Dix ans tout feu tout flamme
Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
Dans le magnifique cadre du château de La Verrière, le festival des arts de la rue Les Beaux Bagages fête dix ans d’existence et affiche de nouvelles ambitions : une nouvelle étape incontournable entre Nevers et Chalon ?
Pour l’ouverture de cette dixième édition, Le Creusot a vu les choses en grand et ne manque pas d’humour. Le buffet inaugural était confié à la compagnie du Deuxième qui, avec leur Animaversaire, s’affirme comme la spécialiste incontestée de la cérémonie kitch et foireuse. Mickaël et Martine, nouvelle recrue zélée, assurent le service burlesque. Au menu, « produits semi-bio à demi raisonnés » et « charcuterie sans viande ». Rien ne fonctionne, tout pète, glisse ou éclabousse : les ballons s’envolent, le canon à confettis part trop tôt, les chips volent dans le public, le rhum flambe, le gâteau est pulvérisé pour le grand plaisir des enfants dans le public. Et si c’était une métaphore du bling-bling capitaliste et du salariat usé qui cherchent à planquer leur faillite sous l’apparat ? Un concert de chanson française prend le relais dans le bucolique parc.
La suite de la soirée est plus sombre. Tableau noir et étincelant du travail à la forge, La Fabrique a enflammé et enfumé la place Schneider. Les punks-pirates hollandais de Doedle, sur une techno aux basses lourdes, nous invitent à une cérémonie du feu et du labeur lancinant qui résonne fort dans cette ville industrielle : gestes zombies, grandes gerbes menaçantes, images saisissantes à foison.
Si Les Rugissantes, première étape estivale des Beaux Bagages a misé juste avec ce spectacle qui tourne depuis une dizaine d’années, elles savent aussi faire la part belle aux créations récentes. Inertie de la compagnie Underclouds est une recherche de confiance et d’équilibre dans une impressionnante « sculpture à habiter » d’Ulysse Lacoste. Le couple de circassiens, plus accoutumé au câble avec balancier, bouscule ici ses repères avec un objet-agrès instable, sorte de quadrature du cercle à la fois légère et puissante.
Le majestueux mouvement de cette « toupie « échouée » qui nécessite d’ajuster sans cesse son geste rappelle le signe mathématique de l’infini et convoque habilement les enjeux de l’art contemporain en espace public en dialoguant avec le paysage. Permettant une vision à 360 degrés, il invite le public à éprouver des sensations de vertige, poids et volume. Une rencontre fascinante entre l’humain et la matière-forme.
Des pianos et des ambitions
Autre création, Quand le tu, tue, des Roulottes en chantier, nous entraîne dans des jeux de laisses et d’attachements, variations sur pianos de toutes tailles qu’on tire comme un toutou ou comme une bobine : quelque chose de Fort-Da observé par Freud. On perd. On retrouve. Une poésie du presque rien se dégage de ces glissements d’objets inanimés. S’y cache un monde plus spectral où homme-épouvantail, Bach, Elvis croisent des feuilles tout aussi mortes.
Qui manipule quoi ? Réussira-t-on à réanimer ce qui est perdu, à refaire prendre vie aux choses inertes ? Le personnage principal est une sorte de clown-femme pygmalion qui tient son monde au bout d’une longe. Mais les objets ne se laissent pas toujours télécommandées et peuvent devenir sujets. De-ci, de-là, de très belles images qui peuvent faire songer aux Rois Vagabonds.
Les Rugissantes, festival centré sur les arts de la rue habilement placé entre Les Zaccros d’ma rue et Chalon dans la rue, n’est qu’une première étape d’une saison de propositions perlées au fil de l’été. Les Escales Vagabondes déclinera une programmation jeune public et de cinéma en plein air du 26 juillet au 18 août (« Une toile sous les étoiles »), tandis que Les Folles Escales viendront clore le bal du 25 au 27 août, avec une programmation de concerts et spectacles de cirque et d’humour. L’adjoint à la culture Jérémy Pinto et sa responsable du pôle culture, Cécile Haffner, sont à l’origine de ces moments artistiques festifs. Autrefois plus léger, le festival souhaitait offrir un parfum de vacances à ceux qui n’avaient pas l’occasion de voyager.
Le maire du Creusot David Marti envisage désormais « d’avoir plus de prétention, un nouveau rayonnement ». Ensemble, ils imaginent que la ville devienne une nouvelle étape sur la route de Marseille, Lyon ou Paris. Rappelons que ce vaillant festival n’a pas connu d’interruption : même en pleine crise sanitaire, il a réussi à proposer des spectacles sur inscriptions, avec petites jauges, pile avant le couperet du passe.
Son programmateur, Philippe Berthaud rêve de faire connaître le répertoire des arts de la rue aux Creusotins et aux visiteurs en invitant de grands spectacles populaires détonnants comme ceux des compagnies Générik Vapeur, Opposito ou OpUS… Déambulations monstres et formes conviviales cocasses qui mettent un coup de pied dans le quotidien : c’est tout le bonheur qu’on leur souhaite. Heureux habitants du Creusot qui, dès cette année, vont accueillir ponctuellement la compagnie de L’Homme debout avec son projet de construction collective d’une monumentale marionnette en osier pour le spectacle Cabanes. Une autre façon de faire rêver la ville en grand lors de l’édition 2023. Bricoleurs, jardiniers, simples curieux, rejoignez l’aventure ! 🔴
Stéphanie Ruffier
Animaversaire, cie du Deuxième
La Fabrique, cie Doedle
Inertie, cie Underclouds
Site de la compagnie
Captation d’Arte en scène ici
Quand le tu, tue, cie Les Roulottes en chantier
Site de la compagnie
Spectacle initialement titré Drôle de JEu
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Héroïnes », du Ring Théâtre et des Arts Oseurs, par Stéphanie Ruffier
☛ « Warning », Cirque Inextremiste, par Léna Martinelli