Performances
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le jeune metteur en scène comédien Igor Medjinsky dédie « Les Couleurs de l’air » à un père brillant, dont la succession a ouvert des mystères épais et sulfureux. De cette histoire personnelle, il propose une plongée dans la mémoire familiale, mais l’enveloppe d’oripeaux successifs qui étouffent peu à peu le propos.
L’idée de départ était pourtant porteuse : un fils réalise un film sur son père pour mieux en comprendre la personnalité, mais aussi pour régler quelques comptes et sans doute parler de lui-même dans une démarche étrangement narcissique. En effet, Igor Medjinsky passe les trois heures de spectacle sur la scène, et même sur le devant de la scène, beaucoup plus que son père, sujet proclamé du film et du spectacle !
Ce père, grand séducteur et grand escroc a flambé durant toute sa vie. Pour échapper aux amantes blessées, il a fui, parfois en emportant l’enfant caché dans ses bras, et menti. Pour faire face aux débiteurs, il ment encore, emprunte à d’autres et mène une vie de nabab qui repose sur du vent. Peintre dont on a oublié les œuvres, il prétend avoir acheté des toiles de maître (ses débuts de faussaire l’y encouragent) qu’il collectionne dans des coffres en banque. Ce n’est qu’au moment de sa mort, et surtout du passage chez le notaire, que le pot aux roses est découvert. La famille est ruinée. Au deuil s’ajoutent le déshonneur et les dettes.
Dérapages en cascade
Déjà là, il y avait matière à plus d’un spectacle, quand on pense à Incendies de Wouajdi Mouawouad ou à True Copy du groupe BERLIN, suivant la carrière d’un faussaire fameux, Geert Jan Jansen. Mais Igor Medjinsky ne peut se résoudre à contraindre son sujet, interroge les différents membres de la famille, suit diverses pistes qui le mènent aux quatre coins du monde et… nous perd en chemin.
Certes, on ne s’ennuie pas le moins du monde, car ce jeune artiste est lui-même brillant et sait utiliser toutes les astuces, effets spéciaux et sophistications. Il nous en met donc plein les yeux et les oreilles, propose des multitudes de pistes qu’il suit un temps avant de les abandonner et prendre d’autres chemins de traverse, mais cela reste assez vain. En tournant et se filmant lui-même, il décentre l’objet. Si la première partie est particulièrement réussie, la suite devient labyrinthique et l’émotion se perd dans une durée qui peine à garder l’auditoire.
Au bout du compte, c’est un énorme gâchis. Les comédiens sont dans l’ensemble excellents, souvent drôles, et ils concourent, autant qu’ils le peuvent, à faire vivre leur personnage. La mise en scène elle-même regorge d’idées. Mais tout cela relève de la seule performance et non du théâtre. Qu’Igor Medjinsky se rassure : il a ici de quoi travailler dix ans. Souhaitons-lui cependant d’avoir su, d’ici là, égaler, et oublier, son père. 🔴
Trina Mounier
Les Couleurs de l’air, d’Igor Mendjisky
Le texte est édité aux éditions Actes Sud papiers
Ce texte est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA
Mise en scène : Igor Mendjisky
Avec : Raphaèle Bouchard, Pierre Hiessler, Guillaume Marquet, Igor Mendjisky, Hortense Monsaingeon, Juliette Poissonnier, Esther Van Den Driessche, Jean-Paul Wenzel, Yuriy Zavalnyouk
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie : Claire Massard, Igor Mendjisky
Vidéo et son : Yannick Donet
Lumière : Stéphane Deschamps
Musique : Raphaël Charpentier
Costumes : May Katrem, Sandrine Gimenez
Construction des décors : Jean-Luc Malavasi
Assistanat à la mise en scène : Arthur Guillot
Durée : 3 heures
Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 11 au 15 janvier 2023
De 7 € à 40 €
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne