Stanislas Nordey sans partage
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Éric Vigner, qu’on a connu mieux inspiré, monte le « Partage de midi », une croisière interminable à bord du paquebot claudélien, arrivant du Théâtre national de Strasbourg. Restent des décors raffinés et Stanislas Nordey, magistral dans le rôle de Mesa.
La pièce est donnée dans sa version primitive de 1906, la plus rimbaldienne. Éric Vigner la met en scène à la manière d’un Nô en habits, plus hermétique encore que le japonais. Pour ne rien simplifier, il commence par la fin et dans le noir. Mesa, ou plutôt une voix, demande des comptes à une dame occupée à brûler ses lettres. Toute la pièce sera donc un flash-back. Admettons. Pour l’instant, c’est surtout un texte de haute volée qui tombe à plat, faute d’enjeu.
La lumière nous révèle enfin une Chine coloniale plutôt réussie, mais toujours pas les mobiles des protagonistes. Amalric (Alexandre Ruby) serait une sombre brute, De Ciz (Mathurin Voltz) une silhouette, Mesa (Stanislas Nordey) un type compliqué, tous censément épris d’Ysé (Jutta Johanna Weiss), une casse-pieds minaudière. En fait, ils vont et viennent sans raison apparente. La dame les aguiche, les asticote, puis miaule à tue-tête ses innombrables « Aââââ ! », avant de débiter le reste d’un ton monocorde. Le vieux truc des ruptures, ici ramené à un tic.
Allez comprendre
Le deuxième acte, dans lequel esprit et chair sont censés lutter, convainc à peine mieux. Stanislas Nordey y déploie pourtant des trésors de sensibilité ; Jutta Johanna Weiss, hélas, les parasite de ses simagrées. Or Ysé incarne au contraire l’évidence, le naturel, l’ingénuité même de l’amour prêt à tout pour régner. « Et qu’il meure s’il veut ! dit-elle de son mari. Tant mieux s’il meurt », comme un blanc-seing pour une perdition, que donc ici rien n’indique. Tout se passe bizarrement à l’ombre de la statue géante d’un matelot de fête foraine, dont le sens m’échappe.
Les enfants, passés à la trappe, ressurgissent au troisième acte, dont l’adultérin. Ouf ! Enfin un semblant de dilemme. Dehors, la révolte gronde, alors qu’Ysé est retournée vers le farouche Amalric, tout de même bien sombre pour un viveur. Tous deux s’apprêtent à mourir. Survient alors Mesa, résolu à reprendre femme et enfant. L’heure est aux règlements de comptes, voire au pugilat, mais l’action s’accommode mal du traitement hiératique de ce spectacle mollasson. Le naturalisme y fait toutefois irruption sous la forme de brusques coups de feu. Allez comprendre.
Enfin seul !
Pour faire du (mauvais) Claudel : « Voici que Mesa n’est plus ». Le personnage, alors, se relève et c’est le miracle. Cette scène prodigieuse à elle seule rachète tout le spectacle, sinon les amants qu’on n’aura pas vus. Stanislas Nordey nous fait l’offrande d’un splendide dialogue posthume, tant avec lui-même qu’avec Dieu. Loué soit-il.
Olivier Pansieri
Partage de midi, de Paul Claudel
Scénographie et mise en scène : Éric Vigner
Avec : Stanislas Nordey, Alexandre Ruby, Mathurin Voltz, Jutta Johanna Weiss
Lumière : Kellig Le Bars
Son : John Kaced
Costumes : Anne-Céline Hardouin
Maquillage : Anne Binois
Durée : 2 h 40
Photo © Jean-Louis Fernandez
Théâtre national de Bretagne • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Mercredi 12 décembre à 20 heures, jeudi 13 décembre à 19 h 30, vendredi 14 décembre à 20 heures, samedi 15 décembre à 15 heures, lundi 17, mardi 18, mercredi 19 décembre à 20 heures
Réservations : 02 99 31 12 31
De 11 € à 27 €