Requiem as a dream
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Le Monfort Théâtre présente une séance de rattrapage pour ceux qui ne connaîtraient pas encore l’œuvre du marionnettiste géorgien Rezo Gabriadze. Au programme : « Ramona » et surtout « Stalingrad », un requiem onirique dont on sort ému et époustouflé.
Avec un titre comme Stalingrad, on s’attendrait à découvrir une fresque avec moult figurants et détails historiques. On se tromperait. Rezo Gabriadze ne fait pas ici œuvre d’historien, il nous ouvre plutôt des fenêtres sur des fragments de vie. C’est pourquoi, sans doute, il accorde la même attention à un ordre de Staline ou de Paulus qu’au conseil que donne une maman fourmi à son enfant. C’est pourquoi encore, la matière du spectacle est l’intime. D’ailleurs, alors même que le fracas des mitrailles imprègne la bande son, que le travail magnifique sur la lumière fait percevoir les déflagrations du combat, le terme qui est le plus employé au cours du spectacle est le mot « amour ».
Or, d’une part, ce décalage entre les vies minuscules et la grande Histoire accentue la portée tragique de la pièce. D’autre part, il permet l’identification. Nous sommes cet homme enterré dans le sable, nu, sans oripeaux nationaux. Nous sommes ce cheval amoureux, ce jeune juif séparé de sa belle par l’appel des armes.
L’empathie est d’autant plus forte que les marionnettistes, tous extraordinaires, manipulent des objets fragiles et poétiques. Si le Théâtre Gabriadze multiplie les techniques de manipulations (ombres, marionnettes à tiges ou/et portées), les marionnettes, faites de baguettes, de plumes, d’étoffes dégagent toutes une impression de fragilité et de légèreté.
L’extrême délicatesse des artistes, qui semblent faire danser les personnages et les objets, accentue encore cette sensation. Le spectateur oscille ainsi entre le rêve et la brutale réalité : il se croit entré dans une toile de Chagall quand un coup de canon le ramène soudain à l’horreur de la guerre.
Épiphanies et requiem
Si l’on pense à Chagall, c’est que Rezo Gabriadze, peintre, sculpteur et poète, nous présente à chaque instant des tableaux dont le moindre détail est pensé. Le travail sur la lumière de Mamuka Bakradze est magnifique. Le jeu des couleurs est subtil et suscite un émerveillement.
Tableau, Stalingrad est aussi requiem. De fait, le Théâtre Gabriadze a coutume de faire communier spectateurs et interprètes dans le silence. Mutiques, les manipulateurs ont des airs d’officiants avec leur visages concentrés, leurs yeux baissés, leurs noires tenues identiques. Or, dans leur silence, les mots et les sons s’élèvent mieux. On entend avec netteté les voix enregistrées des personnages, qui sont d’ailleurs interprétées avec une profonde justesse. On écoute la moindre inflexion des airs de musique : tantôt la musique nous accompagne, tantôt elle gagne le plateau puis en déborde pour nous envahir. Là encore, le travail est remarquable.
On perçoit, en définitive, dans Stalingrad un profond respect pour la vie et l’amour et une vraie compassion pour ceux qui furent privés de ces richesses. C’est pourquoi le spectacle nous ouvre une lucarne poétique et humaniste sur l’histoire et sur notre temps. Une œuvre précieuse. ¶
Laura Plas
Stalingrad, de Rezo Gabriadze
Spectacle en russe avec des surtitres en français
Le texte est édité à L’Avant-Scène Théâtre avec Ramona et Le Diamant du maréchal de Fantie
Texte, mise en scène et direction artistique : Rezo Gabriadze
Avec : Tamar Amirajibi, Anna Nijaradze, Giorgi Giorgobiani, Irakli Sharashidze, Niko Gelovani
Durée : 1 h 30
À partir de 10 ans
Photo : © DR
Cabane du Monfort Théâtre • 106, rue Brancion • 750015 Paris
Du 21 au 25 novembre 2017, du mardi au samedi à 19 h 30
De 8 € à 25 €
Réservations : 01 56 08 33 88