Un spectacle de haute volée
Quelques mots tout d’abord de l’argument qui peut sembler bien ténu : un roi, pris d’une subite colique dans la nature, s’essuie le postérieur avec des plumes trouvées à terre. Las, la poule dont elles proviennent est bien vivante et s’engouffre à leur suite dans le postérieur royal. Pis, elle s’y accroche par le bec pour ne pas en être délogée et résister aux efforts réitérés d’un roi devenu poule contre son gré et désireux de s’en défaire par les voies naturelles. Où l’on se moque du genre comme de l’autorité avec une liberté de ton qu’on pourrait fort envier aujourd’hui.
Mais la fronde ne s’arrête pas là : d’une part, le roi, paré de titres plus prestigieux les uns que les autres et suivi d’une armada de danseuses girondes, dont le costume s’effeuille au fur et à mesure du spectacle, souffre le martyre : ses intestins ne pouvant plus se vider, ni donc se remplir, il est condamné à mourir de faim dans une posture bien peu royale. Mais d’un autre côté, la Cour n’a en tête qu’une idée : le nourrir pour qu’il continue à pondre des œufs d’or. Le peuple, comme on sait, est cupide. La fable le rappelle et s’en moque. Ainsi tout est inversé, renversé même, à commencer par le pouvoir.
Rappel d’une époque bénie où l’on pouvait se moquer des rois
Quand le pouvoir est ébranlé, logiquement plus rien ne tient debout. L’épouse tient tête, la religion est mise à mal. Il ne reste d’elle que des prie-dieu sur lesquels s’asseoir pour se goberger ou se recueillir devant l’éclosion des œufs d’or. Si le conte est apparemment léger, il dispose d’un potentiel proprement révolutionnaire !
Ce qui frappe tout d’abord dans cette courte pièce, ce sont les acteurs, virtuoses. S’il est vrai que sans eux, point de théâtre, ils atteignent ici un degré rare de perfection : les toutes premières images montrent, serrées les unes contre les autres, des volailles peureuses et curieuses qui se poussent du col, montent sur leurs ergots pour mieux nous voir, nous les spectateurs. Perdant leurs attributs, les ballets du harem du roi sont tout d’un coup rendus à l’inutilité. C’est très évocateur et drôle.
Enfin Carmine Maringola dans le rôle omniprésent du Roi poule (re chicchinella) est époustouflant, passant d’une émotion à l’autre au gré de son ventre : il lui fait effectuer une danse digne des plus grandes artistes orientales, passe du contentement à l’inquiétude, à l’angoisse, perd progressivement toute sa superbe, réduit à supplier ses serviteurs d’aller chercher la poule, là où elle s’est accrochée, par tous les moyens.
Le décor est réduit à sa plus simple expression, mais les costumes sont de toute beauté. Pour autant, Emma Dante qui les a conçus ne cède aucunement à un esthétisme de pacotille.
Admirablement joué par une belle équipe de comédiens et finalement bien plus profond qu’il n’y paraît, ce spectacle, réglé au millimètre près, donne l’illusion de la vie. Proprement renversant !
Trina Mounier
Re Chicchinella, d’Emma Dante
Site de l’artiste
Librement inspiré du Conte des Contes de Giambattista Basile
Mise en scène, scénographie, costumes : Emma Dante
Texte en dialecte napolitain surtitré en français
Avec : Angelica Bifano, Viola Carinci, Davide Celona, Roberto Galbo, Enrico Lodovisi, Odette Lodovisi, Yannick Lomboto, Carmine Maringola, Davide Mazzella, Simone Mazzella, Annamaria Palomba, Samuel Salamone, Stéphanie Taillandier, Marta Zollet
Lumière : Christian Zucaro
Surtitres : Franco Vena
Durée : 1 heure
Théâtre des Célestins • Grande salle • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 9 au 13 octobre 2024, mercredi, vendredi et samedi à 20 heures, jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 heures
Réservations : billetterie en ligne ou 04 72 77 40 00
De 5 € à 40 €
Tournée ici :
• Du 15 au 18 octobre, La Comédie de Genève (Suisse)
• Du 7 au 29 janvier 2025, La Colline Théâtre national, à Paris
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Misericordia, Emma Dante, par Léna Martinelli
☛ Bestie di scena, Emma Dante, par Léna Martinelli
Photos : © Masiar Pasquali
