Pied de nez à l’Histoire
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
« Brundibár » fait partie des spectacles pour enfants les plus représentés dans le monde. La version qu’en propose l’Opéra de Lyon est l’occasion d’entendre cette maîtrise dont il peut à juste titre s’enorgueillir : les jeunes chanteurs sont merveilleux de naturel.
Ce « spectacle de poche » comme aime en programmer la vénérable institution, c’est-à-dire accessible à de jeunes enfants en raison de sa durée, est aussi inscrit dans son Festival pour l’humanité. Celui-ci regroupe des œuvres puissantes à fort coefficient historique et politique. À y regarder de près, Brundibár n’en est pas vraiment une. En effet, cette fable raconte l’itinéraire de deux jeunes enfants qui, pour sauver leur mère et lui acheter le lait dont elle a besoin pour guérir, décident de chanter dans les rues. Ils tombent alors sur Brundibár, l’ogre de Barbarie, dont c’est précisément le territoire et qui entreprend de les chasser. Entrent à ce moment-là en scène divers animaux – chat, chien, oiseaux et poules –, bien déterminés à aider les deux petits. L’histoire, en tout point édifiante, se termine bien : le méchant est évincé.
Si le prétexte est léger, qu’en est-il de la musique de Hans Krása ? Simple, charmante, ni difficile ni virtuose, elle se prête à être fredonnée. Alors d’où émane son aura tragique ? La renommée de cette œuvre vient du fait qu’elle n’a pu être jouée qu’au camp de Terezín devant un public d’Allemands (et même de bourreaux allemands) et que, ensuite, compositeur et interprètes furent expédiés sans plus de façons à Auschwitz d’où ils ne revinrent pas.
Les enfants de la maîtrise font revivre les petits interprètes disparus à Terezín
Brundibár n’est en réalité applaudi (et inscrit dans ce festival de la mémoire) qu’en raison de leur sort tragique plus que de son intérêt musical lui-même.
D’ailleurs, pour compenser la grande brièveté de l’opéra original (un peu moins d’une demi-heure), Karine Locatelli, chef d’orchestre et chef de chœur, a pris le parti de confier au baryton Mathieu Gardon un pot-pourri composé de quelques-uns des airs d’opéra les plus célèbres. En s’accompagnant de son orgue de barbarie (une simple manivelle accolée au piano), il entonne alors aussi bien l’Air du toréador de Carmen que l’Air des bijoux du Faust de Gounod, passant sans transition de Mahler à Verdi, Puccini, Mozart, Rossini, Bizet… Un vrai tour de chant qui nous démontre que l’homme a non seulement une fort belle voix, mais également un réel talent de comédien.
Quant aux enfants de la maîtrise, ils se révèlent tout à fait professionnels. La metteuse en scène Jeanne Candel a su diriger cette trentaine d’enfants (ce n’est pas rien) de façon à créer l’illusion de la vie : le joyeux désordre est ici tout sauf de l’improvisation, c’est du grand art. Leur apparente spontanéité, la pureté de leurs voix donne à ce spectacle « de poche » beaucoup de sensibilité.
Sur le plateau, quelques éléments rappellent le tragique destin qui attend son heure : une immense gueule ouverte pleine de dents et les avions téléguidés par Brundibár. Les enfants se jettent au sol, affolés, puis se relèvent immédiatement, prêts pour de nouveaux jeux. Pied de nez à l’Histoire… et aux ogres de tout poil ! ¶
Trina Mounier
Brundibár, opéra de Hans Krása
Livret : Adolf Hoffmeister
Musique : Hans Krása
Direction musicale : Karine Locatelli
Mise en scène : Jeanne Candel
Soliste : Mathieu Gardon
Décors : Lisa Navarro
Costumes : Pauline Kieffer
Lumières : Vyara Stefanova
Avec : solistes du Studio, maîtrise et orchestre de l’Opéra de Lyon
Photos : © Jean‑Louis Fernandez
Production : Opéra de Lyon
Coproduction : Comédie de Valence-C.D.N. Drôme-Ardèche en partenariat avec le Théâtre de la Croix-Rousse
Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès-Ambre • 69004 Lyon
04 72 07 49 49
Du 25 mars au 3 avril 2016
Le 25 et le 31 à 14 h 30, les 29, 30 et 31 mars à 18 h 30, le 1er avril à 14 h 30 et 19 h 30, le 2 à 15 heures et 19 h 30, le 3 avril à 15 heures
Durée : 45 min
De 5 € à 26 €
Dès 8 ans