Même pas peur !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Face aux effondrements multiples, comment tenir debout, trouver l’équilibre, même précaire ? Entre vent de panique et suspension solaire, la poésie chaotique de Mikado nous ébranle et nous enchante. Quand tout s’écroule, le collectif Sous le manteau porte haut l’utopie d’un monde où des femmes et des hommes font corps solidaire. Avec audace et créativité.
Sur scène, six acrobates évoluent autour d’un mikado géant : 41 mâts remplacent les 41 baguettes du fameux jeu. Rien de ludique a priori, car ce qui s’y trame relève plus de la dystopie que du divertissement. Dans une série de séquences, les personnages, en compétition, vont effectivement se prêter à des épreuves consistant à assembler de périlleuses structures, autant d’expériences dont ils vont se relever avec plus ou moins de brio.
Créativité débridée
Tout d’abord, ce collectif renouvelle formidablement sa discipline, en repoussant loin ses limites. Entre ascension, lutte contre la gravité et maîtrise de la chute, le mât chinois se pratique habituellement de façon solitaire, avec un travail circonscrit dans l’espace. On voit aussi de plus en plus de duos. Venus de Belgique, Danemark, France, Norvège, Pays-Bas et Portugal, ils sont huit spécialistes à s’être rassemblés dans le collectif Sous le manteau, lequel développe une technique singulière en appréhendant les diverses propriétés des mâts, à la fois dans leur verticalité et leur horizontalité.
Et puis, il a commencé à faire tomber les mâts ! S’ils tutoient toujours les cimes au sommet, les acrobates s’aventurent aussi au sol. Les corps défient la gravité à la recherche de fulgurances et de synchronisations, tout en réalisant un ballet bien plus qu’aérien. Leurs figures sont vraiment originales. Sur scène, l’agrès démultiplié rend aussi les expressivités foisonnantes : de la mise à l’épreuve d’une forêt de mâts chinois à celle des méandres de nos sociétés. Dans cette dernière création, nous voici effectivement projetés dans une architecture moderne et un univers métallique, métaphores de notre monde matérialiste, coupé de la nature.
La variété des configurations y entraîne une multiplicité de situations. Les acrobates doivent évoluer dans une scénographie transformable, avec des dispositifs auto-portés que des haubans sécurisent en partie. Même si les déplacements sont millimétrés, grimper et se suspendre sur ces structures instables relève de la gageure.
Les interprètes expriment leur virtuosité dans l’entretien constant d’un juste déséquilibre. Déplacer les appuis d’un iota, un contrepoids insuffisant et un ensemble minutieusement élaboré peut chanceler. Omniprésent, le risque est d’ailleurs très bien mis en scène, des points d’ancrage à la dégringolade. Dynamique et fluide, la chorégraphie emprunte aux arts martiaux. Si les acrobates se relèvent toujours, ils crient, se heurtent, se traînent, s’écrasent au sol. Ils ne font pas semblant. Quel engagement physique !
Laboratoire des relations humaines
L’esthétique retranscrit bien les idées bancales, comme la froideur des administrations. Surveillées par une figure de l’autorité, ces personnes attendant qu’un distributeur automatique leur assigne un protocole s’apparentent à des cobayes, comme dans certaines expériences où des experts étudient méthodiquement jusqu’à quel point l’homme est capable de développer son agilité.
Sous-jacente, la question de l’adaptation se traduit aussi par l’étude du matériau des mâts. Ainsi, la séquence dans laquelle ce jeune homme assemble des tubes, dans l’espoir de réaliser une belle courbe est-elle vouée à l’échec. En effet, contrairement au roseau, l’acier ne se plie pas.
Force du groupe dans l’adversité
Comment survivre ? Si certains mettent des bâtons dans les roues et d’autres s’ajustent, d’autres encore jouent avec les règles, testent les limites, non sans jubilation, ni humour. L’un contre l’autre, mais aussi les uns avec les autres. Au Mikado, sans effondrement, pas de jeu ! « Tout mettre par terre, c’est la promesse de refaire, de reconstruire différemment. De ne surtout pas répéter les mêmes erreurs, mais de jurer qu’on en fera d’autres », écrit le collectif, qui cultive volontiers l’absurde.
Pas de fausse naïveté face aux catastrophes annoncées, donc ! Au contraire, l’effondrement est espéré pour bâtir un autre monde, plus humain : « Nous souhaitons reconquérir le futur d’une histoire d’effondrement, une histoire attendue ». Dans la mise en scène constante de leur manipulation, ces assemblages donnent aussi à voir le spectacle de l’entraide et de l’effort collectif. Parce qu’il exige une confiance totale entre les partenaires, face au danger, le cirque illustre le vivre ensemble. Pourquoi pas s’en inspirer ? Voilà en tout cas de quoi ouvrir des perspectives ! Encore faut-il savoir se relever… Même pas peur ? 🔴
Léna Martinelli
Mikado, petit récit d’effondrements, collectif Sous le manteau
Site du collectif
Avec : Constance Bugnon, Cyril Combes, Anatole Couety, Nicolas Fraiseau, Cathrine Lundsgaard Nielsen, Lisa Ødegaard
Mise en scène: Florent Bergal
Scénographie: Silvain Ohl
Création sonore: Philippe Perrin
Regard complice: Jesse Huygh, Benjamin Kuitenbrouwer
Création lumière: Jérémie Cusenier
Création costumes: Charlotte Gillard
Direction technique : Pierre-Yves Chouin
Régie générale : Pierre-Yves Poupet
Régie son : Frédéric Le Gras, Lola Etiève
Régie lumière : Thomas Bréheret
Durée : 1 heure
Tout public, dès 7 ans
Circa, pôle national cirque Auch Gers Occitanie • Salle du Mouzon • 32000 Auch
Du 20 au 22 octobre 2023
Dans le cadre du Festival du cirque actuel, 36e édition, du 20 au 27 octobre 2023
Tournée ici :
• Le 19 janvier 2024, Les Moulins de Chambly
• Du 14 au 16 mars, Les Rotondes, au Luxembourg
• Les 29 et 30 mai, Espace Pluriels, scène conventionnée de Pau
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Murmur, cie Grensgeval, par Léna Martinelli
