« À cheval sur le dos des oiseaux », « L’art d’avoir toujours raison », « Le soleil brille pourtant dehors », « Indestructible », TNP Villeurbanne, Théâtre de l’Élysée, Les Célestins, Lyon

Indestructible © Blandine Soulage

Jeune création à Lyon

Trina Mounier
Les Trois Coups

Véritables découvertes promises à un grand avenir ou feux de paille ? Qui le dira ? Ces quatre spectacles (de la cie Germ 36, cie Cassandre, Maison Vague, cie Paupières mobiles et cie Krasna Léa Jousse) ont retenu notre attention. Nous les suivrons… pour qu’ils fassent leurs preuves.

Au TNP

À cheval sur le dos des oiseaux est un vrai coup de cœur que nous devons d’abord à Céline Delbecq, son autrice, lauréate des Journées d’autrices et auteurs de théâtre 2021 (JLAAT). Pierre Germain et Pauline Hercule, très impliqués dans ce prix, ont découvert ensemble ce monologue d’une femme considérée comme arriérée mentale qui se bat avec maladresse mais courage contre l’administration qui s’apprête à lui retirer la garde de son fils unique, Logan.

« À cheval sur le dos des oiseaux » © Jacques Grison

La démarche de l’institution n’est pas dénuée d’argument : la mère a cassé le bras de l’enfant au cours de son sommeil un peu aviné. Mais pour Carine, être maman est tout ce qu’elle a : un statut, une raison de vivre, un amour inconditionnel. L’actrice qui l’interprète avec brio, intelligence et sensibilité, Virginie Colemyn, n’est pas une inconnue. Elle a joué avec les plus grands, notamment Stéphane Braunschweig et Gwenaël Morin. Elle prend son public au cœur et à la gorge et ne le lâche plus durant l’heure et demie de spectacle. À elle seule elle donne à son personnage toutes les raisons possibles de lui contester sa capacité à s’occuper de son enfant, tout autant qu’elle déploie les différentes dimensions de son humanité, de son amour, un peu trop dévorant, de sa misère aussi.

Ce sans faute absolu de la comédienne cache cependant la question de la mise en scène. La scénographie un peu envahissante est inutilement lourde avec Pauline Hercule juchée sur son synthétiseur, méconnaissable avec son chapeau pointu, puis sur son véhicule qui parcourt la scène. On ne sait pas non plus à quoi correspondent les colonnes de cartons descendus des cintres. Certes, les monticules de dossiers devant elle illustrent la poussière bureaucratique, mais il aurait été tout aussi efficace de s’éclipser devant une interprète magistrale.

« L’art d’avoir toujours raison » © Émile Zeizig

Nous avions pu voir une version éclair de la maquette présentée par Sébastien Valignat et Logan de Carvalho à l’occasion de la présélection du festival Incandescences. Disons-le tout net, nous n’avions pas été emballés par leur Art d’avoir toujours raison, satire d’une formation à destination des politiques pour mieux gagner les élections. Certes, c’est amusant, les travers des messages, mimiques et traits de comportements des candidats sont plutôt bien troussés. Et les comédiens, dont Sébastien Valignat accompagné d’Adeline Benamara, sont assez drôles. Mais le procédé est répétitif et, s’il est vrai que la répétition est l’arme du rire, cela devient vite par trop prévisible. Bref, même si la salle leur était acquise, on avait plus l’impression d’être devant son petit écran ou à un spectacle de MJC.

Au Théâtre de l’Élysée

Nous avons heureusement vu deux spectacles qui nous ont convaincus et touchés. Nous devons le premier à une toute jeune compagnie qui crée pour la première fois et c’est un coup de maître. Le Soleil brille pourtant dehors est un spectacle singulier, une véritable création qui surprend par son air de jamais vu.

« Le Soleil brille pourtant dehors » © Mathilda Bouttau

Créé par trois artistes techniciens, Louen Poppé et François Geslin, côté son, ainsi que Mathilda Bouttau, côté lumière, leur collectif Maison Vague donne le ton : dans le texte de Marine Chartrain, il est beaucoup question d’insaisissable, de dérobade, de trappe entre hier et aujourd’hui, de passage entre les vivants et les morts. La scénographie joue donc un rôle essentiel et on comprend l’intérêt d’une telle association qui évite la psychologisation et se concentre sur l’atmosphère.

L’idée de l’autrice est digne d’un thriller : les deux personnages principaux qui habitent une maison en bordure de forêt vivent difficilement avec le fantôme de leur petite fille mystérieusement disparue. Les hypothèses se multiplient, les épisodes inquiétants s’enchaînent sans que l’on ne puisse rien expliquer. La grande réussite de ce spectacle est justement dans la ramification des pistes et des ambiances, sans pour autant qu’on se sente frustré de ne pas trouver la clé de l’énigme. Ce collectif est décidément bien prometteur. Il va falloir guetter leur prochain essai.

Au Théâtre des Célestins

Reste Indestructible, pièce née de la rencontre entre une compagnie parisienne, Paupières Mobiles, et une autre de Marseille, Krasna, est, elle aussi, inattendue. Manon Worms et Hakim Bah s’emparent du roman autobiographique du militant d’extrême gauche Robert Linhart, L’Établi, qui y raconte une expérience qui connut son heure de gloire, celle d’étudiants de la mouvance de 1968 ayant quitté l’université pour travailler en usine, y découvrir la classe ouvrière version réelle et tenter d’établir des ponts entre les uns et les autres.

« Indestructible », de Manon Worms et Hakim Bah © Blandine Soulage

Outre que la pièce est admirablement mise en scène, avec reconstitution de l’intérieur des usines Peugeot, grâce à des éléments de voiture (évoquant la fragmentation du travail à la chaîne), elle montre à la fois les rêves et les désillusions. Cela parle de solidarité et de lutte sociale, du presqu’insurmontable fossé entre les classes sociales, donne vie à un pan d’histoire. La pièce se suit comme un polar. C’est passionnant et émouvant. Un travail très abouti d’un texte, lauréat du Fonds SACD Théâtre 2024.

Trina Mounier


À cheval sur le dos des oiseaux, de Céline Delbecq
Le texte, lauréat des Journées de Lyon des Autrices et Auteurs de Théâtre, est publié aux Editions Lansman
Cie Germ 36
Mise en scène : Pierre Germain et Pauline Hercule
Avec : Virginie Colemyn
Musique et bruitage : Pauline Hercule
Scénographie : François Dodet
Lumière : Lucas Collet
Composition musicale : Mathieu Ogier et Pauline Hercule
Durée : 1 h 15
TNP Villeurbanne • 8, place Lazare Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 10 au 23 janvier 2025

L’Art d’avoir toujours raison, de Logan de Carvalho et Sébastien Valignat
Cie Cassandre
Avec : Adeline Benamara et Sébastien Valignat
Création vidéo : Clément Fessy et Benjamin Furbacco
Durée : 1 h 15
TNP Villeurbanne • 8, place Lazare Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 9 au 22 janvier 2025
Tournée ici 

Le Soleil brille pourtant dehors, de Marine Chartrain
Maison Vague
Mise en scène, jeu, technique : Louen Poppé, François Geslin, Mathilda Bouttau
Durée : 1 heure
Théâtre de l’Élysée • 14, rue Basse Combalot • 69007 Lyon
Du 14 au 17 janvier 2025

Indestructible, de Manon Worms et Hakim Bah
Paupières Mobiles et cie Krasna Léa Jousse
En votre compagnie
Avec : Émilien Audibert, Katell Jan, Adil Laboudi, Julie Moulier, Assane Timbo, Olivier Werner
Durée : 1 h 50
Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 8 au 18 janvier 2025
Tournée
• Du 27 janvier au 8 février, Théâtre de la Cité Internationale, à Paris

Photo : « Indestructible », de Manon Worms et Hakim Bah © Blandine Soulage

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories