Sublime danse des morts
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Est-il encore nécessaire de présenter Bartabas ? L’homme-centaure dont les opéras équestres jouent à guichets fermés, que de grands danseurs comme Pina Bausch ou Carolyn Carlson ont aimé, mettant leurs pas dans les siens, suscite des passions parfois contraires : maints amateurs de théâtre se détournent, l’air un rien dégoûté, de ces spectacles populaires dont les chevaux sont les héros. Et pourtant…
Ce qui est intéressant chez Bartabas, c’est sa capacité à se renouveler sans cesse. À peine a‑t‑il mêlé danseurs et chevaux, piano et cheval, qu’il revient à la source avec ce Calacas pour chevaux et cavaliers. Loin des numéros de voltige qu’il orchestrait à la perfection, le voici dans le minimal : donner à voir un cheval dormant, couché immobile sur le flanc. Voilà une merveille qui ne touche que le spectateur attentif.
Calacas, c’est d’abord le nom d’un des vingt‑neuf chevaux de la troupe. Un nom aussi qui évoque l’Amérique du Sud, ce Mexique où l’on fête les morts au cours de grandes fêtes religieuses, colorées et violentes, où se mêlent feux d’artifice, déguisements de carnaval, transgression des tabous, alcool et sexe… Bartabas dit aussi s’être inspiré du Moyen Âge, de ses processions de pénitents, de toute cette bimbeloterie religieuse qu’on retrouve encore active et ardente dans certaines fêtes des suds…
C’est peu dire que ce spectacle est évocateur et nous transporte… dans un ailleurs peuplé de squelettes ricanant et claquant des mâchoires, aux gestes syncopés s’opposant à la vivante fluidité et à la majestueuse plasticité des corps des chevaux, étrangement vivants.
« Vanitas vanitatum, et omnia vanitas »
La mise en scène qui frappe par sa maîtrise (mais est‑il possible d’accepter la moindre approximation avec des bêtes aussi réactives ?) fait d’abord la part belle à l’esthétique, élément toujours présent dans les spectacles de Bartabas. Les costumes, les masques, l’harmonie des couleurs, des robes des chevaux, tout cela témoigne d’une recherche où rien n’est laissé au hasard.
Au centre du chapiteau, devant les spectateurs, se jouent les numéros, tandis que, derrière eux, une autre ronde se déroule : la course folle des étalons sauvages et parfois aussi celle des calèches, funéraires bien sûr, mais aussi baraques de foire surmontées de jeux de massacre, poursuivies par des Mexicains déchargeant leur pistolet d’un bout à l’autre de l’espace… Belle ambiance, caramba, qui renforce les morceaux de bravoure tant musicale que gymnique accomplis par les Mexicains chinchineros, incroyables hommes-orchestres capables de faire des claquettes, de danser, de siffler tout en manipulant leurs instruments complexes !
Au centre, donc, un livre d’images magnifiques et animées, les humains ne sont plus là qu’à titre de squelettes, même la mariée au voile éthéré qui galope… vers quel destin ? Images de vanités, bien sûr. Quelques numéros sont plus amusants, voire franchement comiques, mais témoignent là encore de l’art qu’ont ces dresseurs de chevaux de leur faire accomplir de minuscules, presque imperceptibles merveilles, chorégraphies minimalistes signes de perfection. Enfin, des squelettes attachés à des filins d’acier traversent les airs, qu’ils font vibrer de sensations, comme en apesanteur, incroyable nouvelle chorégraphie à la fois légère et puissante de ces hommes volants.
Mais le plus étonnant de ce spectacle réside dans les évocations littéraires qu’il suscite : on pense, bien sûr, à la Ronde de Schnitzler, aux Illuminations de Rimbaud, à García Márquez comme à Octavio Paz, à certains films de Buñuel et même parfois à Tadeusz Kantor… Un condensé de l’âme espagnole et sud‑américaine, un brouillard de cultures et de souvenirs d’enfance mêlés. ¶
Trina Mounier
Calacas
Conception, scénographie et mise en scène : Bartabas
Cavaliers : Laurence Dirou, Michaël Gilbert, Noureddine Khalid, Mathias Lyon, Gaëlle Pollantru, Étienne Régnier, Alice Seghier, Messaoud Zeggane
Musiciens : Sébastien Clément et François Marillier (percussionnistes) ; Pepa et Luis Toledo (chinchineros)
Chevaux : Antenote, Arruza, Belmonte, Bombita, Cagancho, Chamaco, Chicuelo, Conchita, Citron, Dominguin, Edwin, el Cordobes, el Gallo, el Soro, el Viti, Majestic Narav, Espartaco, Frascuelo, Joselito, Lobero, Manolete, Manor, Manzanares, Nimeño, Paquiri, Phare ouest, Tarzan, Calacas, Posada
Assistante à la mise en scène : Anne Péron
Décors et costumes : Laurence Bruley
Masques : Cécile Kretschmar
Conseiller musical : Jean‑Pierre Drouet
Photo : © Agathe Poupeney / Photoscene.fr
Les Nuits de Fourvière • 1, rue Cléberg • 69005 Lyon
http://www.nuitsdefourviere.com/CALACAS-preparez-votre-venue
Réservations : 04 72 32 00 00, du lundi au samedi de 11 heures à 18 heures
Biletterie web : http://www.nuitsdefourviere.com/IMG/pdf/BilletterieWeb_2012.pdf
Du 11 juin au 21 juillet 2012 à 21 heures (sauf samedi 16 juin, vendredi 13, jeudi 19, vendredi 20 et samedi 21 juillet 2012 à 20 h 30)
Relâche mercredi et dimanche
Durée : 1 h 50
22 € et 35 €