interprète en langue des signes. Personnage sympathique qui envisage la confection d’acajarés comme geste politique, il raconte son cheminement avec bonhommie. La cuisine de ces beignets frits à même le trottoir lui permet d’endosser un costume traditionnel féminin et de trouver sa place. Bola de fogo revendique l’identité noire et homosexuelle dans un dialogue d’une grande simplicité, avec nous, comme avec son père. Toutefois, la mise en scène soutient le récit de façon trop ténue.

« Quando Quebra », Queima coletivA Ocupação © Vincent Muteau

Quando Quebra Queima de la ColectivA Ocupaçao a pour atout le nombre et une joie communicative. Re-convoquant l’occupation des écoles de Sao Paulo, cette performance politique est irriguée par la sève adolescente de la révolte lycéenne. Reposant sur la variété des corps, des personnalités et la mémoire des luttes, cette « mobilisation mode d’emploi » propose une véritable prise d’espace dans la cour d’un établissement scolaire. D’apparence foutraque et improvisée, comme toute action horizontale, la forme contestataire résonne fort avec l’actualité d’Aurillac et l’horizon du 10 septembre. La traduction, la bande-son et les adresses franches tissent du lien avec le public. Photos, slogans appelant au sabotage, courses enflammées… Revigorant ! Enfin une prise de rue où l’art se fait arme de combat. Et un mouvement social victorieux. Ami·e·s soudé·e·s, iels en témoignent.

Occuper la rue autrement

Sur le pavé, cette année, on retrouve un routard de la rue, inclassable Sébastien Barrier. « clown (qui) ne plaisante jamais ». Son come-back après une assez longue pause mise toujours sur la parole improvisée. Lors du premier jour de représentation de Nous camperons ici, il semble plutôt empêtré dans des problématiques de mâle vieillissant en peine avec les nouvelles sensibilités de ce monde. Après une convaincante installation, s’ensuit un tour de chant. Parfois touchant. Une certaine agressivité vis-à-vis de quelques spectateurs a, paraît-il, été corrigée les jours suivants.

« L’Enfance majeure », Julien Fournet © Vincent Muteau

Rajeunir ? Julien Fournet promettait quant à lui, dans L’Enfance majeure, de nous faire retrouver un peu de légèreté en retrouvant une âme juvénile. À l’accueil du public, une séduisante ambiance ludique laisse supposer une dynamique foraine. On bouge, on s’amuse, on rencontre les autres. Hélas, les jeux se transforment en escape game au rythme distendu, au discours un brin ésotérique qui flirte avec le développement personnel. Quel est le but de ce rituel mené par une fée et des gourous en blanc ? On ne sait. Casser une muraille qui entrave la rue, mais pour aller où ? Les enfants s’y perdent un peu aussi. Sauf au final qui réinjecte du plaisir régressif.

Effet-spécistes, vaguistes et archipelteurs

Pour vivre une expérience plus enchanteresse, il fallait grimper jusqu’au parking du château Saint-Étienne. La jeune compagnie Espèces d’espaces, nouvellement arrivée dans les arts de la rue, y déployait un plateau de tournage. Avec quelques bâches, accessoires, trois bagnoles, un écran, une caméra et une régie technique, ils mettent en place des prises de vue en direct. Un univers inventif qu’on dirait tout droit sorti du film déjanté de Michel Gondry Soyez sympas, rembobinez. Des complices dans le public sont invités à participer à En attendant la vague, dystopie post-apo sous les eaux, à la recherche d’une mémoire engloutie. La magie du cinéma se matérialise sous nos yeux.

« En Attendant La Vague », Espèces d’Espaces © Stéphanie Ruffier

Les effets spéciaux artisanaux sont bluffants, les amateurs jouent le jeu avec maestria. La scène d’ouverture vogue sur un registre potache, tandis que celle de d’exil, figée, insuffle un déchirement dramatique. On reconnaît la patte de Pascal Rome, amoureux du vrai-faux et de la bricole. Alors oui, ça patine un peu quand le 4e dispositif se met en place et que se répètent les accrocs techniques, mais la féérie visuelle, l’histoire engagée qui tient le cap et Pippo (!) le metteur en scène à fort accent italien font joliment le job. Une inventivité qui donne envie de « suéder ».

Aller jouer dehors

Pour voir de l’in situ qui sache jouer avec les volumes, la hauteur, les lignes de fuite, le cadre urbain ou rural comme avec les spectateurices, il fallait aller voir du côté des compagnies qui ont un savoir-faire « rue » de longue date, tels Les Arts Oseurs, Transe Express ou Jeanne Simone. Trois spectacles qui misent sur le mouvement.

En revanche, la proposition de Milo Rau, génie du théâtre en salle, maître de la violence comme de la porosité entre fiction et réalité, n’a guère de pertinence au milieu d’un champ. Si les vaches galopant derrière le plateau font un vague écho au cadre champêtre de Tchekhov, la Lettre aurait tout aussi bien pu jouer entre quatre murs. La trame originale qui mêle veine documentaire et méta-théâtralité vaut en revanche le détour. Dans une fluidité étonnante, des extraits de la Mouette, pièce chère à la grand-mère du flamand Arne De Tremerie, rencontrent l’attrait d’Olga Mouak pour la figure de Jeanne d’Arc. Leur excellente interprétation fouraille dans l’identité, visite la famille, les morts, déchire le réel. Précision et stupeur. Radical !

« L’Urgence », Mathilde Delahaye © Stéphanie Ruffier

L’Urgence deMathilde Delahaye (TNI) investit avec passion le lieu qui lui est confié. Le haras national devient quasi instantanément un hôpital battu par les vents de la déliquescence du service public. La présence puissante de la comédienne Majda Abdelmalek y injecte une réflexion sur la relation toxique que la France impose aux personnes issues de l’immigration. Dressée dans un cercle de lumière, elle arbore un tee-shirt « pur-sang arabe » et un bras ceint de bracelets en plastique, témoins des hospitalisations passées. Sa langue sonne fort, comme le téléphone des urgences, sur fond de fulgurances visuelles. On assiste à un rituel de passage tragi-comique où se mêlent les figures du bouffon, de Diogène et de Charon. Un suicide-sauvetage impérieux. Le théâtre prend la mort avec les dents.

Stéphanie Ruffier


Bosque, de Clarice Lima
Compte instagram de la chorégraphe
Dramaturge : Catarina Saraiva
Assistante mouvement et interprètes : Aline Bonamin, Nina Fajdiga
Jupes : Onono / Ademar Ferrera, Wilson Ranieri, Sirlei Ferreira, Elizabete Vasconcelos
Durée : 30 min
Tout public
Tournée :
• Le 28 septembre, en partenariat avec la Manufacture, à St-Médard-en-Jalles (33)

Zona Franca, d’Alice Ripoll
Compte Instragram de la Cie Suave
Avec : Gabriel Tiobil, GB Dançarino Brabo, Katiany Correia, Maylla Eassy, Romulo Galvão, Romec, DG Fabulloso, Tamires Costa, Idayá Oliver
Assistants à la création : Alan Ferreira et Thais Peixoto
Lumière : Tomás Ribas et Diana Joels
Décor et costumes : Raphael Elias
Assistante costumière et couturière : Gabriel Alves
Son : Alice Ripoll, Alan Ferreira et DJ Seduty
Montage sonore : DJ Seduty
Technicien du son et répétiteur : Renato Linhares
Technicienne lumière en tournée : Tainã Miranda
Durée : 1 heure
Dès 14 ans

Bola de Fogo, cie Espèces d’Espaces
Page de la compagnie
Mise en scène et performance : Fábio Osório Monteiro
Performance en langue des signes brésilienne (Libras) : Cintia Santos
Codirection : Leonardo França
Producteur associé et assistant à la mise en scène : Gabriel Pedreira
Collaboration artistique : Natália Valério et Thiago Almasy
Régie : Melk Marques
Cheffe de cuisine affective et soutien logistique (Europe) : Ana Sales
Durée : 1 h 40 (performance et dégustation)
Tout public

Shampoo, de Renato Linhares
Page de la compagnie
En dialogue avec : Paula Diogo
Musique : Ricardo Dias Gomes
Création lumière : Wilma Moutinho
Costumes : Paula Ströher
Soutiens à la création : Alice Ripoll, Cristina Moura
Soutiens à la dramaturgie : Alex Cassal et Caroline Maria
Durée : 50 min
Dès 12 ans

Quando Quebra Queima, de la ColectivA Ocupaçao
Page Instagram du collectif
Direction : Martha Kiss Perrone
Performance et création : Abraão Kimberley, Alicia Esteves, Alvim Silva, Benedito Beatriz, DJ Shaolin, Letícia Karen, Lilith Cristina, Marcéu Maria Fernandes, Matheus Maciel, PH Veríssima
Traduction : Julien Vieille
Collaboration à la traduction : Elise Harvard, dite Duelos Dramaturgie : coletivA ocupação
Création lumière : Alessandra Domingues, Benedito Beatriz
Son et performance live : DJ Shaolin
Opération vidéo et photographie : Alicia Esteves
Assistant à la mise en scène, régie et lumière : Jaya Batista
Costume Design : Lu Mugayar, Gabriela Cherubini, coletivA ocupação
Collaboration musicale : Fronte Violeta
Durée : 1 h 20
Tout public

Nous camperons ici, de Sébastien Barrier
Site du Bureau des Paroles
Paroles et musiques : Sébastien Barrier
Collaboration artistique et technique : Félix Mirabel et Jules Tremoy
Son et régie générale : Félix Mirabel
Ingénieuseries : Matthieu Bony
Durée : 1 h 15
Tout public
Tournée :
• Du 24 au 27 septembre, aux Quinconces, au Mans (72)
• Les 22 et 23 mai 2026, à l’Agora Pôle National du Cirque, à Boulazac (24)
• Du 12 au 14 juin, Mixt, à Nantes (44)

L’Enfance majeure, de Julien Fournet
Site de L’Amicale
Conception, écriture et mise en scène : Julien Fournet
Avec : Joey Elmaleh (comédien·n·e), Emma Harder (danseuse), Lucie Yerlès (circassienne), Marc-Alexandre Gourreau (créateur sonore), Timea Lador (danseuse)
Coordination de la médiation et collaboratrice artistique : Emmanuelle Nizou
Scénographe : Arnaud Verley
Compositeur : Esteban Fernandez
Créatrices costumes : Camille Lamy et Sara Daniel
Collaboratrices sur la Plaine de jour : Emma Harder, Lucie Yerlès
Durée : 1 h 20
Tout public à partir de 6 ans
Tournée :
• Le 12 octobre, dans le cadre du festival Les Tombées de la nuit, à Rennes (35)
• Le 25 avril 2026, Scène Nationale Carré-Colonnes, à Saint Médard (33)
• Les 24 et 25 juin, Halles de Schaerbeek (Belgique)

En attendant la vague, cie Espèces d’Espaces
Site de la compagnie
Direction artistique : Espèces d’Espaces
Avec : Jean-Marc Besenval, Florentin Guesdon, Zoé Jarry, Florence Gerondeau, Axel de Bruyn
Regards extérieurs : Pascal Rome (Opus), Angélique Orvain et Pierre Bedouet (Mash Up)
Durée : 1 h 15
Tout public
Tournée :
• Les 27 et 28 août, dans le cadre du festival Les Rias, à Quimperlé (29)

La Lettre, de Milo Rau
Texte : Milo Rau et l’équipe
Mise en scène : Milo Rau
Avec : Arne De Tremerie, Olga Mouak
Et les voix de : Anne Alvaro, Isabelle Huppert, Jocelyne Monier et Marijke Pinoy
Dramaturgie : Giacomo Bisordi
Assistanat à la mise en scène : Giacomo Bisordi, Edward Fortes
Scénographie, son, lumière, costumes et accessoires : Milo Rau et Giacomo Bisordi
Assistanat costumes et accessoires : Julie Louvain
Durée : 1 h 15
Dès 10 ans

TNI, de Mathilde Delahaye
Site de la compagnie
Texte et mise en scène : Mathilde Delahaye
Avec : Majda Abdelmalek
Lumière : Sebian Falk-Lemarchand Durée : 1 h 10
Tout publicSpectacles vus dans le cadre du Festival international du Théâtre de Rue Éclat • Dans les rues de la ville / CNAREP Le Parapluie • 15000 Aurillac
Du 20 au 22 août 2025
Gratuit
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Focus OFF au festival d’Aurillac 2025, reportage de Stéphanie Ruffier
Focus IN à Chalon dans la rue 2025, reportage de Stéphanie Ruffier

Photo de une : « Quando Quebra », Queima coletivA Ocupação ©Vincent Muteau

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