Bonheurs et déboires
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Du vaudeville sous chapiteau ! « Dans ton cœur » est un charivari acrobatique et musical de haute volée. Du cirque survitaminé qui réjouit, plus qu’il ne réchauffe le cœur.
Ah ! Les affres de la vie conjugale… À quelques jours de la Saint-Valentin, il est bon de rappeler quelques fondamentaux : le quotidien ça use, mais alors cohabiter tous les jours et c’est la débandade. Concentrée en 75 minutes top chrono, les dix ans de vie commune ce cet homme et de cette femme prennent des allures de comédie, mais pas vraiment romantique. Même si le propos est plus profond qu’il n’y paraît, la réussite du spectacle repose avant tout sur la légèreté.
La compagnie Akoreakro avait emporté le public à grand coup de Klaxon, leur précédent spectacle. Accompagné cette fois par Pierre Guillois, à la mise en scène, elle reprend les ingrédients qui ont fait son succès : cirque de haut niveau, musique live, humour, énergie… Mais plutôt que de partir du geste acrobatique, elle s’est appuyée, ici, sur les situations, les objets, pour dresser l’inventaire de nos petits travers. Et cela change tout ! Tout vole, y compris les matelas ! Jongler avec les tâches domestiques devient concret.
La mécanique des cœurs
Imaginez une rencontre sur une chaîne de tri d’ordures ménagères. De quoi emballer vite fait, bien fait ! Un coup de foudre et quelques pirouettes plus tard, le couple emménage. Le ventre grossit à deux reprises, juste le temps de bien équiper la cuisine, et voilà la famille au complet. La routine a à peine le temps de s’installer que, déjà, les disputes éclatent. Tandis que la déprime gagne la femme, l’excitation monte crescendo chez l’homme. C’est l’engrenage et surtout le début d’aventures rocambolesques. Avant le recyclage ?
Entre leur rencontre – improbable – et le rabibochage « à l’arrache », les deux protagonistes vont devoir se relever de ces épreuves. Ainsi va la vie… et ça va vite ! C’est aussi l’occasion d’appliquer une nouvelle stratégie de séduction. Sur trapèze Whashington, s’il vous plaît !
L’amour a du plomb dans l’aile
Ces deux-là sont à la hauteur des enjeux. Ils papillonnent, cabriolent, virevoltent à qui mieux mieux. Si le clou du spectacle est le moment où chacun s’envoie en l’air, les situations les plus banales dérapent forcément, comme chauffer un biberon, remplir la machine à laver. Entrelaçant gestes familiers et prouesses incroyables, le duo sublime les petits riens.
Le mari, contorsionné, à la place de son linge sale, fait partie des gags inoubliables. Et j’en passe sur les jeux de massacre qui vont suivre. Ça déménage ! Les enchaînements sont très originaux et l’ensemble, chorégraphié, ne souffre aucun temps mort. Relevons le rôle primordial des porteurs, qui alternent main à main, jonglerie, voltige. En plus d’être des armoires à glace, parfaitement intégrées au décor, ils sont d’une grande précision, car la partition est millimétrée et menée à toute berzingue. La piste finit même par faire penser à une centrifugeuse.
On retrouve la patte de Pierre Guillois. Lui, qui n’avait jamais mis en scène en circulaire, orchestre l’ensemble avec maestria. Il nous donne à voir des perspectives insolites, en nous montrant les dessous, plus exactement l’envers du décor à deux reprises, présentant les protagonistes comme de véritables pantins. Cette mise à distance est bienvenue, comme l’autodérision qu’il aime tant pratiquer. Chez lui, tendresse et cruauté vont toujours de pair. Le tout dans une esthétique soignée, mais « kitchouille » à souhait ! On est fan de sa fantaisie.
Génie de la bidouille, il a fait désosser des frigos pour de belles métaphores. Eh ! Oui, la charge mentale… Et la vengeance de l’adultère est un plat qui se mange froid ! Autre symbole : le four à micro-ondes, qui rythme la séquence sur la maternité. Ellipses et répétitions bien dosées battent aussi la mesure.
D’ailleurs, la musique joue un grand rôle dramaturgique. Omniprésente, elle est assurée en direct par quatre musiciens formidables, qu’ils soient perchés sur leur petite scène respective, ou en mouvement sur la piste, au plus près de l’action. Toujours là quand ça valse, quand ça tangue.
L’amour : aussitôt consommé, aussitôt jeté
Enfin, bien que loufoque, la mise en scène s’agrémente d’un point de vue intéressant sur la question : et si l’amour était en grande partie menacé par nos modes de vie (consumérisme, hyper connexion, rythme effréné, satisfactions de nos désirs immédiats, liberté sexuelle, etc.) ? La référence à l’industrialisation, la présence de l’électroménager, les accessoires bien choisis, le rythme frénétique et de nombreux clins d’œil (comme les corps littéralement jetés, balancés) apparentent l’amour – et l’humain – à une marchandise périssable. Obsédée par la valeur d’usage, l’immédiateté et la date limite de péremption, la société ne contribue-t-elle pas à brader les sentiments ?
En tout cas, on ne boude pas notre plaisir. Malgré ce thème rebattu, les trouvailles et la fantaisie réinventent le genre. Surtout que nous n’avions jamais vu de vaudeville sous chapiteau. Allez donc découvrir ce spectacle ! Avec (ou pas) votre âme sœur. Vous allez être encore accros ! 🔴
Léna Martinelli
Dans ton cœur, cie Akoreacro
Site de la cie
Mise en scène : Pierre Guillois
Avec : Claire Aldaya, Craig Dagostino, Joan Ramon Graell Gabriel, Maxime La Sala, Basile Narcy, Antonio Segura Lizan, Maxime Solé, Romain Vigier
Composition musicale et jeu : Vladimir Tserabun (contrebasse, violoncelle, basse), Éric Delbouys (batterie, percussions, guitare), Nicolas Bachet (saxophone, acrobate), Johann Chauveau (clavier, flûte)
Soutien aux techniques de cirque : Fabrice Berthet et Yuri Sakalov
Regard chorégraphique : Roberto Olivan
Oreilles extérieures : Bertrand Landhauser
Assistante à la mise en scène : Léa de Truchis
Costumes : Elsa Bourdin, assistée de Juliette Girard et Adélie Antonin
Scénographie circassienne : Jani Nuutinen / Circo Aereo
Construction : Maison de la Culture de Bourges
Régie générale et chef monteur : Idéal Buschhoff
Création lumière et régie lumière : Manu Jarousse
Création sonore / régie son : Pierre Maheu
Intendante, adjointes régie, costumière : Nino, Cécile Roig, Véronica Tserabun, Céline Gloux
Durée : 1 h 15
Dès 6 ans
Scènes & Cinés, scène conventionnée Art en territoire • 13800 Istres
Du 3 au 5 février 2023
Dans le cadre du festival Les Élancées, 25e édition du 31 janvier au 11 février 2023, organisé par Scènes & Cinés, scène conventionnée Art en territoire et dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts du Cirque, 5e édition du 12 janvier au 12 février 2023
Tournée ici :
• Du 15 au 17 février, Théâtre de Sartrouville, centre dramatique national des Yvelines (78)
• Du 31 mars au 8 avril, Théâtre Odyssud, à Blagnac (31)
• Du 27 au 29 avril, Maison des Arts du Léman, à Évian (74)
• Du 4 au 6 mai, Théâtre de Villefranche-sur-Saône (69)
• Du 2 au 4 juin, Pont des Arts, à Cesson-Sévigné (35)
• Du 8 au 10 juin, Centre culturel Jacques Duhamel, à Vitré (35)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Une Journée Au Festival Circa, par Laura Plas
☛ Les Gros patinent bien, de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, par Léna Martinelli
☛ Opéraporno, de Pierre Guillois, par Léna Martinelli
☛ Bigre, de Pierre Guillois, par Pierre Casari