« Les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir », cie Théâtre du Frèt, Théâtre du Balcon, Festival Off Avignon 2024

Les-Trois-Petits-Vieux -qui-ne-vouaient-pas mourir © Oli vier-Bochenek

Une journée particulière

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

C’est le dernier jour annoncé d’une vie : « Les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir », pièce écrite par Suzanne Van Lohuisen, est un spectacle familial lumineux, en dépit du sujet. Quelle joie de commencer le festival par cette pépite !

Ils sont trois vieux amis. Ernest, Désiré et Stanislas vivent ensemble, tranquilles et plutôt heureux. Ils ont leurs toutes petites chamailleries, leurs fous rires et une sollicitude à toute épreuve. Leur quotidien, bien orchestré, est jalonné de rituels et d’habitudes. Jusqu’au jour où la boîte aux lettres, muette depuis des années, leur délivre une lettre anonyme : « Aujourd’hui c’est le dernier jour. / Votre vie est finie. / Toutes les journées ont été utilisées. / Il n’y a rien à faire. / Sincères salutations. » Une missive du ciel.

L’annonce de mort, lapidaire, est sans appel. Ils n’ont que quelques heures pour avaler la couleuvre. Suzanne Van Lohuisen, auteure néerlandaise, a campé le récit de ce dernier jour avec autant d’humour que de gravité, dans une écriture directe et simple qui le dit aussi simplement que possible : nous vivons, et nous mourons. La compagnie québécoise, Théâtre du Frèt, en propose sa version, pour la première fois en France : un pur bonheur.

Un petit lit, avec mobilier presque miniature accroché et des valises bien rangées : un livre d’enfant semble s’ouvrir. La nuit s’achève pour Stanislas, Ernest et Désiré. Ils ont bien ronflé et rêvé. Le livre de l’un, la canne de l’autre, le nounours du troisième : les personnages sont déjà campés. Il y a celui qui épaule, celui qui tente des réponses et celui qui incarne un grand enfant sensible. Ils s’étirent longuement, baillent et s’ajustent.

Quoique banale, cette mise en route matinale est teintée d’une « sensation spéciale ». Ils le savent d’instinct : « c’est une journée très particulière ». L’évènement arrive par un courrier, dont la lecture est solennelle. Stanislas, binocles, grattement de gorge et voix de circonstance, s’y colle. Bien que médusés, ils ne s’en laissent pas conter : « C’est n’importe quoi », clament-ils. Mais ils ont bien compris le message.

Masques, imaginaire

Ces petits vieux-là se sentent beaucoup trop jeunes pour passer de vie à trépas. Ils n’ont « absolument pas le temps » de mourir ! À eux la vie éternelle, les traversées du désert et les traques des 40 voleurs, les triples galops, vêtements flottant dans le vent, et l’eau bue dans les gourdes en cuir. À eux l’Himalaya… L’enthousiasme est généreux, un élan vital s’exprime, fougueux, impétueux. Des aventuriers du dernier jour. Mais les mots font leur chemin et la maison s’est fissurée. Rien ne va plus.

Faire éclore un tel récit, si franc, si cash, auprès d’un public de 7 à 77 ans, c’est un beau pari. Ernest, Stanislas et Désiré apparaissent masqués. Une approche « universelle, intuitive et organique » qui livre une peinture de la vieillesse sans dévoiler les visages. Cette distanciation permet de servir l’imaginaire sans brusquer, notamment les enfants.

© Olivier Bochenek

Dans une grande douceur, le spectacle réussit l’exploit de faire passer les exigences d’un texte qui n’élude rien des vents de panique soufflant à l’approche de la mort, ni des tristesses au clap de fin. Malgré le choc premier, il n’y a ni agressivité, ni brutalité. Rien ne cingle. L’approche du grand moment est signalée dans une atmosphère un peu fantastique, boîte aux lettres qui s’éclaire, bruits étranges, coupure électrique. Les trois amis font leur chemin, et se souviennent des belles choses : « Moi j’ai connu l’amour », raconte Désiré, « Un jour j’ai rencontré une fille (…) / Quand elle riait, le soleil se mettait à briller. / Je lui ai donné mon étoile de mer. / C’était tout. C’était l’amour. » Quelle tendresse !

Des acteurs formidables

Les comédiens jouent donc de tout leur corps, de tous les ressorts offerts par leurs voix et leurs regards pour exprimer l’affolement, le doute ou la peur. Un brin cabots, silhouettes mal assurées, démarches et gestes prudents, ils captivent, et c’est immédiat. Nous, public, adorons leurs rires sous capes, un peu jaunes, leurs exclamations exagérées, leur ton faussement rassuré et cette allure mi chevrotante mi guillerette tellement bien dessinée.

L’un à l’accordéon, l’autre à la clarinette, ils jouent leur dernière valse, tandis que le troisième bat la mesure. Ils chantent un Ave Maria pour leur théière cassée, témoin des centaines de déjeuners passés ensemble à être heureux. Ils se redisent leur affection mutuelle. Dans une esthétique très soignée, des halos de lumière chaude et rassurante se tamisent progressivement, le temps de se poser une ultime question : « De quoi elle a l’air ? D’un dragon à sept têtes ? D’une dame en talons aiguille ? Ou d’un ange avec des ailes noires ? ».

Et voilà que ces trois petits vieux se dirigent vers la sortie. Ils papotent, se tenant par les épaules, amis à la vie à la mort. On ne les entend plus. Ils s’éloignent. Et nous, nous aurions envie de courir vers eux pour leur dire : « Tout va bien se passer ! ». On devinerait alors des sourires derrières les masques, et qui sait… un petit regard encore espiègle nous aurait peut-être fixé gentiment. Pour nous rassurer. 🔴

Florence Douroux


Les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir, du Théâtre du Frèt

Texte de Suzanne va Lohuizen, édité chez L’Arche
Traduction de Marijke Bisschop
Théâtre du Frèt
Mise en scène : Johanne Benoit
Avec : Vania Beaubien, Alexandre L’Heureux, Isabel Rancier
Durée : 55 minutes
Dès 7 ans

Théâtre du Balcon • 38, rue Guillaume Puy • 84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 (sauf les 4, 11 et 18 juillet), à 13 h 30
De 16 € à 23 €
Réservations : 04 90 85 00 80 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 29 juin au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Pourquoi les vieux qui n’ont rien à faire traversent-ils au feu rouge, du collectif 2222, par Stéphanie Ruffier

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