Ode aux rêveurs
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
C’est une drôle d’aventure dans laquelle nous embarque, à sa manière élégante, raffinée et subtile, le metteur en scène Olivier Maurin au Théâtre de l’Élysée. Il l’a empruntée à un jeune auteur, Sylvain Prudhomme, rencontré au Le Bateau-Feu, Scène nationale de Dunkerque lors d’un festival de lectures, « Histoires en série ». Ensemble ils ont adapté « l’Affaire Furtif ».
Une nuit, Le Furtif largue les amarres et s’enfuit, tous feux éteints, du port de Lisbonne. La fuite est si grossièrement cachée, qu’elle alerte la capitainerie et que ce bateau se trouve rapidement pourchassé par des vedettes de la police portugaise qui n’arriveront jamais à l’arrêter. De toutes façons, Le Furtif fonce tout droit sans jamais dévier vers le sud et se retrouve assez vite en eaux internationales. Cela commence donc comme un récit d’aventures rocambolesque, d’autant qu’apparemment il n’y a personne à bord. Enfin si… Mais je n’en dirai pas davantage.
Car l’essentiel n’est pas là et puis il faut bien du suspens dans un roman d’aventures ! Ce qui est extraordinaire, c’est que cette affaire nous parvient de manière décalée à partir d’une série de filtres : sur le plateau trois comédiens formidables (Clémentine Allain, Arthur Vandepoel et Lucile Courtalin) nous font face et ne sont, ni les personnages, ni même les témoins de ce qui s’est passé, mais les relais malicieux du bruit tout à fait disproportionné que ce petit bateau a produit dans les médias. Car les gens aiment les disparitions inexpliquées, les bandits jamais arrêtés, les destins hors normes ! Or, les trois comédiens, sous la houlette d’Olivier Maurin, nous tendent, à travers l’entrelacs de leurs monologues, un miroir où nous reconnaissons nos curiosités de midinette et nos rêves d’enfant.
Nous n’allons pas tarder à en savoir davantage. Dans un premier temps, les péripéties s’enchaînent : il va s’agir de découvrir qui est à bord du bateau. Bien sûr, il y a des rebondissements qui, pour ne pas être vraisemblables, sont éminemment loufoques et drôlissimes. Puis vient le naufrage dont nous sont parvenus des films inexploitables. Enfin quand on découvre les rescapés échoués sur de minuscules îles inhospitalières, le ton change encore. Il reste narquois mais nos comédiens vont cette fois-ci tenter de reconstituer l’expérience des naufragés. Et comme tous sont des artistes, ils laissent des traces qu’un second navire, parti des années plus tard à leur recherche, va découvrir, à défaut de les ramener vivants.
On nous mène en bateau
Le spectacle change, lui aussi, devient plus poétique, plus intime : ainsi en va-t-il de ce botaniste qui se passionne à ce point pour les algues qu’il va se laisser envahir jusqu’à devenir en quelque sorte l’une d’entre elles ; ou cette artiste dont nous parviennent des clichés de sa dernière exposition, où seuls les visiteurs ont été photographiés. Loin d’être ridicules, ces bribes, ces balbutiements témoignent d’une imagination toujours vivante et vivace jusqu’au bout.
Tout cela est prétexte à réflexions à la fois philosophiques et extravagantes. Nous prenons alors un peu de hauteur pour sourire de nous-mêmes. Le Furtif nous entraîne dans le sillage d’autres rêveurs, ceux qui poursuivent jusqu’au bout leur folie, se laissent habiter et déposséder par elle. Avec un humour irrésistible qui fait du bien et irrigue jusqu’à la bande son, signée Thibaut Farineau. Quel plaisir que d’avoir rencontré cet auteur à suivre et d’avoir retrouvé un metteur en scène qui confirme son art de la scène, de la direction d’acteurs et sa finesse dans l’adaptation ! Ravie, aussi, de cette complicité réjouissante entre les trois comédiens. 🔴
Trina Mounier
L’Affaire Furtif, d’après Sylvain Prudhomme
Le roman est publié aux Editions Gallimard collection L’arbalète
Compagnie Ostinato
Adaptation : Compagnie Ostinato et Sylvain Prudhomme
Mise en scène : Olivier Maurin
Avec : Clémentine Allain, Arthur Vandepoel et Lucile Courtalin
Collaboration artistique et photo : Jeanne Garraud
Scénographie : Andréa Warzee
Lumière : Amandine Robert
Son : Thibaut Farineau
Costumes : Emily Cauwet-Lafont
Avec le soutien de l’équipe professionnelle de l’Ensatt
Durée : 1 h 30
Théâtre de l’Élysée • 14, rue Basse Combalot • 69007 Lyon
Du 31 janvier au 10 février 2023
De 10 € à 14 € ou en ligne
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