La Gaîté Lyrique en danger !
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Occupée par de jeunes migrants jusqu’en mars, La Gaîté Lyrique, établissement culturel parisien est fermé au public depuis plus de cinq mois. L’équipe a pu enfin réinvestir le lieu mi-mai. Toutefois, la structure risque de fermer définitivement. Pour sauver les 80 emplois menacés, ses salariés adressent une lettre ouverte à la Ville de Paris.
Rappel des faits
Le 10 décembre 2024, environ 200 migrants mineurs ont investi les locaux de la salle culturelle, située dans le 3e arrondissement de Paris. Les jeunes exilés, rassemblés dans le Collectif des jeunes du parc de Belleville, demandaient à être hébergés et que leur minorité soit reconnue. L’établissement a alors annoncé le report ou l’annulation de sa programmation, et donc la fermeture au public jusqu’à nouvel ordre.
La direction de La Gaîté Lyrique n’a jamais cessé d’alerter sur les dangers de la situation, dans le respect de ses valeurs humanistes. Elle estimait « être abandonnée par la Ville de Paris, propriétaire du bâtiment, et en grand danger ». Dans une tribune de Télérama fin février, plus de 300 acteurs culturels, politiques et de la société civile ont appelé les pouvoirs publics à sauver La Gaîté Lyrique en trouvant une solution adaptée et urgente de relogement pour les 400 jeunes qui l’occupaient.
Finalement, acculée par cette situation « explosive » et « indigne », sans solution après plus de 100 jours d’occupation de ses locaux et plus de 470 migrants, la direction et les salariés font valoir leur droit de retrait et quittent les lieux. Les migrants sont alors expulsés violemment, dans des conditions qualifiées de « déplorables » : « L’équipe est encore sous le choc. Plus de 400 jeunes dorment aujourd’hui dehors. Qui peut se satisfaire d’une telle situation ? Pas nous. »
L’AFP précise que, saisi par la Ville de Paris, le juge des référés du tribunal administratif avait ordonné le 13 février l’évacuation dans un délai d’un mois. La mairie avait alors indiqué qu’elle ne ferait néanmoins pas appel à la force publique, affirmant avoir lancé cette procédure afin d’inciter l’État, compétent en matière d’hébergement d’urgence, à « prendre ses responsabilités ».
Enjeux sociaux, culturels, économiques et… démocratiques
Il a fallu deux mois pour que l’équipe de La Gaîté Lyrique puisse ensuite récupérer les clés. Si malgré le chômage partiel, le dialogue de gestion a été entamé dès décembre, afin de permettre la relance de l’activité, la perte d’exploitation liée à cette fermeture est d’environ 3 millions d’euros. Bien qu’estimant n’avoir « strictement aucune responsabilité », ses salariés se sont toujours « mobilisés pour compenser et absorber une part significative de cette perte financière », notamment grâce au soutien de ses partenaires associés : Arty Farty, Arte France, makesense, SINGA et Actes Sud. Précisons que La Gaîté Lyrique réussit à s’autofinancer à près de 70 %.
La Ville de Paris semblait effectivement encline à un soutien exceptionnel afin d’accompagner cet effort. Mais les dernières annonces laissent présager du pire : « Aujourd’hui, c’est la douche froide. La Ville de Paris fait volte-face et refuse de participer au redressement économique de l’établissement ». Ce revirement menace immédiatement 80 emplois. Au-delà des menaces concrètes de fermeture, l’équipe de La Gaîté Lyrique déplore un « abandon politique et économique (qui) met en grande difficulté un projet collectif, culturel, social et d’intérêt général au moment le plus tendu et risqué de notre vie démocratique. »
Lettre ouverte des salariés : « Ville de Paris, tenez vos engagements »
157 jours. Cela fait 157 jours que la Gaîté Lyrique et nos emplois sont pris dans une crise qui nous dépasse, empêchant toute reprise d’activité et accès à notre lieu de travail.
Nous, salarié·e·s de la Gaîté Lyrique, agents de sécurité, prestataires et intermittent·e·s, avons trop longtemps gardé le silence dans l’espoir d’une résolution concertée avec la Ville de Paris et dans la confiance que le dialogue prévaudrait. Le 14 mai, en même temps que la remise des clés du bâtiment, la Ville de Paris nous a annoncé son refus d’un soutien exceptionnel, malgré les échanges sur ce sujet dès le 1er jour de l’occupation. Cet ultime signal de désengagement brutal de la part de la Ville de Paris nous oblige à prendre à nouveau la parole.
Depuis le 10 décembre 2024, pendant toute la durée de l’occupation, nous avons agi en responsabilité, et pris en charge des missions relevant des pouvoirs publics. Pourtant, le 18 mars, plus de 400 jeunes ont été expulsés sans solution de relogement adaptée. Aujourd’hui, ils sont toujours dans les rues de Paris, une évacuation violente qui a conduit à une issue désolante.
Le 17 février 2025, à l’Hôtel de Ville puis au Conseil de Paris, Madame Rolland, vous déclariez : « Nous poursuivrons le dialogue de gestion avec le concessionnaire et pourvoirons à toute forme d’indemnité si elle est nécessaire. »
Nous avons pris cet engagement au mot. Nous avons préparé la relance. Nous vous avons proposé plusieurs scénarios mobilisant tous nos partenaires. Avec la menace d’une cessation de paiement, c’est dans un silence assourdissant et un flou sur nos perspectives professionnelles que nous avons été ballotté·e·s par la Ville de Paris. De surcroît, la régie partielle a mis plus de 2 mois à être levée, rendant notre bâtiment inaccessible et sans travaux réalisés. Privée de ses équipes, ses publics, ses partenaires, ses résident·e·s, ses associations et dans l’impossibilité de générer ses ressources propres, la Gaîté Lyrique est restée figée.
Nous n’avons jamais cessé de porter les valeurs de solidarité, d’hospitalité, de justice sociale qui fondent le projet de la Gaîté Lyrique – Fabrique de l’Époque. Ce projet, vous l’avez choisi et aujourd’hui, vous reniez ces mêmes valeurs. De quoi sommes-nous coupables ? Quel est le prochain établissement culturel de la Ville de Paris qui sera abandonné par son propriétaire ? Après un désengagement social, le prochain sera-t-il culturel ?
Nous refusons de voir la Gaîté Lyrique devenir le symbole d’une crise ignorée et d’un abandon des pouvoirs publics. Nous refusons de voir nos emplois et notre mission sacrifiés par un manque de volonté politique. Nous refusons la disparition de notre institution, lieu culturel, social et de débat public.
La manière dont la Ville de Paris choisira de traiter cette crise enverra un message fort : celui d’un soutien clair aux lieux culturels engagés, ou celui d’un renoncement.
Nous appelons la Ville de Paris à revenir sur sa décision. À reconnaître l’urgence sociale, humaine et culturelle de la situation. À agir concrètement, à la hauteur de ses engagements et des valeurs qu’elle revendique.
L’équipe de La Gaîté Lyrique
La Gaîté Lyrique • 3 bis, rue Papin • 75003 Paris • Tel. : 01 84 74 49 00 • Mail
La Gaîté Lyrique, lieu culturel de la Ville de Paris, entend répondre à l’urgence culturelle, sociale, démocratique et climatique. Avec le projet Fabrique de l’époque, entre création et engagement, elle propose de nouvelles façons de créer et d’agir ensemble, tous et toutes rassemblées autour d’un concert, d’une table ronde, d’un verre, d’une performance, d’un atelier ou d’une projection.
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