« Avaz », par Keyvan Chemirani & Co

« Avaz » © Éric Legret

L’union subtile
de deux traditions

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Innacor s’est fait une spécialité des mariages culturels. Son nouveau projet en fournit un exemple attachant.

Kristen Noguès, Érik Marchand, Jacky Molard, Gigi Bourdin, Laurent Jouin, etc., constituent, si l’on peut dire, le fonds breton d’Innacor. Depuis quelque temps, des artistes venus de cultures différentes (Afrique, Turquie…) les ont rejoints. Avaz ouvre encore le champ de ces rencontres métissées.

Avaz unit sur un même disque les poèmes (chants) religieux ou profanes des mystiques persans des xiie et xiiie siècles, les Hafez, Rûmî « Mevlana », Khayam, et les gwerzioù (complaintes) bretonnes. L’architecte de cette fusion, c’est le percussionniste d’origine iranienne Keyvan Chemirani, directeur artistique de cette nouvelle réalisation d’Innacor. Il est entouré de Sylvain Barou (flûtes), Hamid Khabbazi (târ), Annie Ébrel et Mayram Chemirani (chant).

L’innovation d’Avaz, c’est l’introduction du chant breton traditionnel mêlé à un autre type de voix. Les chants d’amour qu’on nous présente ici sont, en effet, interprétés tour à tour en persan et en breton. Il arrive aussi que les deux voix se mélangent.

L’album s’ouvre avec Me am eus ur feuteun / Emad. Les deux textes hérités du passé nous entretiennent de la douleur causée par la mort d’un être aimé. C’est l’alliance de la musique instrumentale orientale plutôt gaie et de deux complaintes. La voix claire d’Annie Ébrel, malgré les nombreux sons nasalisés de son chant en breton, fait contraste avec celle de Maryam Chemirani, plus grave et pleine de chaleur. Leur duo final est un des sommets du disque. C’est la même structure qui prévaut dans une émouvante ballade persane, Ayrilik Hasretlik, où une sorte de clarinette (je dirais un flageolet) se marie harmonieusement au târ 1. La pièce se termine par quelques mesures des deux chanteuses a capella : exquises.

On retrouve ces qualités dans Chabi dar Granada où Jacky Molard, responsable de l’enregistrement et du mixage, joue du violon. Le morceau s’ouvre par une longue introduction instrumentale et se conclut brièvement de même. Ici, Maryam Chemirani a des inflexions ottomanes et, comme dans cette tradition, fait alterner des passages en forte avec d’autres à l’allure de confidence. C’est une agréable surprise que d’entendre les instruments exotiques accompagner Annie Ébrel dans An teir rozenn, une suite fisel 2.

Une partie instrumentale très importante

La part confiée aux instruments est très importante dans Avaz. Le disque comporte deux plages qui leur sont réservées et deux autres dédiées à des solos. Dans Faotiti, une composition de Keyvan Chemirani, rapide même si la fin est plus alanguie, j’ai apprécié le brio à la flûte traversière claire de Sylvain Barou 3. Chaharmezrab nava, un instrumental persan plutôt enlevé, utilise la quasi-totalité des instruments sous la houlette des percussions de Keyvan Chemirani. Le solo de bansuri qui précède Galon Digor / Digué est d’une douceur à émouvoir les pierres et celui de târ en ouverture à Tasnif é « to Bégouch » est d’une vélocité et d’une virtuosité qui vont croissant jusqu’à ce que les chanteuses entrent dans ce morceau qui clôt l’album avec vivacité.

À l’heure de la musique en ligne, Avaz est un bel objet à la jaquette soignée et au livret conséquent. On regrette d’autant plus que ce travail soit entaché par trop de coquilles. Que cela ne vous empêche pas de goûter ce mariage bien assorti entre les Celtes et les Persans. 

Jean-François Picaut

  1. Luth à manche long de la musique traditionnelle afghane et azerbaïdjanaise.
  2. Danse bretonne rapide, particulièrement en honneur au Festival Fisel de Rostrenen (Côtes-d’Armor).
  3. Dans cet album, Sylvain Barou joue du bansuri (flûte indienne traversière en bois) et du balaban (autre nom du duduk, un instrument à anche double originaire d’Arménie).

Avaz, par Keyvan Chemirani & Co

Une production Innacor • 3, rue des Milad • 56630 Langonnet

02 97 27 23 82

Courriel : contact@innacor.com

Avec : Kevin Chemirani, Maryam Chemirani, Annie Ébrel, Hamid Khabazzi et Sylvain Barou, avec le concours de Jacky Molard

Photo : © Éric Legret

Prochain concert :

Jeudi 12 mars 2015 à 20 h 30 : Studio de l’Ermitage • 8, rue Ermitage • 75020 Paris

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