Les Inspirantes, Virginie Boccard, Les Quinconces, L’Espal, Le Mans

souad-massi © yann-orhan

Parcours inspiré avec des guérillères extra-ordinaires

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Au Mans, du 6 janvier au 3 février, Les Inspirantes proposent une traversée féministe. L’occasion de présenter le projet exaltant porté par la directrice de la scène nationale, Virginie Boccard, et son équipe. La saison pulse au rythme de spectacles et de temps forts conçus comme une dramaturgie autour de questions sociétales majeures. La promesse de chocs artistiques et de fructueux échanges avec la population sarthoise.

Arrivée à la tête des Quinconces et L’Espal en 2019, Virginie Boccard voit son projet, intitulé Vives résonances, se concrétiser avec une fréquentation en hausse et une émulation à nul autre pareille : « Notre ligne éditoriale s’attache à ce que les deux théâtres, implantés chacun dans leurs quartiers respectifs, puissent être des lieux joyeux et féconds, dédiés à la rencontre, la création et l’expérimentation », explique-t-elle. « Nos lieux sont comme des lieux de vie, où des artistes sont en connexion avec les gens, où la parole circule et les expériences se partagent. D’ailleurs, pourquoi ne pas parler dorénavant plutôt d’usagers que de publics ? En tout cas, nos maisons ont une âme ».

Hors des sentiers battus

D’abord, on découvre une programmation « classique », une saison riche d’une soixantaine de spectacles (dont plusieurs déjà chroniqués en bas de l’article), mais aussi des expériences sensibles inédites. Au cœur du projet de la scène nationale : la recherche constante de nouveaux territoires à explorer, des propositions atypiques, toujours plus de sens et de liens.

Ce n’est pas si classique, donc, car il s’agit de promouvoir des formes innovantes dans toutes les disciplines (théâtre, danse, musique, cirque, arts visuels) et les auteurs d’aujourd’hui : « Défendre les écritures innovantes, c’est reconnaître à l’artiste son rôle de traducteur des temps présents », ajoute Virginie Boccard. Ces propositions métissées et hybrides inventent d’autres modes de représentation, dedans et dehors, avec une promotion particulière des arts de la rue, et même du théâtre à domicile.

En écho aux œuvres présentées, la Pensée Joyeuse propose des rencontres et des ateliers, en partenariat avec des associations locales, nombreuses à accompagner la scène nationale : «Nous souhaitons créer des conditions de rencontre qui dédramatisent le rapport à la culture, avec des rendez-vous ludiques et insolites », précise la directrice. Le Grand Ensemble composé d’une dizaine d’artistes compagnons, d’un cuisinier et d’une philosophe, déploie le projet sur le territoire, au plus près de la population. Non seulement l’esprit est convoqué, la poésie est au rendez-vous, mais les papilles sont à la fête.

Une saison marquée par quatre grands rendez-vous

Bien séquencée, 2023-2024 se compose deplusieurs temps forts, au rythme des saisons. À ciel ouvert ! a permis, à la rentrée, de rassembler la foule dans une ambiance conviviale et de fédérer toutes les forces vives œuvrant au projet :« Nous avons voulu présenter une scène nationale du Mans vivante et populaire qui, tel un épicentre, propage ses vibrations et provoque des secousses en formant des cercles de plus en plus larges », détaille Virginie Boccard.

Après l’espace public, retour au chaud, avec Les Inspirantes, un focus sur les femmes. Un peu plus tard dans l’hiver, du 5 au 16 février, En jeu sera dédié à la jeunesse. Un festival (presque) interdit aux plus de 18 ans organisé en lien avec les établissements scolaires. Ensuite, Où en sommes-nous avec le(s) vivant(s) ? traitera d’écologie. La saison s’achèvera donc sur trois semaines intenses (du 16 avril au 9 juin) à l’écoute des pulsations de notre monde.

Les Inspirantes : « pluri’elles »

Questionner des enjeux sociétaux contribue à répondre à nos préoccupations. Parmi eux : le féminisme, ou plutôt les féminismes. « Il s’agit de rendre hommage à ces femmes qui prennent des chemins de traverse, des figures qui ressourcent, des héroïnes du quotidien et des créatrices qui dégagent des voies, autant de guérillères extra-ordinaires, isues de milieux variés, de générations différentes »,précise Virginie Boccard. «Les un.e.s (car des hommes aussi sont programmés) se saisissent de l’écriture, de leurs corps ou de leurs voix pour remettre à leur juste place des personnes dans l’histoire des arts et de la pensée, pour éclairer des parcours, faire entendre un propos puissant, déconstruire, dénoncer ».

« Ouvrir avec Souad Massi, cette chanteuse guitariste algérienne à la forte capacité de résilience, me semble un symbole fort », poursuit-elle. La création comme acte de résistance et d’émancipation est aussi illustrée par Rebota, rebota, y en tu cara explota : prenant littéralement le taureau par les cornes, les catalans Agnès Mateus et Quim Tarrida mettent en cause les violences conjugales.

Pauline Peyrade, artiste associée, aborde la question du consentement, à travers la relation toxique entre une enfant et sa mère. L’artiste de cirque Justine Berthillot co-met en scène cette écriture engagée, radicale (l’Âge de détruire a reçu le prix Goncourt 2023 du premier roman). Elles allient le geste à la parole pour une saine libération.

L’Institut Ophélie fait référence au personnage de Shakespeare. Nathalie Garraud et Olivier Saccomano évoquent les assignationsdont sont victimes beaucoup de femmes, dans le sillage de la fiancée d’Hamlet. Pour accompagner ce spectacle, le lendemain, La Pensée joyeuse se penche sur la folie des femmes, ou plutôt la folie et les femmes (« Pas folles du tout »).

Renversante détricote les clichés. Léna Bréban porte au plateau le roman de Florence Hinckel, qui se plaît à permuter les rôles,modifiant avec humour lerapport entre dominants et dominées (lire l’entretien de Léna Bréban avec Bénédicte Fantin).

Dans WomenOmen, Nadia Simon et Clelia Vega livrent un témoignage intéressant sur leurs activités de compositrices-interprètes et le problème de représentation, à partir de textes engagés écrits par des femmes de toutes époques et nationalités : Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Virginia Woolf, Maya Angelou, Rupi Kaur, Yánnis Rítsos (car les hommes ne sont, une fois de plus, pas exclus).

Dans une installation composée de photo, vidéo, cinéma, archives documentaires, Estefanía Peñafiel Loaiza rend aussi hommage à une multiplicité de figures : sa tante Carmen, force vive de la révolution dans l’Équateur des années 80, mais aussi des résistantes algériennes, des militantes féministes et des oubliées, des effacées de l’Histoire, qui toutes vivent pleinement leur époque et en infléchissent le sens par leur combat individuel et collectif.

Ce sont autant de personnes inspirantes, comme celles, à l’énergie communicative, qui transcendent One shot, chorégraphie d’Ousmane Sy, maître incontesté de la house dance. De quoi donner une autre image de la féminité, comme Clément Pascaud, qui inverse encore une fois les rôles. Son autofiction sur Serena Williams, la championne de tennis, témoigne de son admiration pour une femme, considérée comme un mythe, quelque part entre Phèdre, Antigone ou Iphigénie.

Ouverture et générosité

Organisées en lien étroit avec des associations locales, Les Inspirantes sont en phase avec la dimension sociale et solidaire de la scène nationale, la volonté d’inclusion, l’aspect paritaire de la programmation. Toute la saison, d’ailleurs entamée avec le Consentement, de Vanessa Springora (lire la critique de Trina Mounier), l’illustre bien.

Un fil commun relie ces propositions : la création, la transmission et l’ouverture. Véritable laboratoire vivant au service des artistes et des habitant.e.s du territoire, ce projet d’envergure est riche, dynamique et généreux. Oui, Virginie Boccard et son équipe sont bien inspirées, aussi. 🔴

Léna Martinelli


Les Inspirantes

Du 6 janvier au 3 février 2024
De 4 € à 24 €
Réservations : en ligne ou au 02 43 50 21 50

Scène nationale du Mans
Les Quinconces
• 4, place des Jacobins • 72000 Le Mans
L’Espal • 60-62, rue de l’Estérel • 72000 Le Mans
Infos : 02 43 50 21 50
Toute la programmation ici

Spectacles de la saison déjà chroniqués :
La Vie est une fête, Les Chiens de Navarre : lire la critique de Léna Martinelli
Ma part d’ombre, de Sofiane Chalal : lire la critique de Léna Martinelli
Le Chœur des amants, de Tiago Rodrigues : lire la critique de Trina Mounier
Time to tell, de Martin Palisse : lire la critique de Léna Martinelli
Plutôt vomir que faillir, de Rebecca Chaillon : lire la critique de Stéphanie Rufffier

Photos :
• Souad Massi © Yann Orhan
• Mosaïque 1 : À ciel ouvert © DR ; Virginie Boccard © DR
• Mosaïque 2 : « Rebota, rebota, y en tu cara explota », d’Agnès Mateus et Quim Tarrida © Quim Tarrida
• Mosaïque 3 : « L’Âge de détruire », de Pauline Peyrade, mes de Justine Berthillot © DR ; « Renversante », de Florence Hinckel, mes de Léna Bréban © Francois Fonty

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