La seconde surprise de Faustine
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Faustine Noguès est à l’honneur de cette édition du festival d’Avignon, avec deux lectures et deux textes mis en scène, dont une qu’elle signe. Focus sur une jeune autrice dans le vent, dont l’écriture politique surprend par sa variété.
Vie et œuvre d’Angela Davis en une heure ? Pari relevé par l’autrice Faustine Noguès et le metteur en scène Paul Desveaux. Portative (avec une scénographie qui tient dans la toute petite chapelle des Halles), frontale, elle s’apparente à une arme de poing.
Si le texte et la mise en scène sont moins révolutionnaires que leur sujet, du moins laissent-ils toute la place à la parole d’Angela Davis. En effet, la pièce se construit sur le prétexte (un peu galvaudé) d’une entrevue télévisée, la mise en scène évite tout effet pour coller à son passionnant sujet. Intersectionnalité, optimisme dans la lutte, dénonciation des crimes perpétrés : cette voix qui s’élève encore pour parler du mouvement Black lives matter résonne aujourd’hui. Et si cette histoire individuelle est aussi une histoire des États-Unis, elle entre même en écho avec notre histoire.
Poétique d’Angela Davis
Elle est portée avec conviction par Astrid Bayiha, dont la voix puissante, le regard planté convainquent. Mêlant prose et slam, le texte de Faustine Noguès s’exprime au plateau dans une « poétique d’Angela Davis », pour reprendre les termes de Paul Desveaux. Sur scène, alternent en effet chants rappés écrits par Blade AliMbaye et récitatifs. La comédienne seule en scène, lance elle-même les ambiances sonores et nous raconte sa vie. Le récit ne lui est ainsi pas confisqué.
L’ensemble de la mise en scène se met en fait à l’écoute de la militante. Angela décide de passer à la lutte en apprenant l’attentat perpétré par le Ku Klux Klan dans une église de sa ville. Et nous voici justement à entendre son histoire dans un cloître. En prison ou en Europe, elle eut l’impression d’être à distance de l’action, et c’est aussi ce que traduisent les projections documentaires : l’actrice est là tout près de nous. L’histoire se déroule encore dans son dos, à l’écran. Paul Desveaux se défend de proposer un théâtre militant, mais son spectacle accessible et optimiste rouvre un horizon de combats… politiques. Angela Davis ne dit-elle pas : « Et moi, ma lutte, c’est ma vie ? ».
Une excellente « Surprise »
Mais c’est bien Surprise Party, joué au Train Bleu ,qui impose Faustine Noguès à la fois comme autrice et metteuse en scène. Le bruit du Off a fait son œuvre : la salle est bondée. Et pour cause : la distribution est remarquable, la mise en scène efficace et le texte désopilant ; enfin, le sujet est d’or. L’histoire ? À l’occasion d’un jour d’élection municipale en Islande, l’humoriste punk Jón Gnarr grimpe dans les sondages, à la surprise générale. Sera-t-il élu ? Comment mènerait-il alors une politique digne de ce nom ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’une politique digne de ce nom justement ?
Vastes questions qu’ont dû se poser les électeurs de Reykjavik, puisque la pièce est là aussi inspirée d’une personnalité et d’une histoire bien réelles (mais si, mais si !). Le texte est insolent, punk, comme son sujet. L’ouverture donne tout de suite le ton : sexe, dette et initiative municipale de body painting. On rit jaune. La pièce oppose ensuite deux esthétiques : l’une aseptisée des candidats habituels ; l’autre punk du groupe de Jón Gnarr. D’une côté cette rhétorique essoufflée, qu’on veut encore nous vendre, y compris à l’école ; de l’autre côté, une alternative joyeuse, bordélique et créative. Pour l’exprimer, un texte inventif qui cloue au pilori des allitérations des discours finalement tous engoncés dans de même schéma (un même entre-soi, décalé de la réalité ?).
On comprend que les acteurs s’en donnent à cœur joie (expression à prendre ici au pied de la lettre). Dans la peau de l’humoriste, Damien Sobieraff fait exploser les cadres du plateau, par son énergie, sa verve. Mais ils sont tous vraiment bons : du comique et attendrissant Glenn Marausse, au punk Nino Rocher, sans oublier trois comédiennes engagées (Blanche Sottou et Anna Fournier cultivant l’art délicat du ridicule, et Léa Delmart, superbe de pertinence ; on vote pour elle. La mise en scène, qui emploie judicieusement l’archive et les ressources du plateau, ne cesse de surprendre par ses ruptures. On se régale. Regard décalé et anar, fête théâtrale, Surprise parti mérite son titre et son succès ! 🔴
Laura Plas
Angela Davis, une histoire des États Unis, de Faustine Noguès
Texte publié chez Lansman Editeur
Site de la compagnie L’héliotrope
Mise en scène : Paul Desveaux
Avec : Astrid Bayiha
Création musicale et coaching chansons : Blade AliMbaye
Durée : 1 heure
À partir de 12 ans
Théâtre des Halles • 4 rue Noël Biret • 84000 Avignon
Du 7 au 30 juillet 2022 (relâches le 13, 20 et 27), à 14 heures
De 15, 60 € à 22,60 €
Réservations : 04 32 76 24 51 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off d’Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici
Surprise Parti, de Faustine Noguès
Le texte est édité aux Éditions Théâtrales
Site de la compagnie Faustine Noguès Madie Bergson
Texte et mise en scène : Faustine Noguès
Avec : Léa Delmart, Rafaela Jirkovsky en alternance avec Anna Fournier, Ulysse Robin en alternance avec Glenn Marausse, Nino Rocher, Damien Sobieraff, Blanche Sottou
Scénographie : Alice Girardet
Création son : Colombine Jacquemont
Création lumière et vidéo : Zoé Dada
Durée : 1 h 30
Dès 12 ans
Théâtre du Train Bleu • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 8 au 26 juillet 2022, les jours pairs, à 12 heures
De 14 € à 20 €
Réservations : 04 90 03 01 90 ou en ligne
Dans le cadre du festival Off d’Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici