« La Bonne Nouvelle », François Bégaudeau, Théâtre Expression 7, Limoges

La-Bonne-Nouvelle © Bernard-Lazeras

Dream team !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

De « La Bonne Nouvelle », pièce à défilé un brin coquette de François Bégaudeau, Philippe Labonne et Catherine Duverger tirent une satire colorée et ambivalente du capitalisme. Ils offrent ainsi une belle partition à une formidable équipe de comédiens : dream team !

Qui sait si François Bégaudeau excelle quand il affute ses armes de polémiste ! On est séduite par la pertinence iconoclaste dans La Bonne Nouvelle, nouvel évangile, où cinq brebis égarées du capitalisme rencontrent sur leur chemin de Damas un sauveur dénommé… Patrick. Quelle évocation percutante des amours incestueuses du froc et du fric ! Le propos est cathartique, jouissif et bien plus trouble qu’il n’y paraîtrait. Mais qui aime Bégaudeau ménage sa lecture. L’exercice de la satire est bien délicat. C’est une question de subtil dosage et à multiplier les passes d’armes, l’auteur pourrait émousser ses traits.

Voilà pour la pièce telle que parue aux Solitaires Intempestifs, mais ce qu’on découvre sur scène est heureusement différent. La réussite de la pièce réside, en effet, d’abord dans une adaptation qui tient autant de l’épure que de l’orchestration. Disparue, par exemple, la parodie un peu lourde d’émission télévisuelle. Par ailleurs, l’épineuse difficulté de la pièce à défilé – chacun vient, comme dans une cérémonie évangéliste raconter sa révélation – est traitée par la choralité.

Disons que, plutôt que de faire se succéder une série de Caractères, façon La Bruyère, la mise en scène joue sur des contrepoints, des touches de couleurs complémentaires (celles aussi des costumes, des accessoires). C’est pourquoi, là où le rire sardonique s’exténuait en surplombante misanthropie, il se teinte de tendresse. On se reconnaît davantage. Grâce à l’adaptation de Catherine Duverger et Philippe Labonne, le texte trouve ainsi sa forme. Sa force, même !

Six apôtres sans quête de gloriole

Mais si chœur il y a, c’est aussi sans doute en raison de l’entente qui règne sur le plateau. Aucun comédien ne tire la couverture à soi : l’inverse précisément de la concurrence libérale. C’est si agréable d’assister à une pièce où l’élégance de la mise en scène ne rime pas pour autant avec la mise en exergue du metteur en scène, où l’on perçoit son exigence tout en sentant son amour des comédiens.

Finalement, si par son habillage parodique, la critique proposée sur scène du capitalisme fait l’objet elle-même de suspicion, c’est la façon de faire théâtre qui propose d’autres pistes. N’est-elle pas en elle-même une politique ? La présence de gradins sur scène, le jeu de théâtre dans le théâtre interrogent sur ce point.

© Bernard Lazeras

Quoi qu’il en soit le résultat est là : impossible de distinguer un comédien. On dira qu’on est heureux de redécouvrir Jean-François Bourinet dans un rôle qui lui permet de conjuguer sa verve comique à une forme de subtilité blasée. On ajoutera que Benjamin Grenat, est emblématique d’une mise en scène qui parvient à conjuguer rire et tendresse. De Luc, il aurait pu faire un beauf. Or, il incarne un looser magnifique, un gars attendrissant, toujours un peu à côté, un peu en retard. Cela se joue dans sa partition délicate, qui fait fi de la démonstration. Et puis on se réjouit des talent burlesques d’Audrey Boudon et Paul Éguisier, dont les moments d’adresse public plus dépouillés touchent, pourtant, comme les présences vibrantes de Léa Miguel et Lauriane Baudouin.

L’avantage du doute

Le jeu transcende donc un texte, dont les traits d’esprit faisant mouche dans un certain public (celui d’Histoire de ta bêtise ?) peuvent en laisser de côté d’autres, plus jeunes ou moins directement concernés. C’est comme si on se trouvait face à une équipe de premiers violons dont la direction fait jouer les variations : de tons, de sons, quand on use (ou pas) des micros, quand la confidence prend le relais des éclats, quand les moments de chœur (en lignes, en bouquets) succèdent aux soli.

Mais la lumière de Franck Roncière isole, rassemble ou rejette dans l’obscurité. Crépuscule des idoles. Chaque spectateur repart ainsi avec son interprétation, ses interrogations : le bel avantage du doute ! 🔴

Laura Plas


La Bonne Nouvelle, de François Bégaudeau

Le texte est édité chez Les Solitaires Intempestifs
Cie Expression 7
Mise en scène, scénographie, costume : Philippe Labonne, assisté de Catherine Duverger
Avec : Lauriane Baudoin, Audrey Boudon, Jean-François Bourinet, Paul Éguisier, Benjamin Grenat, Léa Miguel
Création lumière : Franck Roncière
Durée : 1 h 40
Dès 14 ans

Théâtre Expression 7 • CCM Jean Gagnant, 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Du 20 au 22 décembre 2023
Réservations : 05 55 77 37 50 ou par mail

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