Le jazz en effervescence à Rennes
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Une légende malveillante commençait à se répandre : en matière de jazz, Rennes serait devenue une belle endormie. Deux hommes et deux clubs sont en train de tordre le cou à cette rumeur.
La Bretagne, on le sait, a produit de nombreux et bons musiciens de jazz : Pierrick Pédron, Éric Le Lann, Didier Squiban, Pascal Salmon, Guillaume Saint-James, pour ne prendre que les premiers noms qui viennent à l’esprit. Que tous les autres nous pardonnent ! Néanmoins, une méchante rumeur commençait à se répandre, une légende évidemment : la Bretagne du jazz et notamment sa capitale, Rennes, se seraient assoupies. Deux hommes, Yann Martin (directeur du label Plus loin music, manager d’artistes, directeur artistique du festival Jazz à L’Étage) et Sébastien Betin (propriétaire des deux établissements qui accueillent désormais du jazz), font mentir les mauvaises langues.
Grâce à ces deux passionnés, Rennes possède depuis la mi-septembre deux nouveaux clubs de jazz. Le 47 Avenue, situé 47, avenue Janvier à proximité immédiate des gares routière et ferroviaire, du métro, du centre culturel Les Champs libres et du Théâtre national de Bretagne, est un restaurant de jazz. Quant au 1988 Jazz Club, en plein cœur de Rennes, 27, place du Colombier, à deux pas du métro, c’est un établissement qui n’a rien à envier à ses semblables parisiens.
Dans un cadre moderne et chaleureux, Le 47 Avenue accueille un concert de jazz ou de blues tous les mercredi et jeudi à partir de 20 heures. On a déjà pu y entendre, outre de nombreux artistes régionaux ou nationaux, la chanteuse new-yorkaise Sara Lazarus accompagnée par Alain‑Jean Marie, la diva africaine de la soul reggae Gasandji et, dans un autre genre, Greg Zlap, l’harmoniciste de Johnny Hallyday, l’un des meilleurs harmonicistes européens. Pour ce dernier concert de blues, le restaurant, comme souvent, était complet, et Greg Zlap n’a pas tardé à y faire régner une chaleur torride. Les Rennais sont connus pour être des gens placides, mais ce soir-là, on a chanté, frappé dans ses mains, claqué des doigts et chaloupé debout au 47 Avenue. L’entrée y est gratuite, et l’on peut dîner pour un prix très modéré : à partir de 12,90 € pour un plat unique, 15,90 € pour une formule entrée + plat ou plat + dessert et 19,90 € pour un menu complet (avec des suggestions qui changent tous les deux jours). Eau à partir de 4,50 € en litre, bière à partir de 3 €, verre de vin à partir de 3 € et café à 1,60 €. Il est prudent de réserver. S’il reste des places, on accepte les gens venus seulement boire un verre.
Le 1988 Jazz Club, dans le cadre rénové du Pym’s, un club de nuit bien connu des Rennais, est un vrai petit bijou. Ambiance raffinée, mobilier confortable, éclairage soigné sont ici au service d’une superbe acoustique. C’est vraiment l’endroit rêvé pour approcher les musiciens au plus près. Et pourquoi s’en priver quand les tarifs sont vraiment étudiés : entrée à 5 €, exceptionnellement à 20 € avec un tarif réduit à 15 €. Quant aux consommations, elles sont au tarif de n’importe quel bar du centre : 3 € pour une boisson non alcoolisée ou une bière pression et 3,50 € pour le premier prix du verre de vin !
Tous les vendredi et samedi, les portes s’ouvrent à 20 heures pour un concert qui commence vers 21 heures, durée une heure et demie. Il y est déjà passé du très beau monde : Pascal Salmon, le très prometteur Thomas Enhco, Éric Le Lann. Récemment, on a pu y entendre Laïka, tout simplement accompagnée de Pierre‑Alain Goualc’h au piano, Leon Parker à la batterie, Christopher Thomas à la contrebasse et… M. Médéric Collignon lui-même à la trompette et à l’accompagnement vocal. La chanteuse y a présenté son dernier album, Come a Little Closer (Demarcy / Harmonia mundi). Le cadre semblait avoir été fait pour cette œuvre intime où, sur le ton de la confidence, avec une émotion non feinte, Laïka nous dévoile à travers les chansons des autres la blessure qui la déchire. Tout simplement superbe.
Le lendemain, le même lieu était livré à la fièvre funky et au groove d’Olivier Temime avec ses Volunteered Slaves ! La fougue généreuse du maître n’en faisait nullement un tyran, et ses esclaves avaient tout le loisir de s’exprimer. Hervé Sambe prenait sans trembler des solos déchaînés où éclatait sa virtuosité véloce sans que la musicalité en souffre et Arnold Mouezza (percussions et chant) n’était pas en reste. Néanmoins, la vedette incontestée de la soirée a été Roxane Butterfly. La danseuse de claquettes, dont le New York Times écrit qu’elle possède tous les atouts, « l’élégance, le charisme et le talent » avant de la qualifier de « Coltrane de la danse », a donné un spectacle qu’il faut bien qualifier d’époustouflant. Vélocité, polyrythmie, élégance de la gestuelle, ont littéralement soulevé le public. Roxane Butterfly épouse à ce point la musique qu’elle donne l’impression d’ajouter une percussion supplémentaire au groupe. Sa joute avec le percussionniste et le batteur a été un vrai régal pour les yeux et les oreilles.
Ce sont donc bien de mauvaises langues qui voyaient le jazz s’assoupir en Bretagne. Dans un terreau déjà fertile en manifestations, ces deux nouveaux clubs, adossés à Jazz à L’Étage, apportent un formidable regain de vitalité et de fécondité. ¶
Jean-François Picaut
Deux nouveaux clubs de jazz à Rennes
Le 47 Avenue • 47, avenue Janvier • 35000 Rennes
02 99 30 86 86
1988 Jazz Club • 27, place du Colombier • 35000 Rennes
Réservation : 07 86 15 09 89
Photos : © Jean-François Picaut