Vite fait, mal fait
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
À l’Élysée de Lyon, le Studio Monstre crée « le Moche » de Marius von Mayenburg dans une mise en scène de Mathilde Souchaud.
Écrite en 2007, la courte pièce du dramaturge allemand contient un procès au vitriol de la société néolibérale qui domine notre siècle. Elle met en scène dans une langue acérée et virtuose quatre spécimens du monde économique dont les relations impitoyables sont fondées sur le profit. Agissent, dans ce contexte, un bel et jeune ingénieur, brillant chercheur avide de faire fortune de ses découvertes ; son assistant pusillanime, impatient de prendre sa place ; son patron cynique, prêt à tout pour s’enrichir et son épouse nymphomane, qui le pousse à céder à toutes les femmes excitées par sa réussite.
Une décision unilatérale du chef d’entreprise de transformer l’image, y compris physique, de son collaborateur fait exploser les rapports professionnels et intimes entre les différents protagonistes. Une course absurde et délirante est lancée. Décrété laid, le bouillonnant chercheur accepte de changer de visage. Son second consent aussi à être opéré pour le remplacer. L’entrepreneur exulte. Violent et sarcastique réquisitoire contre la dictature de l’image, le Moche développe une variation cruelle et cinglante évoquant les figures mythiques de Cyrano de Bergerac et du Dr Frankenstein. La pièce, sorte de vaudeville moderne, s’interroge sur la perte de l’identité, l’obsession du paraître, la tentation d’uniformiser l’humanité.
Confondant souvent perspicacité et simplification, expressivité et banalité, vitesse et précipitation, la metteuse en scène et ses interprètes donnent à maintes reprises l’impression d’être passés à côté de la richesse du contenu. La scénographie, par exemple, participe par son aspect illustratif à la réduction du propos. À jardin, un vaste coussin, lieu des ébats érotiques. Au centre, une cabine éclairée par un Scialytique pour les opérations chirurgicales. À cour, un bureau directorial, un fauteuil design, trois marches pour signifier la nécessité sociale de gravir les échelons ; sans oublier un micro permettant d’imposer son pouvoir et un inattendu mixer pour fruits frais, histoire de souligner la toute-puissance de celui qui broie le destin d’autrui. L’ensemble de ce dispositif est lourdement pédagogique par rapport à un texte virevoltant qui réclamerait plutôt un plateau nu où seuls les corps et les voix suffiraient à mettre en valeur la langue rageuse et poétique de Marius von Mayenburg. Qui plus est, à dominante blanche, le décor se dissout entre les murs blancs du plateau de l’Élysée. Et il ne faut pas compter sur les costumes d’une grande platitude pour créer un quelconque relief.
Déçoit également la répétitivité des codes de jeu choisis. Très fréquemment en adresse au public, développant un volume vocal excessif sans nécessité puisque aucun spectateur ne se trouve à plus de cinq mètres des comédiens, les personnages s’affrontent souvent collés l’un à l’autre, façon pesamment explicative de signifier que même en ayant changé de visage, l’on reste profondément identique dans le regard de son semblable. En outre, la célérité effrénée du débit des mots affadit les subtiles nuances d’une écriture s’élevant parfois jusqu’à une pensée métaphysique. Emportant le public dans un courant torrentiel de répliques, les acteurs paraissent avoir oublié que le temps de l’émetteur (le comédien) n’est pas celui du récepteur (le spectateur). C’est ce qu’on enseigne dans les écoles d’art dramatique et qui n’empêche pas de varier les rythmes en fonction des situations.
En allemand, der Häßliche (« le Moche ») associe laideur et méchanceté. J’ai quitté la représentation de fort méchante humeur et abasourdi. Dommage. ¶
Michel Dieuaide
Voir la critique du Moche au Rond-Point par Olivier Pansieri pour les Trois Coups
le Moche, de Marius von Mayenburg
Traduction : René Zahnd et Hélène Mauler
Le texte est publié chez L’Arche éditeur, agent théâtral du texte représenté
Mise en scène : Mathilde Souchaud, assistée de Théophile Sclavis
Avec : Sophie Engel, Titouan Huitric, Yoann Gasiorowski, Simon Pineau
Scénographie : Gala Ognibene
Création lumière : Arthur Gueydan
Création sonore : Guillaume Vesin
Costumes : Marion Benages
Régie lumière : Théo Tisseuil
Production : Studio Monstre
Avec le soutien du Goethe Institut
L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon
Courriel : theatre@lelysee.com
Tél. 04 78 58 88 25
Représentations : du 5 au 9 janvier 2016 à 19 h 30
Durée : 1 heure
Tarifs : 12 euros, 10 euros, 8 euros