« Appartement témoin », « La Stratégie du dépôt de bilan », « Assemblée », «Mon royaume pour un cheval », « Gina », Festival Parade(s) 2025, Nanterre

Ouvrir les portes, la table ou la place

Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Conjurant le contexte morose, les artistes de rue réaffirment la nécessité du lien et de l’attention dans l’espace public. Focus sur les créations défendues par le festival Parade(s) à Nanterre. Beaux gestes !

La rue, l’occasion d’investir l’urbain en grand large ? Les Aimants préfèrent nous mettre en boîte. Dans leur précédent spectacle déjà, le collectif choisissait de conjuguer espace confiné – une armoire – et ouïe. Un sémillant chœur baroque surgissait à chaque ouverture du meuble, pimpé par de nouveaux costumes et des airs piquants. Dans Appartement témoin, c’est une poignée de spectateurices que le collectif enferme dans une camionnette balisée. Insolite ! Mais avant d’entrer dans le véhicule, patience : un guide chaussé de méduses nous fait cheminer sur les trottoirs avec des histoires qui ouvrent nos écoutilles. 

En planque dans la camionnette, nos sens se mettent en alerte. Chaque auditeurice peut jongler avec les boutons d’un sélecteur qui lui font accéder à des micros dissimulés dans différentes pièces d’un appartement. À la pêche de bribes de conversations et d’infos, on découvre une déco qui file la métaphore de l’enquête en milieu aquatique. À chacun de sous-mariner à son rythme, selon ses envies, de la salle de bain à la chambre à coucher, pour recomposer une sorte de puzzle familial sonore.

« Appartement témoin », Les Aimants © Stéphanie Ruffier

Ici ou là, on surprend l’ambiance entre mari, femme et enfants : fatalement, il nous manque des pièces. Emportés par leurs échanges – à la qualité d’écriture toutefois inégale –, on dresse avec plaisir l’oreille à la mécanique des mots (maux) ! Nulle ambiance Stasi, on vit plutôt une plongée dans l’ordinaire, un accès privilégié à la trame des conversations banales : agacements, non-dits… On aime le dispositif curieux et astucieux qui nous laisse le choix du montage des dialogues. Une chambre d’échos ludique et intimiste. Engageant !

Dépôt de bilan ?

Quand on s’assied autour du cercle de terre tracé dans une cour d’école par La Débordante, on se souvient de l’uppercut reçu lors de la représentation de Ce qui m’est dû. La force de la solastalgie faite danse. Corps impacté, esprit submergé, on tombait dans les bras révoltés d’Héloïse Desfarges. Depuis, de l’eau s’est écoulée des glaciers et de la banquise ! Le prix de l’essence, la fin du monde… Ça empire et ça épuise, aussi. Alors, comment endiguer l’usure du désespoir collapso ? Et la lassitude des spectacles qui s’attèlent à l’urgence ? Devenir paysan·ne ?

« La stratégie du dépôt de bilan », La Débordante © Stéphanie Ruffier

La Stratégie du dépôt de bilan porte bien son nom. On y entend d’abord une multitude de témoignages-constats, de tics de langage défaitistes ou àquoibonistes. Les arts de la rue puisent beaucoup dans la veine documentaire ces dernières année. Ces juxtapositions d’opinions tournent parfois à la défaite de la pensée qui exprime tout et son contraire. Les discours plus précis de l’émeutière black bloc, de l’agriculteur défendant l’industriel, du militant anti-bassines et de Gérald Darmanin sont traités quasi de la même manière. Sans hiérarchie, dommage.

On entend même une figure incarnant la spectatrice qui voudrait bien voir de la danse, quand même. Car, oui, on nous la refuse un peu. Un pic humoristique avec Bernard Arnaud remet du sel dans la chose. Il y a dans l’air un état des lieux usé qui pourrait s’apparenter à celui d’un couple qui cherche l’élan. Pour nous relever, on nous envoie un catalogue inspirant de figures résistantes contemporaines. Et puis une chorégraphie revitalisante. Enfin ! Retour à la sensibilité !

Gestes et ébrouements

« Avez-vous le sentiment que l’espace public est un espace commun ? » La cie Sauf le dimanche a posé une grave question aux Nanterrois durant la durée du festival. Dans des espaces contenants ou passants, elle a écouté sans chercher à prendre position. À partir des réponses récoltées et d’un don de gestes, l’énergique troupe de danseurs produit une forme finale, une Assemblée tissant des chorégraphies mimétiques ou décalées. Que de complicités ! Un vendeur ambulant-crieur des rues les accompagne avec des percussions classiques ou farfelues.

Comment l’autre bouge-t-il ? Les mouvements s’échappent allégrement du réalisme. On se laisse emporter par la danse qui, comme les costumes, mise sur l’aérien et la mobilité. Le public est aussi invité à offrir des gestes en direct. En miroir, Émilie construit un immense coq à l’âne kinésique. C’est un des grands moments d’attention collective et de joie partagée de ce spectacle un brin bavard. Sur un mur du parvis de la cathédrale, un panneau impose : « Stationnement interdit sauf cérémonies religieuses. Jeux de ballons interdits. » Il y aurait eu matière, là aussi, à questionner le commun. 

« Assemblée », Sauf le dimanche © Stéphanie Ruffier ; « Mon royaume », La Bossue © Stéphanie Ruffier

Manger ensemble n’est-ce pas une façon idéale de communier ? Gina de la cie Basta Cosi déçoit par son manque de rythme. Cette nonna du Sud de l’Italie, marionnette habitée, présente toutes les étapes d’une recette de pasta alla napoletana avec une voix trop aigüe. Régulièrement, elle s’inquiète du retard de son mari Giuseppe… Le public italophone savoure les saillies. Les airs pop-rock bien connus rythment les gestes. Des ustensiles sur-dimensionnés maniés par un spectateur apportent de l’humour… Malgré le partage du plat à la fin du ballet culinaire, on reste sur sa faim.

Autre miniature dans un parc : La Bossue, compagnie émergeante, propose une avant-première de sa création Mon royaume pour un cheval. Et, surprise, Julieta déploie les arts du cirque dans une armoire ! Son personnage sauvage qui sort par une trappe paraît mi-monstre, dans le placard, mi-animal fabuleux digne d’un Miyazaki. Quelque peu inquiétant parmi le jeune public qui frissonne. Dès qu’il retourne dans sa boîte aux tapisseries baroques, il se domestique. Il devient circassienne qui répond aux injonctions à la féminité et à la grâce.

Dans cet espace réduit, de micro-numéros de trapèze, contorsion et chant se succèdent comme dans une boîte à musique. Renversant, burlesque, prometteur ! On savoure les pointes subversives. Un seul regret, qu’il n’y ait pas d’échappée finale de cet original castelet. Une personnalité à suivre !

Stéphanie Ruffier


Appartement témoin, cie Les Aimants
Site de la compagnie et tournée
Écriture et mise en scène : Léo Bahon, Malo Martin
Durée : 40 minutes
Tout public
Tournée :
• Du 11 au 13 juin, festival Chahuts, à Bordeaux (33)
• Les 20 et 21 juin, festival Et 20 l’été, Paris (20e)

La Stratégie du dépôt de bilan, cie La Débordante
Site de la compagnie
Direction artistique et interprétation : Héloïse Desfarges et Antoine Raimondi
Durée : 40 minutes
Tout public
Tournée :
• Les 5 et 6 juillet, festival Les Affranchis , à La Flèche (72)
• Le 11 juillet, festival Rebonds, à Nantes (44)
• Le 14 juillet, festival Les Entrelacés, à Lassay-le-Château (53)
• Les 28 et 29 août, festival Les Rias, à Quimperlé (29)
• Le 30 août, L’inopiné Festival, à Questembert (56)
• Le 11 octobre, Festival de la BD engagée, Le May-sur-Evre (49)

Assemblée, collectif Sauf le dimanche
Site de la compagnie
Conception et réalisation : Émilie Buestel et Marie Doiret
Danseurs interprètes (5 danseurs en jeu) : Émilie Buestel, Aude Cartoux, Marie Doiret, Mickaël Hallouin, Hemma Fiant et Lauriane Madelaine (en alternance)
Musicien, compositeur, performeur : Jules Beckman
Scénographe : Carine Ravaud, avec l’aide de Élisa Jégo-Jaguin
Costumière : Cécile Madry
Régisseur : Marc Cixous
Aide à la dramaturgie et regard extérieur : Lisa Diez
Durée : enquête puis restitution de 50 minutes
Tout public
Tournée ici :
• Du 27 au 29 juin, Festival Viva Cité, à Sotteville-les-Rouen (76)
• Les 3 et 5 juillet, Festival Par Has’Art, à Pontault Combault (77)
• Du 17 au 20 juillet, Festival Chalon dans la rue IN, à Chalon-sur-Saône (71)

Gina, cie Basta Cosi
Site de la compagnie
Mise en scène : Flore Vialet
Interprète : Léa Marie
Durée : 30 minutes ou 1 heure (avec repas partagé)
Dès 4 ans
Tournée ici :
• Le 17 juin, festival Perche en Rock, à Préau-du-Perche (61)
• Du 20 au 23 août, Festival Éclat, La Collective, à Aurillac (15)

Mon royaume pour un cheval, cie La Bossue
Fbk de la compagnie
Interprète : Julieta Salz
Durée : 30 minutes
Dès 6 ans

Dans le cadre du festival Parade(s) • Centre ville et quartiers proches • 92050 Nanterre
Du vendredi 6 au dimanche 8 juin 2025
Gratuit

Photo de une :  © Sarah Meneghello

 

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