Dompteur de feu
Il est complètement allumé, Nicolas Fraiseau, l’auteur d’Instable (lire la critique de Laura Plas). À présent, il invoque le Dieu du feu : « Y a quelqu’un ? ». Depuis les dessous, l’écho laisse penser que ce drôle de personnage ne va pas tarder à sortir de sa grotte. Plutôt ours que félin, il ne manque pas pour autant de souplesse. Pendant une heure, il va brosser l’histoire du feu, en somme celle de l’humanité, sans texte, car son langage s’apprend. Il lui faut apprivoiser cet élément aussi fascinant que dangereux. Le dompter. D’un point de vue circassien, la spécialité de Nicolas Fraiseau n’occupe pas une place centrale. Le mât chinois n’arrive qu’à la fin, mais quel moment incandescent ! Et ce n’est pas le seul qui nous laisse bouche bée. Ignis regorge d’images fortes.
Feu furieux ?
Nicolas Fraiseau procède par fulgurances poétiques. Dans le feu de l’action, un chalumeau devient une arme fatale afin d’éloigner les prédateurs. Si la domestication du feu fut une réelle avancée, l’homme ne deviendrait-il pas féroce à tant vouloir contrôler la nature ? De l’étincelle au brasier, le feu danse, se transforme. Les bougies finissent par brûler et de simples allumettes annoncent des révoltes. Ces flammèches sur la cendre, cet arbre embrasé, la peau craquelée du clown évoquent évidemment le réchauffement climatique. Et si l’histoire de l’humanité n’était qu’une histoire de combustion ? Tandis que notre monde brûle, le Collectif Sismique nous raconte cet acte fondateur qui nous a fait basculer de l’animal vers l’humain, mais qui peut également nous faire disparaître.
De mèche
Il n’y a pas plus insaisissable que le feu. Alors, quel défi, cette proposition sous chapiteau ! On se sent pourtant en sécurité. L’équipe technique nous explique qu’il y a des extracteurs et extincteurs partout, des trappes de désenfumage, que tout est évidemment ignifugé. L’équipe est habilitée aux évacuations. Effectivement, des prises de risques, il y en a, même si l’on n’est pas dans une veine spectaculaire, telles la Cie Carabosse ou Deabru Beltzak, d’ailleurs programmées dans le cadre de Mosaïque (D’Arbre en Arbre; Symfeuny). Expertes en la matière, ces compagnies œuvrent en extérieur (lire notre reportage à L’Onde Vélizy Villacoublay).
© Gregory Rubinstein © Tomas Amorim
Oui, Nicolas Fraiseau fait feu de tout bois, utilisant des moyens originaux pour nous sensibiliser aux menaces, mais sans coup d’éclat. Juste quelques effets, avec une délicate maladresse. Comme tous les clowns, Nicolas Fraiseau assure son entrée. Fracassante et forcément drôle. Il ouvre le feu ! Puis, il occupe la piste dans son entièreté, y compris les hauteurs, en nous mettant sens dessus dessous. Car le spectacle sollicite aussi bien la vue que l’odorat. Toutefois, on n’est jamais gêné par la fumée, ni les odeurs (pas de pétrole). En revanche, la température monte vite.
Là, dans ce cirque de 200 places, la communauté prend tout son sens. Au sein de ce cercle intime, le clair-obscur suggère le foyer. Les jeux de lumière et de matière sont magnifiques. Dans cet écrin, on est fasciné par une flamme vacillante dont on doit prendre soin, une lanterne vraiment magique, toutes ces métamorphoses qui évoquent la fragilité de notre monde. Non sans nostalgie, l’esthétique s’appuie sur une poétique de l’archaïque.
Feu sacré
Plutôt que le grandiose, le minuscule, donc. Pourtant, avec Léa de Truchis, cofondatrice du Collectif Sismique et dramaturge, le jeune homme a choisi de développer l’aspect sacré : « Entre destruction et renaissance, enfer et rédemption, Eros et Thanatos, chaleur réconfortante et vitale ou brûlure mordante et dangereuse, le feu combine une capacité à la transformation et une évocation des mythes fondateurs qui en fait une matière formidable de création », expliquent-ils. Ils nous tendent un miroir saisissant de nos passions, de nos peurs, mais surtout, pour mieux nous inviter à la contemplation, de nos élans vitaux.
© Jean-Marc Héliès
Le feu céleste prime sur le feu d’artifice. Et c’est éclairant. Certes, maîtriser la technique a été déterminant pour l’évolution de notre espèce. Le confort et la sécurité que le feu a apportés, la source d’énergie, ses multiples usages, sans oublier les rites, facteur important de socialisation, sont notables. Mais à force de jouer avec le feu…
Sept ans après Instable, Nicolas Fraiseau a ainsi créé ce nouveau solo, tiré d’un rêve : enflammer un mât chinois. Voilà chose faite, et bien faite ! Lauréat de la bourse d’aide à l’écriture cirque association Beaumarchais SACD pour Ignis, il est également finaliste Circus Next 2024 et lauréat du dispositif Écrire pour le cirque 2024 d’Artcena. Cet artiste est décidément à suivre ! En tout cas, nous lui conseillons de faire long feu.
Léna Martinelli
Ignis, de Nicolas Fraiseau
Site du Collectif Sismique
Avec : Nicolas Fraiseau
Dramaturgie : Léa de Truchis
Collaboratrice artistique : Delphine Cottu
Regard clown et circulaire : Servane Guittier
Regard chorégraphique : Léo Lerus
Regard complice : Constance Bugnon
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Friche Gournay • Faïencerie Théâtre de Creil • 21, rue des usines • 60100 Creil
Le 5 septembre 2025
Tournée :
• Du 3 au 5 octobre, PALC, PNC Châlons-en-Champagne (51)
• Du 19 au 24 octobre, dans le cadre de CIRCa, à Auch (32)
• Du 14 au 16 novembre, Le Champ de Foire, à Saint-André de Cubzac (33)
• Du 5 au 7 mars, CREAC, à Bègles (33)
• Les 13 et 14 mars, dans le cadre de Spring, à Saint-Pair-sur-mer (50)
• Du 19 au 21 mars, dans le cadre de Spring, dans l’Agglo de Rouen (76)
• Du 26 au 28 mars, dans le cadre de Transversales, Tournée Grand Ciel, à Verdun (55)
• Les 3 et 4 avril, dans le cadre de Transversales, Tournée Grand Ciel, à Montmedy (55)
• Du 9 au 11 avril, ACB scène nationale, Tournée Grand Ciel, à Ancerville (55)
• Du 24 au 26 avril, ACB scène nationale, Tournée Grand Ciel, à Commercy (55)
• Du 1er au 3 mai, dans le cadre de Pisteurs d’Étoiles, Tournée Grand Ciel, à Obernai (67)
• Du 22 au 24 mai, Cirk Éole, Tournée Grand Ciel, à Montigny les Metz (57)
Photo de une : © Jean-Marc Héliès
