Immense !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Solo peuplé de monstres, « John a-dreams » est mon plus gros coup de cœur de l’année. Une commande de l’immense Patrick Pineau à Serge Valletti, lequel a été bien inspiré par « Hamlet » de Shakespeare. À voir absolument !
Patrick Pineau au jeu, Serge Valletti à l’écriture, Sylvie Orcier à la mise en scène et la scénographie : ces trois-là se connaissent bien et ont longtemps accompagné Georges Lavaudant. Une amitié solide les unit, faite de confiance et de reconnaissance de leurs mutuels talents, d’un amour illimité des textes et du théâtre. Une de ces amitiés qui donnent de l’évidence à un spectacle.
Il y a une dizaine d’années, Patrick Pineau a demandé à Serge Valletti d’écrire pour lui. Ce dernier a répondu présent : John a-dreams était né. Il aura fallu dix ans à Patrick Pineau pour endosser ce texte. « J’ai envie de le voir se démener avec tous ces mots, confie Serge Valletti : qu’ils passent d’abord par son corps pour entrer dans le nôtre. Ces mots, ces phrases racontent une histoire de vengeance. »
Alors qui est John a-dreams ? Un alter ego de Hamlet, aussi velléitaire que lui, à la différence près que le personnage de Shakespeare sait qui il doit venger et pourquoi, alors que John a-dreams tente désespérément d’échapper à ce qui le pousse au meurtre, à oublier la culpabilité qui le poursuit.
Serge Valletti tricote l’histoire d’Hamlet avec la sienne propre, mettant en scène son père se démenant avec ses démons dans ce monologue hautement autobiographique. « Je voulais, en écrivant ce texte, que les spectateurs arrivent à chercher eux aussi, en eux-mêmes, ces monstres qui nous empêchent de vivre », poursuit-il. Ils y retrouveront aussi leur monologue face au miroir, les interrogations sur le temps qui passe et marque vigoureusement nos visages et nos corps, les regrets trop tardifs devant un passé qui s’obstine à revenir frapper à la porte.
Patrick Pineau au sommet de son art
Voilà ce qui rend ce texte si polysémique. Il unit un personnage mythique et une histoire intime douloureuse en fouillant nos consciences à la recherche de drames universels. Il jongle avec des mystères, jamais illustratif, il se dévoile et se dérobe dans une langue somptueuse et poétique. Pour le porter, il fallait un acteur de la trempe de Patrick Pineau, qui allie épaisseur, puissance et légèreté, une habileté au volte-face surtout : avons-nous bien entendu l’inaudible, nous qui sommes pris avec lui, l’instant d’après, d’un grand rire enfantin ? Et cette grâce incroyable quand il danse après avoir piqué une colère homérique, brutale et tonitruante, violente et dangereuse. Et cette complicité incroyable avec le public qu’il charme sans vergogne ! C’est un immense acteur.
Reste Sylvie Orcier, à la mise en scène, qui signe une scénographie extrêmement subtile et efficace, toute en transparences et en tableaux qui apparaissent pour se dissoudre aussitôt. Y avait-il quelqu’un, au fond, qui écoutait ? La succession de voiles qui créent des bribes d’histoires pour les effacer ensuite, créer l’illusion, faire ressentir l’inquiétude, est en fait d’une technicité assez prodigieuse. Il faut voir ce spectacle, un des plus beaux vus cette année, un des plus bouleversants aussi. Courez-y ! 🔴
John a-dreams, de Serge Valletti
Texte publié en octobre 2010 à l’Atalante éd.
Mise en scène : Sylvie Orcier
Avec : Patrick Pineau
Création lumière : Christian Pinaud
Musique : Jean-Philippe François
Image : Ludovic Lang
Scénographie : Sylvie Orcier
Régisseur général : Florent Fouquet
Théâtre Comédie-Odéon • 6, rue Grolée • 69002 Lyon
Du 5 au 9 juillet 2022 à 20 h 30, le dimanche 10 à 16 heures
Billetterie de la Comédie-Odéon : 04 78 82 86 30
Dans le cadre des Nuits de Fourvière, du 2 juin au 30 juillet 2022
Billetterie : 04 72 32 00 00 ou en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, par Trina Mounier
☛ Monsieur Armand dit Garrincha, par Trina Mounier
☛ L’Art de la Comédie, par Michel Dieuaide