Duo de clowns en la majeur
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Au programme : Vivaldi, Strauss, Bach, Ravel… Duo de clowns revisité à la sauce baroque, Les Rois Vagabonds amusent, impressionnent, touchent. Une partition musicale et acrobatique de haute volée, entre grotesque et grâce.
Que va-t-il sortir de ce drôle de kiosque ? Le lustre monumental en impose, mais en fond de scène, le rideau de velours cramoisi intrigue. Le clin d’œil au grand style annonce du « lourd ». En effet, deux « zoizeaux » font une entrée fracassante. Et ce n’est rien, comparé à la sortie, une des plus drôles, des plus belles jamais vues. C’est renversant !
Généralement, les clowns travaillent longtemps ces moments cruciaux (qui font même l’objet d’un répertoire spécifique). Il leur faut aussitôt capter l’attention et leurs dernières pirouettes doivent s’enregistrer dans les mémoires vives. Ce devrait être le cas avec ce joli spectacle car, du début à la fin, Igor Sellem et Julia Moa Caprez nous embarquent dans leur univers. Leurs péripéties, dans ces lumières mordorées, nous font oublier tout le reste. C’est dire s’ils sont forts.
Entre alto et saltos
Les gags s’enchaînent d’abord autour des deux grosses boîtes noires, prétextes à cascades et chutes en tout genre, d’où sortent enfin deux instruments. La joute musicale va pouvoir commencer. Le joueur de tuba, trompette, clairon, plus grunge que classique, peine à accompagner cette violoniste virtuose. C’est davantage un duel qu’un duo. Comment va-t-il donc conquérir son cœur ?
En attendant, culbutes et malices séduisent le public. Lui, avec son nez rouge et sa drôle de dégaine, et elle, toute emperruquée, composent un drôle de couple. Aussi fragile qu’une porcelaine de Saxe, elle ne s’en laisse pas conter. Ça tombe bien : ensemble, contre vents et marées, ils vont traverser l’océan, gravir des sommets. Leurs acrobaties sont phénoménales.
Gags et envolées musicales
Excellents musiciens, Les Rois Vagabonds impressionnent par leur approche très particulière : la tête en bas, les pieds en l’air, ils lâchent rarement leurs instruments. Ces viennoiseries sont du meilleur goût ! Normal, ils en connaissent un rayon…
« Vivaldi a toujours fait partie de ma vie. Mon père l’écoutait en me berçant, bébé, dans son fauteuil à bascule. Enfant, j’ai vu Nigel Kennedy en blouson de cuir et crête de punk interpréter Les Quatre Saisons », raconte Julia Moa Caprez. « Il parcourait la scène, tournait autour de l’orchestre en sautant et tapant des pieds comme un danseur de hip-hop, tandis que de son violon sortait le gazouillement des oiseaux du printemps, le tonnerre d’un orage d’été, la mélancolie d’une journée d’automne, la sérénité d’un paysage d’hiver. Il groovait et lévitait en même temps ; j’étais fascinée. Les Quatre Saisons, je voulais moi aussi les jouer ! »
Julia Moa Caprez commence donc l’apprentissage du violon quatre ans. C’est « son premier amour ». Et, quatre ans plus tard, elle présente en public Concerto en La mineur. Orchestres, concerts de l’Écosse à la Russie… L’instrument prend beaucoup de place dans sa vie, jusqu’à ce qu’elle le range pour suivre l’Académie de danse d’Amsterdam, puis les écoles de cirque de Buenos Aires et de San Francisco, pour se produire dans des spectacles de rue, de cabarets. La rencontre avec Igor Sellem, « son homme, son Auguste » est déterminante.
Après dix années à sillonner la France comme trompettiste et acrobate avec la Compagnie Erectus, celui avec qui elle fonde les Rois Vagabonds, en 2008, a également forgé les piliers de son jeu clownesque auprès de Yvo Mentens et de Caroline Obin. Il a aussi fait de la physique fondamentale, il a escaladé bien des falaises avec les meilleurs grimpeurs du monde. Ensemble, ils vont cartonner.
Poésie à gogo
Car le succès de ce spectacle ne se dément pas. Depuis l’obtention du Grand prix du Public du Off d’Avignon en 2013, Concerto pour deux clowns poursuit sa route. Soit près de mille représentations à travers le monde, dans les coins les plus reculés, en périphérie, dans les capitales. Partout, auprès du plus grand nombre. Un livre a été publié (présentation ici) afin de retracer cette aventure, avec une préface d’une autre grande femme clown, Catherine Germain. Sur scène, en coulisses, sur les routes… C’est le témoignage précieux d’un parcours singulier où l’amour et l’art ne font qu’un.
Leur langage est universel. Ces deux-là, sont profondément humains. Tellement attachants ! Et la poésie touche large. Que de sublimes images, dans le livre et dans le spectacle ! Elle, précieuse, flotte et s’élève tant qu’elle peut. Lui, rustre et maladroit, ne renonce à aucun stratagème pour sa parade nuptiale. La sobriété des moyens n’empêche pas l’extravagance et la démesure. Tour à tour podium, navire au long cours, prison d’une Belle au Bois dormant, refuge de chrysalide, les caisses sont de formidables boîtes à rêves. L’essence de l’art dans un écrin.
Voilà un grand duo de clowns – majeur – qu’on espère voir encore longtemps sur les routes. 🔴
Léna Martinelli
Concerto pour deux clowns, Les Rois Vagabonds
Site de la cie
De et par Igor Sellem et Julia Moa Caprez
Régie : Sacha Pinget, Florian Euvrard
Temal Productions
Dès 6 ans
Durée : 1 h 15
Salle Jean Renoir • 7, villa des Aubépines • 92270 Bois-Colombes
Tel. 01 47 81 37 97
Le 1er mars 2024
Tournée ici :
• Le 12 mars, Espace Malraux, à Joué-Lès-Tours (37)
• Le 15 mars, La Balise, à Saint-Hilaire-de-Riez (85)
• Du 4 au 7 avril, Le Grand Théâtre Ephémère, à Dole (39)
• Du 16 au 18 avril, Le Grand Théâtre Ephémère, à Erstein (67)
Livre :
Les Rois Vagabonds, de Julia Moa Caprez, éditionsMagellan & cie, 208 p. (bilingue français – anglais), 2023, 20 €, acheter en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Concerto pour deux clowns, par Amélie Casasole (juin 2016)