Sélection printemps 2021

-« 40° sous zéro », du Munstrum Théâtre © Darek Szuster

Une rentrée particulière

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

C’est un peu comme une rentrée, mais juste avant les grandes vacances… Avec ce goût incomparable de liberté retrouvée…

À l’arrêt depuis sept mois, les théâtres accueillent à nouveau du public, dans le respect des conditions sanitaires imposées par la pandémie. Alors, que voir, que faire dans ce monde culturel d’après (si l’on peut dire) ? Nous relevons essentiellement des reprises, car cette période est plutôt concentrée sur le lancement de la prochaine saison, qui s’annonce d’ailleurs riche. Tentons donc une sélection de spectacles et festivals qui méritent attention.

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« Le Lac des Cygnes », d’Angelin Preljocaj © Jean-Claude Carbone à Chaillot

Après 82 jours, les étudiants, élèves et apprentis qui occupaient le Théâtre national de La Colline (depuis le 9 mars), ont choisi de partir. Une expérience intense pour ces jeunes et l’occasion, pour l’équipe de La Colline, « qui a tenté, tout au long de cette occupation, de garder la juste place, de se questionner, (…) d’une prise de conscience », comme l’écrit le directeur Wajdi Mouawad. D’où ce geste envers « les jeunesses », le 12 juin : « ouvrir par un rituel pour écouter ce que ces jeunes traversent. Rituel de la parole ». Se retrouver prendra donc la forme d’un colloque, avec un programme élaboré par les premiers concernés : les jeunes. Notons quand même la reprise de Sœurs, du 17 juin au 10 juillet (lire la critique de Trina Mounier), et de A Atlal, chant pour ma mère, de Norah Krief, du 1er au 13 juillet.

Se retrouver (envers et contre tout)

Si la plupart des institutions sont ouvertes au public depuis le 19 mai, d’autres, en solidarité avec le mouvement national d’occupation des lieux culturels, ont encore dû annuler des représentations. C’est le cas de l’Odéon – Théâtre national de l’Europe, fer de lance du mouvement qui s’est déployé dans une centaine de lieux. Après de vives tensions avec la direction, les occupants ont finalement préféré se réfugier au 104. Ils ont pris d’assaut ce lieu plus vaste et populaire, non plus pour bloquer les activités mais pour ouvrir un dialogue avec les publics. À l’Odéon, les représentations de La Ménagerie de verre mise en scène d’Ivo von Hove reprennent donc jusqu’au 9 juin (complet).

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« La Ménagerie de verre », de Tenessee Williams, Ivo von Hove © Jan Versweyveld

Au TGP, CDN de Saint-Denis, la réouverture a été « placée sous le signe de la jeunesse avec des spectacles engagés et fédérateurs », souligne la directrice Julie Deliquet, surtout des propositions de jeunes compagnies, après la reprise du très percutant Désobéir de Julie Berès, du 25 au 29 mai (lire la critique de Trina Mounier).

Comme pour conjurer le sort, Points Communs, CDN de Cergy-Pontoise, a intitulé sa brochure de juin-juillet « Ensemble » : « une programmation foisonnante et festive », précise Fériel Bakouri qui a tenu à adapter la fin de saison pour soutenir les artistes, fédérer son public et lutter contre « le repli sur soi » en étant « au plus proche des habitants ». Soit une foultitude de propositions alléchantes : D’autres mondes, de Frédéric Sonntag, Listening Party (projet participatif inédit), Somos de la cie Bêstîas (lire la critique de Léna Martinelli), Optraken du Galactik Ensemble…

Commémorer (ou pas)

Après avoir été si actif pendant les confinements, le Théâtre de la Ville fête, jusqu’au 13 juin, les cent ans de Pirandello et les vingt ans de la mise en scène de Six personnages en quête d’auteur, par Emmanuel Demarcy Motta (lire la critique de Michel Dieuaide). La représentation en public du 12 juin sera filmée et diffusée en direct sur le site internet du théâtre. Parallèlement, aux Abbesses, Pauline Bureau raconte l’épopée de la première équipe de France de football féminin, Féminines (jusqu’au 5 juin) : un uppercut, tonique et généreux.

Tandis que le TNP présente à nouveau (jusqu’au 26 juin) Onéguine, mise en scène avec ingéniosité et grâce par Jean Bellorini (lire la critique de Trina Mounier), le Monfort reprogramme 40° sous zéro un ballet post-apocalyptique, trash et jubilatoire du Munstrum Théâtre (jusqu’au 13 juin) : « Un théâtre où la révolution pourrait enfin advenir », lit-on dans le programme. Soit ! Ensuite, du 17 au 28 juin, Ton père de Thomas Quillardet, interroge la famille, la filiation, la figure du père et les choix de chacun. Le metteur en scène, décidément en vogue, adapte deux scénarios d’Éric Rohmer à La Tempête (jusqu’au 20 juin). Enfin, des créations, à défaut de révolution !

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« Une histoire d’amour », d’Alexis Michalik © François Fonty

En effet, les nouvelles productions se font rares en cette fin de saison, y compris dans le secteur privé, et l’on comprend aisément pourquoi. Dans la grande salle de la Scala, Alexis Michalik est à nouveau à l’affiche pour tout l’été, avec son mélo moderne Une histoire d’amour (du 1er juillet au 21 août), lequel a remporté le Molière 2020 de la mise en scène d’un spectacle de théâtre privé. Succès assuré ! Deux monologues burlesques sont aussi proposés : l’Art du rire, l’hilarante master class de Jos Houben (du 11 juin au 11 juillet) et Perte, dans lequel Ruthy Scetbon incarne une femme de ménage de théâtre clownesque (du 11 juin au 3 juillet). Ne pas rater non plus Embrase-moi, les 12 et 13 juin (lire la critique de Léna Martinelli).

Se mouiller

Incontestablement, Stanislas Nordey développe un don d’ubiquité. Outre Berlin mon garçon, de Marie NDiaye, à l’Odéon du 16 au 27 juin, le metteur en scène est en haut de l’affiche à l’Opéra de Paris, avec la mise en scène d’une adaptation lyrique du Soulier de Satin, de Paul Claudel, par le compositeur Marc-André Dalbavie (jusqu’au 13 juin). Cet opéra monstre dure sept heures… Le directeur du TNS, qui n’a vraiment pas froid aux yeux, joue aussi dans Mithridate, mise en scène par Éric Vigner, (au TNS, jusqu’au 8 juin, puis en tournée), avant de mettre en scène Au bord, de Claudine Galéa (au TNS, du 21 au 29 juin). Un Nordey carrément en majesté !

Mithridate-Racine-Eric-Vigner © Jean-Louis-Fernandez
« Mithridate », de Racine, mise en scène d’Eric Vigner © Jean-Louis Fernandez

À Chaillot, ne pas rater (du 10 au 26 juin) Le Lac des Cygnes, interrompu en plein vol cet automne. Le chorégraphe Angelin Preljocaj s’est lancé un défi majeur avec la relecture du ballet le plus emblématique de l’histoire de la danse classique. Oui, lui aussi se mouille !

Vibrer (et voyager)

Parmi les autres propositions inédites : au CDN de Sartrouville, du 24 juin au 3 juillet (avec une reprise la saison suivante), Sylvain Maurice adapte six nouvelles parmi les plus célèbres de Raymond Carver : Short Stories. Sur le thème du couple, elles mettent en scène une quinzaine de personnages dont le quotidien, en apparence anodin, bascule dans l’étrange. Le Monde et son contraire offre un voyage au cœur de l’œuvre du non moins absurde Kafka, et de l’homme lui-même : un spectacle d’Élise Vigier et Leslie Kaplan, en sortie de résidence aux Plateaux Sauvages, du 21 juin au 3 juillet.

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« Short Stories », de Raymond Carver, mise en scène de Sylvain Maurice, au CDN de Sartrouville © Christophe Raynaud de Lage

Au Centquatre Paris, la Cie 14:20 (à l’origine du mouvement de la magie nouvelle et experte en mystères), poursuit son cycle sur la présence, dans le contexte d’une année 2020 fortement dématérialisée. En effet, comment faire ressentir une présence face à l’invisible ? La Veilleuse, Cabaret holographique, est programmée du 9 au 12 juin.

Périple-2021 © Collectif-Protocole
« Périple 2021 » © Collectif Protocole

Plus original encore : Périple 2021, une performance itinérante (à pied et en train) du Collectif Protocole, composée de 25 étapes (la première était le 13 mars à Cherbourg et la dernière aura lieu au Festival d’Aurillac le 18 août), « une quête jonglée à la recherche de la poésie cachée des territoires traversés ». Soit 6 mois de spectacle, 3 massues de jonglage modifiées, 24 cérémonies de passation. Entre chacune, les errances jonglées, qui durent une semaine, sont menées par un(e) jongleur(se) et un(e) invité(e). Performeuse, street artist, chercheuse sonore, expert zoomorphe, marin, etc. se passent le relais. Pour les suivre pas à pas et découvrir leur récit de voyage, consulter la plateforme dédiée.

Créer (et innover)

La création ne se limite pas aux spectacles. Les équipes ont rivalisé d’imagination pour trouver de nouveaux formats (petites formes itinérantes, captations, etc.). Saluons ainsi l’incroyable succès de la chaîne YouTube de la Comédie Française qui vient de dépasser les 2 millions de vues et 32 000 abonnés. La Comédie continue ! créée pendant le 1er confinement donnera lieu à une version scénique (du 30 juin au 25 juillet) : Mais quelle comédie !, conception et mise en scène Serge Bagdassarian et Marina Hands. Et dès aujourd’hui, D’un rideau l’autre permet de s’immerger dans les coulisses de la reprise, en suivant en direct de la Salle Richelieu, une heure avant la toute première représentation donnée, depuis mars 2020, de la Puce à l’oreille, excellente mise en scène de Lilo Baur.

Les innovations concernent aussi les moyens imaginés pour maintenir le lien avec les publics, pendant les confinements et au-delà ! Par exemple, Mathieu Touzé et Édouard Chapot adressent un truculent édito à leur public : « Le Théâtre 14 n’aura ouvert que dix semaines et voici déjà notre 3programmation, qui accompagne notre 4réouverture en un an. Nous sommes devenus des professionnels des  » retrouvailles «  (…) que nous espérons les plus longues possibles ». Les nouveaux directeurs du Théâtre 14 invitent les spectateurs à « guetter les spectacles qui deviendront réalité » avec une programmation conçue « comme un livre de souhaits, un désir poétique de propositions rêvées (…), comme des petites cartes à rebattre au gré du temps et du vent ». Ils ont aussi entendu les revendications d’étudiants en proposant des places à 1 € : « Tout le monde au théâtre, et du théâtre pour tout le monde » ! L’occasion de voir la 7e vie de Patti Smith, de Claudine Galea (jusqu’au 5 juin), ou Dans la solitude des champs de coton, la pièce culte de Bernard-Marie Koltès revisité par Charles Berling (du 11 au 26 juin).

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« Dans la solitude des champs de coton », de Bernard-Marie Koltès mise en scène de Charles Berling, au Théâtre 14 © Nicolas Martinez

Quant à Chaillot, théâtre national de la danse, il a exceptionnellement invité le public à assister aux représentations des The Tree, de Carolyn Carlson et Léo Lérus, ainsi qu’aux répétitions du spectacle de Stephanie Lake. Une décision plutôt de bon augure du tout nouveau directeur Rachid Ouramdane.

Avec ce rapide tour d’horizon de cette singulière rentrée, nous espérons vous avoir quelque peu émoustillés. Qu’on s’indigne ou s’émerveille, le principal est de vivre le spectacle, enfin ! 

Léna Martinelli

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