La tentation de la mort
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour son deuxième solo après « Seuls », Wajdi Mouawad retrouve ses obsessions, mais aussi une virtuosité technique qui lui permet de naviguer à l’intérieur de ses identités multiples. « Inflammation du verbe vivre » emmène son double, Wahid, et les spectateurs, dans une émouvante traversée des enfers.
Quand la pièce débute, nous sommes dans la salle de répétition d’un théâtre. L’équipe de création demande au metteur en scène Wajdi une direction, une intention pour continuer le travail. Il s’agit de monter Philoctète d’Eschyle. Malheureusement, le traducteur Robert Davreu est mort brutalement avant d’avoir terminé la traduction et Wajdi n’a plus de désir pour cette pièce. Il veut tout abandonner, mais le spectacle est déjà programmé, attendu…
Wajdi va donc passer de l’autre côté du miroir. Il entame une succession de passages d’un côté et de l’autre du rideau de scène, constitué de quantité de lames verticales. Autant d’aller-retours entre la vie et la mort. Ainsi va-t-il pouvoir apparaître ou disparaître, changer de personnage, devenir Wahid, emprunter la barque d’Hadès et traverser l’Achéron, arpenter les ruines du Parthénon… Parti chercher des réponses auprès des morts et des dieux, il ne rencontre que de pauvres vieux incapables de comprendre le monde dans lequel ils vivent, une Grèce mise à genoux par l’Europe qu’ils ont pourtant inventée.
Au cœur du désir
La pièce pose clairement la question du désir, moteur de la vie. Elle se construit comme le parcours en apnée d’un homme pressé de comprendre, qui ne se résout pas à abandonner ses semblables pour lesquels il éprouve une tendresse profonde. C’est d’ailleurs par le secours d’un pauvre pêcheur qu’il reviendra à la vie. Heureux soient les humbles… ceux qui éprouvent de la compassion.
Dans ce spectacle éminemment personnel, Wajdi Mouawad partage son regard sans complaisance sur un monde déshumanisé qui laisse bien peu de perspective à la jeunesse, tout en conservant un humour et une distance incisifs, qu’il s’applique d’abord à lui-même. Comme dans tous ses spectacles, il mêle intimement touches autobiographiques – les photos de ses deux enfants lui servent de viatique –, révolte politique, empathie pour les misérables, amour de la jeunesse. Chaque fois, il se livre tout entier. C’est sans doute cela qui nous touche le plus : cette fragilité et une confiance complète en son public. Car l’amour pour le théâtre, auquel il fait une très belle déclaration d’amour dans Inflammation du verbe vivre, est au cœur de son processus de création, au cœur du désir. ¶
Trina Mounier
Inflammation du verbe vivre, de Wajdi Mouawad
Texte, mise en scène et jeu : Wajdi Mouawad
Photo © Pascal Gély
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 11 au 22 juin 2019 à 20 heures, le jeudi à 19h 30, relâche dimanche et lundi
Réservations : 04 78 03 30 00
Durée : 2 h 15