« R.O.B.I.N. », Maïa Sandoz, Théâtre Paris-Villette, Paris

ROBIN-Maïa Sandoz © Laurent Schneegans

Un autre monde est possible

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Réflexion autour de la crise sociale et écologique à la portée des plus jeunes, cette réécriture de « Robin des bois » par le Théâtre de l’Argument regorge d’espoir : contre l’injustice, il est possible d’agir et de gagner. Un petit traité de résistance bienvenue en ces temps troublés.

Robin vit avec sa sœur, Christabelle, et sa mère dans une ville d’aujourd’hui où les commerces sont plus florissants que les institutions publiques. Le père travaille aux espaces verts, la mère répare des « trucs ». Dans la famille, on est attaché à « la beauté du geste », on apprend à tirer à l’arc et on chante Quand le vent se lève de Johnny L’Écarlate. Ça ne va pas si mal jusqu’au jour où on oublie le père dans le couloir de l’hôpital. La misère grandissant, la mère est contrainte à voler pour survivre. Afin d’échapper aux services sociaux, les enfants se réfugient dans la forêt interdite, où leur vie s’affranchit des règles injustes de la cité. Des années plus tard, Christabelle se retrouve avec ses compagnons face à un tribunal, jugés pour association de malfaiteurs. Les journalistes affluent car le procès devient le théâtre d’interrogatoires, de témoignages et de plaidoiries. Mais où est passé Robin ? Qui est-il réellement ?

Après Zaï zaï zaï zaï et Beaucoup de bruit pour rien, le Théâtre de l’Argument continue de faire preuve d’impertinence sur des sujets majeurs, y compris avec cette première proposition tout public. Ici, il déconstruit, non sans malice, les clichés afin d’aborder les questions cruciales de la solidarité et de l’engagement : « L’emblématique Voleur de bicyclette est un des films qui a le plus marqué mon enfance. À travers l’univers de R.O.B.I.N., je souhaite rendre hommage à ce mélodrame qui provoqua chez moi tant d’indignation », précise Maïa Sandoz. « Il s’agit également de créer une tension entre réalisme et fiction, puisque nous sommes tout de même au théâtre, et de retourner les codes de la tragédie sociale pour laisser l’humour et la poésie gagner à la fin… Toujours ! »

Le vent se lève

Foisonnant, le sujet soulève de passionnantes réflexions sur la fraternité, la désobéissance civile, l’exercice du pouvoir… On aime ces spectacles tout public qui considèrent les enfants comme des êtres doués de raison : ici, on s’adresse à leur sens inné de la justice et à leur esprit critique. D’ailleurs, le public réagit bien dans la salle. Le texte est à hauteur d’enfant. Ainsi, le fossé entre riches et pauvres est-il simplement transposé dans la cour d’école, dans une scène de discrimination presque ordinaire. La pièce n’élude donc pas la violence des rapports sociaux et se réfère à l’actualité. Dans la destruction du parc de loisirs aquatiques, on voit même un clin d’œil aux ZAD.

Effets de manche et bal masqué… Le parti pris du grotesque aide à faire passer le message : « Vous trouvez qu’on exagère ? », ironise un des personnages à la fin de la première séquence qui mise sur le misérabilisme. En contraste, la suivante sera plus poétique. Entre la ville dirigée d’une main de fer par un maire (expert en trucs) et le tribunal (non moins truqué), s’impose un autre espace symbolique de taille : la forêt. Ce lieu de ressources, de liberté et de vérité paraît accessible à qui ose franchir les grilles. Oui, la forêt peut gagner du terrain.

Prenons-en de la graine !

On retrouve l’écriture vive des précédents spectacles de cette compagnie. Saillies et propos sont compréhensibles : le procureur considère la brigade comme « une vaste organisation terroriste et méchante » : « Et qui était le chef de votre bande ? Pas de chef. Comment ça, pas de chef ? Un groupe sans chef, c’est comme un repas sans viande, ça n’existe pas ! ». De scènes narratives en scènes d’action, on suit donc les personnages dans leurs aventures en comprenant bien les enjeux. La mise en scène est tonique et les interprètes, tantôt enfants, adultes, juges ou accusés, font preuve d’une certaine dextérité.

De façon rusée, Maïa Sandoz et sa bande offrent aux jeunes des clefs afin de comprendre et (ré)agir face aux crises, pour se reconnecter à la nature et la solidarité. Limites d’une société de consommation, ode au progrès fondé sur la décroissance, démonstration des conséquences de la domination de classe, allusion aux affres d’un régime totalitaire… La fable se veut aussi politique : plutôt que d’attendre d’hypothétiques héros, si l’on portait un désir collectif d’une société plus égalitaire ?

Léna Martinelli


Théâtre de l’Argument
En votre compagnie
Texte : Clémence Barbien, Paul Moulin, Maïa Sandoz
Mise en scène : Maïa Sandoz, assistée de Élisa Bourreau
Avec (en alternance) : Clémence Barbier, Maxime Coggio, Jeanne Godard, Anysia Mabe, Angie Mercier, Paul Moulin, Soulaymane Rkiba, Aurélie Verillon
Scénographie : Maïa Sandoz , Catherine Cosme, David Ferré
Collaboration chorégraphique : Gilles Nicolas
Lumières : Romane Metaireau
Musique : Christophe Danvin
Création son : Grégoire Leymarie
Costumes : Muriel Senaux
Régie générale : David Ferré
Spectacle tout public dès 8 ans
Durée : 1 heure

Théâtre Paris-Villette • 211, av. Jean Jaurès • 75019 Paris
Du 14 février au 2 mars 2025, à 14 h 30 ou 19 heures, dimanche à 15 h 30
Les dimanche 16 et 23 février à 15 h 30 : brunch et rencontre philo
De 9 € à 17 €
Réservations : en ligne ou 01 40 03 74 20

Tournée ici :
• Les 3 et 4 avril, Théâtre Au Fil de l’eau, Pantin

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Le Village des sourds », Léonore Confino, par Léna Martinelli

Photos : © Laurent Schneegans © Mathéo Chalvignac

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