Ça vaut surtout la peine
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Avec « À l’Ouest », le collectif Bajour retrouve secrets de famille et célébration du collectif … au risque de forcer le trait. Car c’est bien à la conquête de nouveaux territoires sonores et visuels que le spectacle s’impose et parvient à créer les plus délicates émotions.
Cinq frères et sœurs, héritiers d’une maison, s’y sont retrouvés. Ils étaient au chômage, alors, ils sont restés ensemble : joyeux bordel, cacophonie fraternelle augmentée par la présence d’un voisin amoureux. Ils ont joué comme des enfants, hurlé comme des enfants qui pourraient s’offrir le luxe de ne pas grandir. Paradis ou enfer ? Il s’avère d’autant plus difficile de trancher la question que la maison a brûlé et que deux membres de la tribu en sont morts. Ce n’est là qu’une partie de l’histoire. L’autre, douloureuse, raconte le deuil, les ruses pour affronter ou feinter la mort. Spiritisme, enregistrements de bandes sonores, souvenirs ouvrent de vastes et beaux domaines de théâtre.
On retrouve bon nombre d’ingrédients du cocktail Bajour : le collectif, le jeu sur la porosité entre la réalité et ses revers (rêves, fantasmes, fantômes) et le mélange entre joie et larmes. Mais justement, mais paradoxalement, ce serait plutôt là que la proposition serait la moins convaincante. On avait aimé la déflagration d’énergie du groupe. Or, ici, on a parfois l’impression qu’on parle à vide, qu’on s’excite ou crie pour rien. Et le fait que tous ces traits soient assumés, thématisés même par la pièce ne parvient pas à effacer ce sentiment. On a envie de dire : « Hey, les gars, on sait que vous êtes de supers comédiens, arrêtez de faire votre show ».
Retrouver le sens du collectif avec le c(h)oeur
Heureusement qu’il y a les filles pour jouer un autre jeu, mezzo voce. Nul doute que le spectateur se souviendra d’une scène de spiritisme, belle comme un tableau de George de La Tour, et d’une autre, poignante, qui se déroule à l’hôpital. La peine y a des accents de vérités, elle semble venir de l’intérieur. Moins de mots, alors, ils sont de vains remparts. On ne joue plus… on chante. Les moments de chœur sont moments de grâce et on y retrouve vraiment le collectif.
Et puis, comme le laisse présager le titre, c’est en partant à la conquête de nouveaux territoires, à l’ouest que le collectif convainc. En effet, une scénographie simple et sensuelle nous embarque. Le travail sur les lumières de Julia Riggs la magnifie. Tout en finesse, il permet le surgissement des ombres bien aimées, les transitions fluides entre passé et présent. L’ambiance conçue est à la fois intime et onirique. Elle fait apercevoir les lueurs ciselées d’un incendie tout aussi psychologique que matériel. Enfin, la mise en scène puise aux ressources variées de la création sonore en faisant coexister des voies chuchotées grâce aux micros H.F, des cris, des sons enregistrés notamment. Les trouvailles sur ces points démontrent que parfois il faut oser faire un feu de joie du passé… pour pouvoir avancer et se renouveler. 🔴
Laura Plas
À l’Ouest, du collectif Bajour
Site de la compagnie
Mise en scène : Leslie Bernard, Matthias Jacquin
Avec : Leslie Bernard, Julien Derivaz, Julie Duchaussoy, Matthias Jacquin, Hector Manuel, Asja Nadjar en alternance avec Adèle Zouane, Georges Slowick, Alexandre Virapin
Scénographie : François Gauthier Lafaye
Création et régie lumière : Julie Riggs
Création et régie son : Marine Iger
Durée : 1 h 30
Dès 14 ans
Théâtre Public de Montreuil • Salle Maria Casarès, 63, rue Victor Hugo • 93100 Montreuil
Du 10 au 27 octobre 2022, du lundi au vendredi à 20 heures et le samedi à 18 heures (relâche le dimanche)
De 8 € à 23 €
Réservations : 01 48 70 48 90 ou en ligne
Tournée ici :
• Le 7 janvier 2023, Théâtre des Jacobins, à Dinan (22)
• Le 19 janvier, Salle Louis Jouvet, à Vitré (35)
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