« Jaz », de Koffi Kwahulé, Chapelle du Verbe Incarné, à Avignon

« JAZ » de Koffi Kwahulé © Clara Pauthier

Histoire d’une femme « chassée de l’arc-en-ciel »

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

« JAZ » est une expérience musicale cathartique qui nous mène au cœur de l’enfer du viol. La force du texte et l’interprétation flamboyante de Ludmilla Dabo, dans le rôle du personnage éponyme, sont toutefois desservies par une mise en scène un brin aguicheuse.

La porte-parole anonyme présente sur scène nous met en garde : « Je ne suis pas ici pour parler de moi, mais de Jaz ». Le leitmotiv qui ponctue la pièce sonne comme une tentative désespérée de mettre à distance le traumatisme du viol qui nous est conté. Jaz est une femme à la beauté éclatante, qui dénote avec la laideur de la cité qui l’environne. « Dans cet immeuble où l’on patauge dans sa propre merde, Jaz émerge comme un lotus ». Chaque dimanche matin, celle-ci profite de la tranquillité qui règne dans la ville pour aller à la sanisette. Mais un jour, le voisin qui observe régulièrement ses déplacements, la viole dans les toilettes publiques.

Au fil du récit, la narratrice effeuille donc des souvenirs traumatiques, au rythme des motifs de jazz. En effet,en fond de scène, l’orchestre accompagne la menace latente et la violence qui se déchaîne. Les parties chantées et parlées alternent pour tenter de donner forme à la souffrance. La voix caverneuse de l’homme sort même de la bouche de la narratrice, comme si ses propos monstrueux surgissaient des tréfonds de la mémoire de Jaz. Désormais il ne s’agit plus de vivre mais de survivre : « Combien dure une vie chassée de l’arc en ciel ? » se demande la narratrice.

« JAZ » de Koffi Kwahulé © Clara Pauthier
« JAZ » de Koffi Kwahulé © Clara Pauthier

Heureusement, la résilience et l’espoir refont surface au détour d’une chanson ou d’une formulation poétique. Qu’il soit parlé ou chanté, le texte est formidablement interprété par Ludmilla Dabo. Sa voix de chanteuse de jazz, chaude et intense, est portée par l’impeccable Mister Jazz Band. L’engagement physique de la comédienne est total. On ressent l’urgence et la nécessité de raconter le déchaînement de violence pour s’engager sur le chemin de la reconstruction. Pour ce faire, le corps sert de medium, tout autant que les mots de l’auteur ivoirien Koffi Kwahulé, à la fois crus et figurés. Les détails prosaïques côtoient les envolées mystiques. Jaz ne cesse, par exemple, d’évoquer le regard « christique » de son agresseur. Une référence dérangeante, mais qui raconte aussi la volonté de transcender l’horreur grâce aux mots et au chant. Il faut continuer à vivre.

Un réalisme exacerbé

La sublimation apparaît d’autant plus nécessaire que la mise en scène nous plonge d’emblée dans une ambiance poisseuse. Le plateau est d’abord transformé en club de jazz interlope, avant de devenir progressivement le lieu de reconstitution du viol. La figuration des sanitaires, où s’est déroulée l’agression, exacerbe l’atmosphère trash. Le réalisme extrême de la scénographie atteint d’ailleurs ses limites, puisqu’il interfère avec le texte : par moments, il ne nous parvient plus. En outre, Ludmilla Dabo possède une telle présence que la reconstitution des faits semble démonstrative.

En somme, le texte aurait gagné à être davantage mis en valeur, d’autant que tout y est dit, de façon frontale ou imagée. Le titre de l’œuvre est, à cet égard, très signifiant : pour Koffi Kwahulé, l’absence du « z » dans le prénom du personnage désigne « l’amputation irrémédiable que l’on ressent après l’expérience traumatique du viol. » Au-delà de la référence à la perte d’identité, le nom renvoie évidemment au genre musical qui structure l’écriture de Koffi Kwahulé. L’histoire de la femme brisée s’appuie sur d’incessantes ruptures rythmiques, créant une sensation de déséquilibre permanent. Et quand les mots ne suffisent plus pour se tenir debout, les notes de musique forment une béquille. L’orchestre, tapi dans l’ombre, résonne alors comme une présence fraternelle et rassurante. 

Bénédicte Fantin


JAZ, de Koffi Kwahulé

Mise en scène : Alexandre Zeff

Avec : Ludmilla Dabo et le Mister Jazz Band et ses musiciens Arthur Des Ligneris, Louis Jeffroy, Gilles Normand et Franck Perrolle

Scénographie et lumière : Benjamin Gabrié

Création sonore : Antoine Cadou

Compagnie la Camara Oscura

Teaser vidéo

Durée : 1 h 05

Photo : © Clara Pauthier

Chapelle du Verbe Incarné • 21 G, rue des Lilas • 84000 Avignon

Dans le cadre du Off d’Avignon

Du 7 au 30 juillet 2017, à 19 heures, relâches les 13, 20 et 27 juillet

De 12 à 17 € 

Réservations : 04 90 14 07 49

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