« les Physiciens », farce apocalyptique, de Friedrich Dürrenmatt, l’Élysée à Lyon

les Physiciens © Alexandra Fillon

Cluedo génial

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

On connaît mal Dürrenmatt. C’est pourtant un écrivain de l’absurde, proche de Beckett, Ionesco ou Jarry, même s’il se reconnaissait davantage dans l’étiquette de « burlesque ». Dans ces « Physiciens » qu’il nomme « farce apocalyptique », il aborde avec l’humour du désespoir la grande question de l’avenir de l’humanité livrée aux élucubrations des professeurs Nimbus et autres Tournesol de l’atome.

Cette comédie est d’abord un incroyable puzzle, un casse‑tête qui joue sans cesse avec le spectateur, l’envoie sur une piste pour virer à 180° l’instant d’après, le perdre et l’emporter ailleurs. Voici l’histoire : trois physiciens sont enfermés dans un asile de fous, plus ou moins à l’écart des autres malades en raison de leur dangerosité. Ils se prennent pour Newton, Einstein et Möbius [1790-1868], mathématicien inventeur du ruban du même nom, qui, dans la pièce, reçoit ses ordres directement du roi Salomon. Mais il arrive à Newton de se prendre pour Einstein… Et l’on découvre que cette folie n’est peut‑être qu’une couverture… ou peut‑être pas. Vu dans ce sens, ça fait froid dans le dos, ces immenses savants qui inventent innocemment des théories et des lois de l’univers qui mettent en péril notre chère Terre. D’autant que la p6ièce a été écrite dans le contexte de la guerre froide…

Enfermés avec eux, les trois cadavres des infirmières qui ont été un bref moment vivantes et très (trop, hélas) séduisantes, le policier chargé de l’enquête, l’infirmier psychiatrique aux gros bras et à la courte cervelle qui leur succédera et la directrice de l’établissement, plutôt revêche, qui se révélera… Mais n’anticipons pas ! Intermède avec la visite de l’ex‑femme de Möbius, accompagnée de son nouveau mari et de leurs trois fils…

La pièce, déjà, est drôle, brillante et stimulante. Rien n’est vraisemblable, ni même logique. Dürrenmatt s’en moque comme d’une guigne, qui préfère, et de loin, une mécanique théâtrale bien huilée. À preuve, la longue didascalie d’ouverture dans laquelle il explique vouloir respecter les trois unités, ce qui, en ce qui concerne le temps, est déjà mis à mal. Mais tout est relatif, n’est‑ce pas, mon cher Einstein ? Et pourtant, voici une pièce authentiquement policière qui soumet nos neurones de spectateurs à rude épreuve.

Des comédiens hors pair pour une mise en scène au scalpel

La mise en scène est du même acabit : infiniment drôle, intelligente, elle emprunte à bien des codes et des formes théâtrales. Thomas Poulard a d’abord choisi un décor de théâtre de boulevard, avec ses trois portes au lointain (bien grand mot pour le tout petit plateau de l’Élysée), son canapé, sa lampe à l’abat‑jour frangé… Mais il sème aussi le trouble dans nos repères temporels en ajoutant une télévision qui va occuper l’inactivité des patients et leur offrir un programme culturel, c’est‑à‑dire scientifique, vu côté bloc de l’Est (pas moins effrayant, loin de là, que nos trois savants psychopathes) ! Newton apparaît dans le cadre avant d’arriver « en pied », les pistolets sont des jouets qui tirent des balles en caoutchouc mou, et tout le monde joue à se faire peur, les uns et les autres se jetant au sol comme dans n’importe quelle série B.

Chacun des comédiens – Adeline Benamara, Carl Miclet, Bruno Paviot, Rémy Rauzier, Christian Scelles – joue sa partition avec précision et inventivité, apportant sa pierre à l’efficacité de l’ensemble. Le numéro des trois fils joué comme dans un dessin animé ou une bande dessinée par un même comédien sautant de place en place, par exemple, est à mourir de rire. La direction d’acteurs est parfaitement maîtrisée, et tout le spectacle est tenu, tendu, vif, intelligent. Ça marche, évidemment ! 

Trina Mounier


les Physiciens, farce apocalyptique, de Friedrich Dürrenmatt

Mise en scène : Thomas Poulard

Avec : Adeline Benamara, Carl Miclet, Bruno Paviot, Rémy Rauzier, Christian Scelles

Scénographie : Benjamin Lebreton

Lumières : Bruno Marsol

Son : Régis Sagot

Réalisation vidéo : Stéphan Castang

Costumes : Sigolène Petey

Photo : © Alexandra Fillon

Administration de production : Aurélie Maurier (Le Bureau éphémère)

Production : Cie du Bonhomme

Coproduction Théâtre de Vienne, C.C.S.T.I. la Rotonde, École des mines de Saint‑Étienne

L’Élysée • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon

Réservations : 04 78 58 88 25

Site : www.lelysee.com

Du 24 au 27 et du 29 au 31 octobre 2012

Durée : 1 h 40

Tournée :

  • Dôme Théâtre à Albertville, 12 novembre 2012 à 20 h 30
  • Amphithéâtre à Pont‑de‑Claix, 14 novembre 2012 à 20 h 30 et 15 novembre 2012 à 14 heures
  • Château rouge à Annemasse, 20 novembre 2012 à 14 heures et 20 h 30
  • Théâtre de Vienne, 22 et 23 novembre 2012 à 20 h 30

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