« Lady Macbeth de Mzensk », de Dimitri Chostakovitch, Opéra de Lyon

« Lady Macbeth de Mzensk » © Jean-Pierre Maurin

L’amour à mort

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Pour présenter à Lyon pour la première fois la version originale de 1934 de « Lady Macbeth de Mzensk », il fallait rassembler autour de l’œuvre de Chostakovitch des talents exceptionnels. C’est chose faite avec Kazushi Ono à la tête de l’orchestre, Dmitri Tcherniakov à la mise en scène, une impressionnante distribution de solistes et des chœurs en pleine forme.

De cet opéra qui déplut à Staline et Molotov et mit en danger la vie du jeune compositeur parce qu’il donnait selon les censeurs une image erronée du modèle officiel de la femme soviétique, il y a à retenir l’incroyable force scénaristique.

Rongée par l’ennui, Katerina, tyrannisée par son beau-père et sexuellement frustrée par l’impuissance de son mari, s’éprend de Sergueï, un employé récemment embauché par l’entreprise familiale. Subjuguée par sa virilité, elle s’abandonne violemment et passionnément. Payant au prix fort sa sensualité libérée, elle empoisonne son beau-père, étrangle son époux avec la complicité de son amant. Tous deux, dénoncés et arrêtés le jour de leur noce, sont envoyés en camp de concentration. Durant leur détention, Sergueï trompe Katerina avec une autre prisonnière. Ne supportant pas d’être trahie, elle tue sa rivale et se donne la mort. D’une rare brutalité, le livret au titre shakespearien accrocheur fait penser au roman d’Émile Zola Thérèse Raquin dans lequel l’héroïne dit qu’« elle n’avait jamais vu un homme » et choisit le crime et le suicide pour exorciser ses démons amoureux. Pour citer une référence différente d’une destinée broyée par le dépassement du refoulement des pulsions érotiques, on est loin de l’Emma Bovary de Gustave Flaubert.

C’est d’abord à Kazushi Ono, le directeur musical, que revient la réussite de ce spectacle. Fin connaisseur de Chostakovitch dont il a dirigé, parmi ses compositions l’opéra le Nez, il s’empare avec maestria d’une partition complexe, riche des influences assumées de Mahler et Moussorgsky. Paroxysmes vertigineux, traits satiriques, mélodies raffinées se succèdent, entre lesquels s’inscrivent de subtils interludes ponctuant le passage d’un tableau à l’autre. Sous la baguette d’Ono, sans aucun effet appuyé, les ravages des amours déchaînées, les suspensions tragiques de la solitude des personnages et l’humour grinçant de certaines situations construisent un bouleversant assemblage. Rien d’étonnant que, avec une telle direction orchestrale, metteur en scène, musiciens, chanteurs et choristes parviennent à l’exécution sans fautes d’une œuvre audacieuse à l’indiscutable modernité.

Une mise en scène d’une force et d’une cohérence implacables

Réputé provocateur et bien qu’il pousse une scène d’attouchements jusqu’au viol et fasse achever à coups de matraque le corps agonisant de Katerina, Dmitri Tcherniakov réalise une mise en scène d’une force et d’une cohérence implacables. Auteur également des décors, il enclave la chambre de sa Lady Macbeth dans les locaux de l’entreprise de logistique dirigée par son beau-père. L’enfermement n’est pas seulement d’ordre psychologique, mais associé aux dérives du libéralisme, au sexisme qui dégrade les relations sociales. Quoiqu’un peu massive, la scénographie opère comme un piège qui conduira Katerina à se révolter pour tenter de vivre en femme libre de ses désirs. Au neuvième et dernier tableau, un autre piège se referme. Une étroite et insalubre cellule se substitue à l’imposante architecture de l’usine. Avec toute la force de ce qu’on appelle en écriture cinématographique une réduction à l’iris, Tcherniakov parvient théâtralement à rendre compte de l’impasse terrifiante où s’achève le parcours autodestructeur des amants maléfiques.

Bien encadré par les partis pris de l’orchestration, il évite tout surlignage et son actualisation des situations et des personnages produit un spectacle aux émotions intenses.

Il faut enfin rendre un hommage particulier aux interprètes, tous au sommet de leur art face à une partition exigeant des moyens vocaux hors du commun et des capacités dramatiques extraordinaires. Ausrine Stundyte (Katerina) pratiquement toujours en scène pendant trois heures, dotée d’une voix puissante, souple et expressive, compose un redoutable personnage d’amoureuse enragée. Qu’elle apparaisse en bourgeoise élégante et déterminée, en bru impitoyable et rouée, en femelle dévastée par sa libido, en costume de fausse vierge lors de son second mariage, en Marie‑Madeleine pansant les blessures de son amant ou en furie meurtrière, elle se fait aimer et haïr, condamner et pardonner avec une palpitante virtuosité. À ses côtés, John Daszak (Sergueï) imposant macho, redoutable menteur incapable de maîtriser sa sexualité, incarne un séducteur diabolique assumant tous ses crimes pour assouvir ses instincts. Face à ce couple délétère, Vladimir Ognovenko (Boris, le beau-père) en patron paranoïaque et Peter Hoare (premier époux de Katerina) en fantoche hystérique contribuent fortement au succès saisissant de cette création. 

Michel Dieuaide


Lady Macbeth de Mzensk, opéra en quatre actes et neuf tableaux, de Dimitri Chostakovitch, livret du compositeur et d’Alexandre Preis, d’après une nouvelle de Nicolaï Leskov

Direction musicale : Kazushi Ono

Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov

Avec : Ausrine Stundyte (Katerina), Vladimir Ognovenko (Boris), Peter Hoare (Zinovy Borisovitch Ismaïlov), John Daszak (Sergueï), Clare Presland (Aksinia, une détenue), Jeff Martin (balourd miteux), Gennady Bezzubenkov (le pope, un vieux bagnard), Almas Svilpa (le chef de la police), Michaela Selinger (Sonietka), Kwang Soun‑kim (un boutiquier), Paolo Stupenengo (le portier, l’employé du moulin, une sentinelle), Yannick Berne, Brian Bruce, Philippe Maury (trois commis), Philippe Maury (le cocher), Paul‑Henry Vila (un policier, un sergent), Didier Roussel (le maître d’école), Hidefumi Narita (un invité ivre)

Costumes : Elena Zaytseva

Lumières : Gleb Filshtinsky

Chef des chœurs : Philip White

Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon

Assistant à la direction musicale : Bohdan Shved

Assistant à la mise en scène : Thorsten Cölle

Assistante aux décors : Ekaterina Mochenova

Traductrice : Delia Roubtsova

Chefs de chant : Nino Pavlenichvili, Futaba Oki

Régisseurs : Marion Rinaudo, Patrick Azzopardi, Elsa Littner

Les équipes techniques de l’Opéra de Lyon

D’après la production créée au Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf

En coproduction avec : English National Opera, Gran Teatre del Liceo de Barcelona

Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon

www.opera-lyon.com

Courriel : contact@opera-lyon.com

Tél. 04 69 85 54 54

Représentations : les 23, 25,27, 29 janvier 2016 à 20 heures, le 31 janvier à 16 heures et les 2, 4, 6 février 2016 à 20 heures

Durée : 3 heures avec entracte

Tarifs : de 94 euros à 10 euros

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