Éloge de la poésie ordinaire
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Le texte de Philippe Dorin révèle toute sa charge poétique, dans cette mise en scène de la compagnie T’Atrium. Proche de l’univers du conte, la pièce séduit un public familial, ouvert aux écritures contemporaines pour la jeunesse.
Tout commence par une mise en abyme. Un couple de personnages en quête d’auteur, perdu dans une immensité neigeuse, ou plutôt deux solitudes anonymes réunies sur un plateau dépouillé, amorcent le récit d’un quotidien où tout est à inventer. À eux de poser le décor et de dérouler le fil de l’histoire, pour relayer un auteur en mal d’inspiration : « Tu sais, y’a un type, là-bas, il est assis en ce moment derrière son bureau pour écrire notre histoire, et là, il a pas beaucoup d’idées. […] Y aura sûrement des longs moments sans rien dire, des compléments d’objets directs qui vont manquer, et même directement les objets ».
On assiste ensuite à la naissance d’une cellule familiale où l’absurde règne en maître. Pas de lit ni de toit, pas de provisions ni de télévision, juste la force de l’imaginaire pour donner l’illusion d’un foyer. Avec le printemps, débarquent deux enfants qui bouleversent l’équilibre du couple.
Mime, théâtre d’objets, chant, les personnages ont recours à toutes les ficelles possibles pour tenter de réenchanter leur vie ordinaire. Sous son air bourru, le mari nourrit le rêve enfantin de devenir le Johnny Cash des temps modernes, tandis que sa femme le rabroue en étendant un linge imaginaire : « Quel linge veux-tu étendre ? On n’a pas d’autre linge que celui qu’on a sur nous. Autant nous s’étendre à un fil. » Le dénuement des personnages se traduit par la simplicité des propos. Le langage poétique surgit précisément au détour de ces échanges de banalités : le couple invente des néologismes, des calembours, apprivoise les silences, et dit beaucoup avec peu.
Un espace-temps sans limites
Le travail sur la temporalité participe de l’étrangeté de l’œuvre. Les saisons s’enchaînent au rythme des tableaux successifs et des chants du mari. On renoue avec le temps immémorial des contes et des chants populaires. Il faut, par ailleurs, saluer la création sonore de Jean-Philippe Borgogno, qui contribue à installer une atmosphère irréelle. La scénographie renforce ce parti pris esthétique en suggérant un espace sans limites, où les bornes figurées par des panneaux de papiers peuvent aisément être transpercées, et où les personnages évoluent dans des costumes dignes d’un conte d’Andersen.
Pour finir, les jeunes acteurs apportent une belle sincérité sur scène, même si l’interprétation gagnerait parfois à être moins démonstrative. La confrontation entre les deux enfants-comédiens est particulièrement fascinante : on les voit se prendre pour des adultes en imitant leurs aînés, tandis que ces derniers jouent aussi les grandes personnes dans leur nid fabriqué de bric et de broc. Cet éloge du jeu, qui fait écho à la mise en abyme initiale, propose une fin plus enthousiasmante que le traditionnel et définitif « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». ¶
Bénédicte Fantin
L’Hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains, de Philippe Dorin
Le texte est publié à L’École des loisirs
Mise en scène : Bertrand Fournier
Avec : Denis Monjanel, Sandrine Monceau, et, en alternance, les enfants : Angèle Chédotal, Sacha Menez-Allanic, Noémie Filoche, Julian Le Moigne, Philomène Hulot et Titouan Olivier
Scénographie et costumes : Élodie Grondin
Création sonore : Jean-Philippe Borgogno
Création et régie lumière : Julien Guenoux
Conception et création de la machinerie : Yannick Thomas
Durée : 1 h 10
Spectacle tout public à partir de 9 ans
Photo : © Kiosque de Mayenne
Grenier à Sel • 2, rue du Rempart Saint-Lazare • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Du 6 au 27 juillet 2017 à 10 heures, relâche le 10, 17 et 24 juillet
De 5 à 15 €
Réservations : 04 90 27 09 11
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