Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon

Serge Dorny © Philippe Pierangeli

Citoyen d’Europe
et homme d’exigence

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Aux commandes de l’Opéra de Lyon depuis 2003, Serge Dorny peut à juste titre se satisfaire d’un bilan très positif.

L’actualité du travail artistique et technique des équipes qu’il dirige vient d’en témoigner une nouvelle fois. Le mois de mars 2015 aura vu la présentation de trois nouvelles créations brillantes : une œuvre connue – Orphée et Eurydice de Gluck –, une moins connue – les Stigmatisés de Franz Schreker – et une à découvrir – le Jardin englouti de Michel Van der Aa. Cette programmation associant musique baroque, partition postwagnérienne et production avant-gardiste donne une image juste des confrontations qu’aime Serge Dorny lorsqu’il s’exprime avec retenue sur son engagement au service de l’art lyrique.

Les maîtres passeurs

La passion initiale de Serge Dorny pour la musique remonte à l’enfance. Il reste volontairement discret sur cette période de sa vie. Le narcissisme n’est apparemment pas son genre. Il se souvient seulement d’avoir ressenti vers huit, neuf ans comme une espèce d’injonction intérieure que son adolescence et ses années universitaires confirmeront. C’est à Gand, sa ville de cœur, qu’il étudie histoire de l’art, archéologie, musicologie et sciences de la communication tout en suivant une formation au Conservatoire royal de cette même ville. Une première rencontre est déterminante pour lui, celle de son maître en instrumentation et en écriture musicale, Willy Soenen. Professeur sévère et rigoureux, lui-même musicien soliste, chef d’orchestre et compositeur, il transmet à son élève des valeurs d’exigence et de responsabilité. C’est à cette époque que Serge Dorny entame son parcours de spectateur d’opéra. Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach et Mort à Venise de Benjamin Britten comptent parmi ses souvenirs initiatiques. Le premier, parce que vu en France pour le natif belge qu’il est, annonce déjà son envie de franchir les frontières. Le second, bien que présenté dans une mise en scène ringarde, lui procure des émotions encore intactes.

Puis vient la seconde rencontre décisive, celle de Gérard Mortier, directeur du Théâtre de la Monnaie, l’opéra de Bruxelles. Dorny la qualifie de véritable choc. Engagé comme dramaturge musical à vingt‑cinq ans, il a la chance de travailler avec une personnalité extraordinaire. Gérard Mortier, humaniste à la grande culture, fervent partisan d’un renouveau de la création lyrique dont l’imagination et l’audace sont la clef de voûte, transmet à son jeune collaborateur quelques profondes convictions : régénérer l’opéra en le rendant nécessaire et contemporain, rechercher infatigablement de nouveaux talents, s’ouvrir à toutes les couches de la population, défendre l’idée européenne de la culture et pourfendre toutes les formes de nationalisme. Aujourd’hui, Serge Dorny sait dire avec passion et humilité tout ce qu’il doit à ses deux maîtres trop tôt disparus, véritables passeurs d’exception. Ils l’ont convaincu, chacun à leur manière, de l’importance et de l’urgence de l’art, l’un des moyens de pouvoir agir contre les forces mettant en danger l’humanité, quelque chose relevant d’un choix existentiel.

Sens et résistance

Après ces années d’apprentissage entre Gand et Bruxelles vient le temps des expériences en pleine responsabilité. Dorny s’impose comme directeur du Festival des Flandres, puis du London Philarmonic Orchestra et en tant que responsable de la programmation du Festival de Glyndebourne au Royaume-Uni. Quand il est nommé à la direction de l’Opéra de Lyon, armé d’un solide bagage, il préfère affirmer ses engagements ardents plutôt que de l’autosatisfaction. Avec une détermination souriante, il décrit ce qui le motive toujours. Vivant dans un monde encore souvent tragique que la Seconde Guerre mondiale et la chute du Mur n’ont pas apaisé, il reste persuadé qu’il n’y a pas de liberté sans art et réciproquement. Comme des leitmotive, apprendre à se connaître, vivre ensemble, inviter à la réflexion, ne rien asséner, ponctuent son discours. Passant d’une langue à une autre, il répète que nos sociétés ont besoin de lien social, d’une piazza permanente dans la cité, d’un lieu politique au sens premier, la polis grecque ouverte à tous. Flamand de naissance, polyglotte dans son travail, il se doit de sauter par-dessus les barrières frontalières. Pour lui, la rencontre entre les cultures permet de résister aux ghettos, au protectionnisme sans issue.

À ce titre, l’opéra, espace de célébration et d’invention, jouit d’un atout essentiel. La musique et le chant touchent dans toutes les langues. En prenant les précautions indispensables que l’histoire nous enseigne, l’art lyrique peut souvent contribuer à la réconciliation. De nos jours, vivant dans un monde plus global, les chanteurs des jeunes générations circulent de plus en plus, voient leurs choix multipliés. Un nouvel équilibre s’édifie entre prima la musica et prima le parole. L’opéra, sans rien perdre de son identité, s’engage grâce aux metteurs en scène sur la constitution de véritables troupes. Une sorte d’effet à la Mnouchkine souligne l’importance des rôles, des gestes et des contrastes dramatiques. Le culte quasi obsessionnel des stars faiblit.

Quitter Serge Dorny donne le sentiment d’avoir rencontré une forte personnalité, courtoise et cultivée, mettant son infatigable énergie à la disposition de la résistance à tous les préjugés, à tous les stéréotypes susceptibles de freiner le développement de l’opéra. Encore faut-il, comme il le dit lui-même, ne jamais cesser de s’interroger sur le sens de son action pour mieux résister. 

Michel Dieuaide


Photo de Serge Dorny : © Philippe Pierangeli

http://www.opera-lyon.com/

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