« Andromaque », de Jean Racine, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

Andromaque © D.R.

Ils brûlent les planches

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Plusieurs années après « Bérénice », Gwenaël Morin revient à Racine avec « Andromaque » et une (presque) nouvelle troupe. La guerre et l’amour s’invitent sur le plateau avec rage et fureur.

Le concept, la méthode du « Théâtre permanent » n’ont pas varié : ni décor ni costumes, pratiquement aucune régie technique : peu ou pas de travail de lumières, de sons ; les acteurs ouvrent et ferment manuellement les rideaux de scène, transportent à vue les éventuels et rares accessoires bricolés et symboliques… Car pas de « star » : loin d’être constituée sur mesure, la troupe existe au départ, et le metteur en scène fait avec – les rôles sont tirés au sort, lequel fait fi du distinguo homme-femme ou de toute prédisposition physique d’un acteur pour incarner un personnage. La troupe ne contient de toute façon que trois actrices pour les quatre rôles féminins. Tout ce qui fait habituellement l’artifice du théâtre est absent au seul profit des œuvres et des interprètes. Seulement, voilà, il n’y a pas suprême magicien que Gwenaël Morin pour faire entendre un texte, pour lui faire rendre gorge, pour tirer le meilleur de comédiens dépossédés de tous les oripeaux, n’ayant à leur disposition que leur corps et leur voix, bien forcés d’y puiser jusqu’au tréfonds.

Dans cette « nouvelle » troupe annoncée fièrement par le metteur en scène, quelques figures marquantes du « Théâtre permanent », comme l’excellente Barbara Jung ou Ulysse Pujo, des acteurs qui ont de la bouteille et sont loin d’être des petits nouveaux, comme Magali Bonat. Ce qui est neuf, c’est leur rencontre sur le plateau du Point-du‑Jour.

Or la rencontre sur la scène des comédiens, c’est précisément la dramaturgie, la scénographie telles que les conçoit Gwenaël Morin. Dans Andromaque, les personnages passent leur temps à se fuir et/ou se poursuivre : Oreste arrive au palais de Pyrrhus, fils d’Achille, pour le sommer d’épouser Hermione, fille d’Hélène, qui lui est promise. Mais il aime d’un amour éperdu la belle princesse qui se consume pour Pyrrhus, lequel a succombé aux charmes de sa captive Andromaque, veuve d’Hector mort sous les coups d’Achille et bien déterminée à résoudre une impossible équation : sauver le fils qu’il lui reste d’Hector sans plier devant son maître. Alors, ils courent dans d’immenses diagonales, le regard tourné vers l’arrière, vers celui qui les poursuit… ou alors ils se terrent dans des angles, recoins obscurs, et parfois font face à l’ennemi comme des bêtes blessées. Ce sont des moments d’une intensité et d’une beauté absolue. De même que les rares scènes de complicité avec leur double puisque chacun des quatre personnages principaux est accompagné, qui d’un ami, qui d’une suivante confidente, qui d’un gouverneur, auprès duquel il se ressource, laisse tomber le masque, oublie un instant de paraître.

Autre qualité de la mise en scène, sa rapidité, presque brutale, qui réduit les cinq actes à une petite heure et demie. Dès le début, les spectateurs sont‑ils à peine installés qu’Oreste déboule sur scène, comme un enragé, et explique avec véhémence les raisons de sa visite et celles de son tourment. Cela continuera ainsi, sans baisse de régime, imprimant à la pièce une jeunesse, une énergie qui sont absolument justes, marques de l’âge des personnages et de la violence de leurs passions.

Des voix, des corps et des alexandrins

Dans le rôle d’Andromaque, dont une lecture scolaire retient trop souvent la mère douloureuse et implorante, Magali Bonat impose une femme forte, déterminée, guerrière, puissante. Elle est la survivante et la conscience de Troie face à un Pyrrhus dont les hésitations ne cachent pas qu’il est homme de pouvoir. Laurent Ziserman, très rapidement, et malgré toutes les faiblesses qui sont les siennes, lui prête sa présence et sa densité : quand il parle devant la cour, devant Hermione, devant l’ambassadeur Oreste, il est évidemment le chef. Mais la comédienne la plus impressionnante est incontestablement la sensible Barbara Jung qui campe un Oreste hanté, déjà la proie des furies qui le guettent et vont le poursuivre : sa faiblesse affleure sous sa détermination et son désir le brûle, il vacille… Tous sont excellents.

Il n’empêche que le principe de la distribution au hasard montre aussi ses limites. Si la sensibilité de Barbara Jung correspond bien à la fragilité d’Oreste, le grand corps masculin de Gaël Baron ne parvient pas à figurer une Hermione gracile à peine sortie de l’adolescence. Son talent d’acteur n’est pas en cause : il joue les pâmoisons et les caprices de la princesse très bien, presque trop bien. Mais il simule et tombe dans la caricature, la salle rit, se croit à la farce, toute la tension pour un moment disparaît et le spectacle y perd en cohérence.

Enfin, il faut admirer les voix nues des comédiens qui font entendre toute la grâce des alexandrins. Pas besoin de micro pour les appréhender, et malgré le rythme effréné, pas un ne trébuche une seule fois comme si le texte coulait d’eux ainsi qu’une évidence. Ce texte qui est à ce point au centre du dispositif qu’il est distribué à l’entrée de la salle et qu’il y reste suffisamment de lumière pour qu’on puisse, au fur et à mesure, si on le désire, s’y reporter. Une fois de plus, une magnifique leçon de théâtre sans aucune concession… 

Trina Mounier


Andromaque, de Jean Racine

Mise en scène : Gwenaël Morin

Le texte est distribué chaque soir aux spectateurs

Avec : Magali Bonat (Andromaque), Laurent Ziserman (Pyrrhus), Barbara Jung (Oreste), Gaël Baron (Hermione), François Gorrissen (Pylade), Mickaël Pinelli (Cléone), Florence Girardon (Céphise), Ulysse Pujo (Phoenix)

Photo : © Élodie Érard

Théâtre du Point‑du‑Jour • 5, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

www.lepointdujour.fr

04 72 38 72 50

Du 3 au 31 janvier 2017 à 20 heures, relâche dimanche et lundi

Durée : 1 h 30

Gratuit sans réservation

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