Poésie politique et clownesque, avec Visniec
Par Marie Barral
Les Trois Coups
Le mot « oui » ? Plus hypocrite qu’il n’y paraît ! La grammaire ? Une grand-mère qui passe son temps à cuisiner pour nos bouches bavardes. Et la poésie ? Un défouloir pour mots brimés. « Le Cabaret des mots », de Matéï Visneic, est mis en scène par le maître-clown Victor Quezada‑Perez. Entretien avec un jeune homme créatif.
Dans le texte écrit par Matéï Visniec en 2011 *, les mots sont personnifiés. Dans votre pièce, ce sont des clowns qui les incarnent, ce qui n’était pas une indication de l’auteur. Pourquoi ce choix ?
D’une part, le clown est ma spécialité, ou plutôt mon style : je suis clown professionnel depuis quinze ans. D’autre part, le texte de Matéï mélange humour, poésie, absurdité et irrévérence, qui sont autant d’attitudes qui caractérisent bien le clown. Tel un clown, Matéï Visniec ne cesse de se moquer des gens sans qu’ils ne s’en rendent compte.
Le plateau est comme un musée : les clowns-mots sont placés derrière des cadres. Le spectateur formule mille hypothèses pour expliquer cette jolie scénographie : l’encadrement du langage symboliserait sa limitation, son assèchement ou pourquoi pas sa beauté. Quelle a été votre intention de metteur en scène ?
Dans un grenier, on trouve souvent de vieux tableaux poussiéreux représentant des ancêtres dont on ne se souvenait même plus qu’ils avaient été vivants un jour. Le cerveau humain, où traînent des mots que nous utilisons en oubliant qu’ils sont vivants, est pareil à un grenier. Dans le Cabaret, les mots-clowns sortent de leur cadre pour investir le plateau, donc pour revivre. Seul le clown qui prononce un discours politique reste encadré lorsqu’il s’exprime : ce clown a perdu la grammaire, son propos est donc incohérent, son langage mort. Au final, cette pièce poétique traite du pouvoir du langage et dénonce le lavage de cerveau.
La mise en scène a été conçue avec le scénographe Rodin Sotolongo et les comédiens sur trois plans différents de manière à donner de la profondeur au spectacle.
Les cinq clowns étant sans cesse sur scène, on admire les silencieux autant que ceux qui parlent, ne sachant presque plus où donner de la tête.
Un clown est une présence constante. Son visage est comme un masque qui ne cligne jamais les yeux. Car cligner des yeux reviendrait pour lui à éteindre sa lumière intérieure. D’ailleurs, en tuant un clown, on commet un acte particulièrement tragique, puisque l’on tue l’enfance, l’éternelle innocence. Le Cabaret des mots, qui met en scène l’exécution d’un clown, est une pièce dramatique. Dans la dernière création de notre compagnie, Umbral, Mémoire des serpillières (de Visniec), des clowns seront aussi tués : habitants d’un pays en guerre depuis si longtemps, ces malheureux ne savent même plus pourquoi ils se battent…
Le Cabaret des mots : pourquoi avoir un tel titr6e ? Y a‑t‑il, comme dans un cabaret, d’autres numéros clownesques en tiroirs ?
Ce texte n’est pas joué chaque soir au Off dans son intégralité. « Pitre », « tare », « racine »… : certains mots ne sont pas présentés chaque fois. Le spectacle n’est donc jamais le même d’un soir sur l’autre. Cependant, le texte gardé n’est jamais changé.
Vous êtes non seulement clown, mais également maître-clown. Les acteurs du Cabaret des mots ont compté parmi vos élèves. Quelles sont vos maîtres à vous (en matière clownesque) ?
L’écrivain Antonin Artaud [1896-1948], les mimes Étienne Decroux [1898‑1991] et Marcel Marceau [1923-2007] m’inspirent sur le plan corporel. Sur le plan humoristique, j’ai été influencé par Charlie Chaplin et Mafalda. Le Dictateur, de Chaplin, qui m’a notamment énormément fait rire enfant. Par son caractère absurde, Chaplin, dans ce film, est la figure même du clown : il n’a pas besoin de raisons pour agir.
Le clown qui prononce le discours politique évoque, par son costume, le dictateur roumain Ceaușescu. Comme de nombreuses pièces de Matéï Visniec − écrivain roumain exilé en France en 1987 −, le Cabaret des mots dénonce le totalitarisme. En fils d’exilé chilien, vous êtes, vous-même, sensible à ce sujet, semble-t-il ?
Effectivement, mon père, Carlos Quezada, faisait partie du groupe de musiciens à l’origine du titre el Pueblo unido jámas será vencido [enregistré en 1973], encore repris aujourd’hui par les peuples en lutte, et notamment du lors du Printemps arabe. Poursuivi par la police secrète chilienne, il s’est exilé en France. Je suis donc plongé dans la politique depuis que je suis tout petit. Dans le Cabaret des mots, le clown dictateur est non seulement inspiré de Ceaușescu mais également d’hommes politiques français. Dans l’autre spectacle présenté au Off que je mets en scène, la Famille durable et si on parlait de progrès ? [à Présence Pasteur jusqu’au 31 juillet], un certain François Pehiba fait construire une centrale nucléaire en forme de fleur… ¶
Propos recueillis par
Marie Barral
* L’auteur a en partie écrit ce texte en résidence au sein de la Cie Umbral, entre 2012 et 2013 (avec le soutien de la région Île‑de‑France).
le Cabaret des mots, de Matéï Visniec
Cie Umbral
Contact : 35, rue de l’Yser • 92700 Colombes
01 56 05 31 93
Courriel : victor@umbral.fr
Site : www.umbral.fr
Mise en scène : Victor Quezada‑Perez
Avec : Élie Salleron, Victor Quezada‑Perez, Zoé Besmond de Senneville, Maud Dhénin, Antonio Brunetti, Marc Riso, Sacha Guitton, Anna Cottis, Lucas Hénaff, Sarah Blamont, Mathilde Ferron
Régie / scénographie : Rodin Sotolongo
Direction musicale : Osvaldo Calo
Théâtre des Barriques • 8, rue Ledru‑Rollin • 84000 Avignon
http://www.theatredesbarriques.com/
Réservations : 06 52 37 67 41
Du 8 juillet au 31 juillet 2013 à 20 h 15
Durée : 1 heure
15 € | 10,5 € | 7 €
Photo de Victor Quezada‑Perez : © Marie Barral