Rien de divin chez « Amphitryon »…
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups
« Amphitryon » est un tube théâtral. Cette histoire de vols d’identités, de doubles et de supercheries semblait contenir tous les ingrédients pour un moment jubilatoire, provoquant l’esprit et réjouissant les sentiments. Et bof ! Si les dieux de l’Olympe ont visité la pièce mise en scène par Sébastien Derrey, ils ne sont pas restés longtemps.
La salle n’était pas pleine : cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Certes, le public du « Garonne », nourri à la crème du théâtre contemporain, est devenu probablement très exigeant, mais ce soir-là, la sanction est bel et bien tombée comme la foudre de Jupiter sur ce pauvre Amphitryon à la sauce Derrey : les spectateurs n’ont pas applaudi.
Pourtant, cela avait bien commencé, avec ce « noir », long et épais, qui a précédé le premier mot. Un peu comme chez Claude Régy – pour lequel le metteur en scène Sébastien Derrey a été dramaturge –, l’obscurité et le silence, avalant d’une seule bouchée la salle et le plateau, ont parfaitement joué leur rôle de conditionnement : nous étions prêts à entendre, à voir et à éprouver. Plus encore à nous abreuver jusqu’à la lie de ce texte à la belle réputation : écrit par Heinrich von Kleist en 1807, et selon Thomas Mann, parfait modèle « de romantisation d’un chef-d’œuvre du classicisme français ».
Aussi, quand est arrivé le Verbe tant attendu – et avec lui le bataillon des personnages célèbres (Sosie, Mercure, Amphitryon, Jupiter, et les deux femmes, Alcmène et Charis) –, tout était en situation pour le drame. Celui-ci repose sur le fait que, à Thèbes, les dieux Jupiter et Mercure, une nuit, prennent la place du général Amphitryon et de son valet auprès de l’épouse et de sa suivante. Cela pousse les hommes, une fois revenus de guerre, hors de leur foyer, mais encore de leur propre existence et de leur identité. Ainsi éclairée à la chandelle du romantisme allemand, la version de Kleist, que Derrey a préférée à celle de Plaute, de Molière ou de Giraudoux, était promesse de tempête et de passion. De Sturm und Drang, comme on dit outre-Rhin… Mais non. Le temps était au sec.
Une belle scénographie
Il y avait pourtant du théâtre dans cet Amphitryon ! Et jusque dans les détails : là une cape rouge en rideau de scène, ici deux Sosie à la gémellité très beckettienne, ici encore des pétales de rose envoyés du ciel (ou plutôt de l’Olympe)… Admirables aussi les jeux de lumière, escorte de l’intrigue, allant crescendo du clair-obscur de l’école hollandaise à l’éclair(age) d’un blanc vif, foudre de Jupiter, annonciateur du dénouement… Théâtre surtout quand apparaissent, à tour de rôle, les deux comédiens Frédéric Gustaedt (Amphitryon) et Fabien Orcier (Jupiter), dont la ressemblance a été travaillée à tel point que plusieurs spectateurs s’y seront laissé prendre… Et que dire de ce grand décor suggérant la façade du palais des époux maudits… et avec, implacable au cœur du dispositif, cette porte massive, contre laquelle butent, avec le même acharnement, les pensées des personnages et le regard du public ?
Tout cela rend plus amer le constat d’un effritement de la pièce, au fur et à mesure que la narration progresse. Cela vient peut-être du texte, finalement : ce Kleist est d’une longueur ! – on l’avait déjà relevé avec le Prince de Hombourg –, et comme on a envie de se munir de ciseaux dès le premier quart d’heure ! Face à cela, les comédiens, dont le jeu tend à la monotonie comme s’ils avaient dû se coucher dans le lit de Procuste, ne peuvent pas grand-chose… Et même si Olivier Horeau (Sosie) a du talent, même si Frédéric Gustaedt (avec son faux air de Delon) parvient à faire naître à plusieurs reprises une réelle émotion chez le spectateur, ce dernier, avec toujours un temps d’avance sur l’intrigue, s’ennuie entre deux battements de cœur. Comme dit la chanson, « il suffirait de trois fois rien »… pour que les choses diffèrent. Mais c’est précisément ce « trois fois rien » qui est si difficile à capturer au théâtre. ¶
Bénédicte Soula
Amphitryon, de Heinrich von Kleist
Traduction : Ruth Orthmann et Éloi Recoing
Cie Migratori K. Merado • 206, quai de Valmy • 75010 Paris
01 47 70 82 06
Site : http://migratori-k-merado.fr
Courriel : migratori.k.merado@free.fr
Mise en scène : Sébastien Derrey
Avec : Frédéric Gustaedt, Olivier Horeau, Catherine Jabot, Fabien Orcier, Nathalie Pivain, Charles Zevaco
Scénographie : Olivier Brichet
Costumes : Élise Garraud
Maquillage : Cécile Kretschmar
Son : Isabelle Surel
Lumière : Ronan Bergon
Iconographie : Ève Zheim
Régie générale : Pierre Setbon (M.C.93)
Photos : © Willy Vainqueur
Administration : Silvia Mammano
Diffusion : Mathilde Priolet
Création : la Commune à Aubervilliers
Coproduction : maison de la culture de la Seine-Saint-Denis (M.C.93), centre dramatique national de Besançon Franche-Comté, Théâtre de la Commune-centre dramatique national d’Aubervilliers, Théâtre Garonne-Toulouse, avec l’aide de la Drac Île-de‑France et d’Arcadi / Parcours d’accompagnement. Avec le soutien du Studio-Théâtre de Vitry
Théâtre Garonne • 1, avenue du Château-d’Eau • 31000 Toulouse
Réservations : 05 62 48 54 77
Métro : ligne A, station Saint-Cyprien / République + 10 minutes à pied
Bus : ligne no 1 et no 45, arrêt Les Abattoirs, no 66, arrêt Fontaines
Du 22 au 25 février 2017 à 20 heures du mercredi au jeudi
Durée : 2 h 45
24 € | 16 € | 12 €