Embarquement pour l’inconnu
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Avec « Nosztalgia Express », Marc Lainé, directeur de la Comédie de Valence, compose à la fois un récit à tiroirs, un bon polar, une comédie musicale et une évocation intime et décalée de plusieurs époques historiques. Il confirme ici son immense talent de raconteur d’histoires.
Nous sommes au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, un détective privé revient sur une affaire pour laquelle il a été engagé en 1968, affaire qu’il n’a pas pu résoudre et qui le hante désormais : elle remonte aux années 50. Trois espaces temps qu’on retrouvera sur le plateau.
C’est l’impresario d’un chanteur yéyé à succès qui a requis ses services. Danny Valentin sombrait dans une dépression qui le laissait dans l’impossibilité de créer. Très rapidement la cause en est dévoilée : l’abandon de l’enfant par sa mère, autrefois, sur un quai de gare, expérience traumatisante dont il ne peut se relever. Dès lors tout va se télescoper, s’enchaîner à vive allure et en chansons. Attachez vos ceintures, ça part dans tous les sens et c’est drôlement bien imbriqué !
Marc Lainé aime croiser les décors et les temporalités. De même, il ne cesse de suivre des personnages en proie à un sentiment d’abandon insupportable, thème récurrent de son œuvre. Pour le chasser ou, au moins, le tenir à distance, ces enfants devenus adultes ressentent le besoin irrépressible de raconter des histoires, d’inventer des scenarii pour supporter l’absence. Nous verrons qu’à court d’argument, le détective va inventer une histoire qui se trouvera confirmée par la réalité.
Où se cache la vérité ? Où nous entraîne la fiction ? Finalement, qui est Danny ? Un peu Marc Lainé lui-même, qui ne cache pas avoir pioché dans sa propre histoire, au moins la référence à l’écrasement de la révolution hongroise. Comme un écho à l’envers de ce que vivent les réfugiés d’Ukraine aujourd’hui… Mais l’histoire est assez complexe sans ajouter de nouvelles grilles de lecture !
Péripéties et fausses pistes en cascade
C’est en orfèvre que le metteur en scène nous conduit au travers de cet imbroglio, passant d’une époque et d’un média à l’autre, reconstituant des atmosphères et des époques reconnaissables au premier coup d’œil, se risquant même à des superpositions, sans jamais nous perdre. Ainsi, Simone, la mère de Danny, l’accompagne-t-elle sans qu’il s’en doute tout au long de sa vie. La séquence qui se passe dans le train, entre mère et enfant, est filmée et projetée sur écran alors que son fantôme accompagne son fils devenu adulte sur le plateau, intervenant même dans la réalité avant de s’enfuir.
Comme par magie, Marc Lainé parvient à nous faire passer d’un univers à l’autre, avec de nombreuses émotions à la clé. Du roman d’espionnage à l’idylle romanesque, en passant par les aventures ubuesques, façon BD, il s’ingénie à nous faire sourire, et même rire, grâce à certains personnages hauts en couleurs, comme Émilie Franco, en assistante choriste un brin rigide, et surtout Thomas Gonzalez, dans celui de l’impresario excité. Tous les comédiens poussent la chansonnette et égrènent quelques notes de piano (accessoire omniprésent, évidemment) comme des pros. Au passage, bravo à Forever Pavot, alias Émile Sornin qui signe cette musique entraînante.
Les acteurs sont tous justes et précis dans leur personnage comme dans certains numéros. On remarquera notamment la merveilleuse et énigmatique Léopoldine Hummel, dans le rôle de Simone, et François Praud, tour à tour insupportable dans ses accès de mélancolie couplés à des caprices de star et bouleversant dans sa fragilité. À eux deux, ils portent la vraie question qui irrigue le spectacle : une mère peut-elle vraiment aussi cruellement abandonner son petit garçon sans une explication, sans un regard, par idéalisme, par fidélité à elle-même ? Question féministe s’il en est… 🔴
Trina Mounier
Nosztalgia Express, de Marc Lainé
Texte publié chez Actes Sud-Papiers (2021)
Compagnie Les Indépendances
Mise en scène et scénographie : Marc Lainé
Avec : Alain Eloy, Émilie Franco, Gilles Geenen, Thomas Gonzalez, Léopoldine Hummel, François Praud, Olivier Werner
Avec la participation de Farid Laroussi et Rodrigue Cabezas
Musique : Émile Sornin (Forever Pavot)
Costumes : Benjamin Moreau
Lumière : Kevin Briard
Son : Morgan Conan-Guez
Maquillage et perruques : Maléna Plagiau
Collaboration artistique : Tünde Deak
Collaboration à la scénographie : Stephan Zimmerli
Assistanat à la mise en scène : Jean Massé
Assistanat à la scénographie : Anouk Maugein
Décor et costumes : Ateliers du Théâtre de Liège
Régie générale : Kevin Briard et Vincent Ribes
Régie plateau : Rodrigue Cabezas et Farid Laroussi
Habillage : Barbara Mornet
Répétitrice russe : Polina Panassenko
Équipe tournage : Danny Valentin, Simon Viougeas
Cheffe opératrice : Julia Mingo
Habillage : Dominique Fournier
Construction décor du film : Act’
Durée : 2 h 40
Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 25 au 27 janvier 2023, du mercredi au vendredi à 20 heures
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne
De 7 € à 40 €
Tournée :
• Les 23 et 24 mars, Le Quai, centre dramatique national d’Angers
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