« Dom Juan », de Molière, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

Dom Juan

Vive les comédiens !

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Premier spectacle de la saison et du cycle Molière pour Gwenaël Morin, qui démontre une fois de plus brillamment l’efficacité de sa direction d’acteurs avec, pendant que sa « troupe » tourne les quatre Fassbinder ailleurs en France, de jeunes comédiens tout juste sortis du conservatoire.

On avait pu déjà voir ce que Gwenaël Morin était capable de faire avec des chœurs d’amateurs, dans Antigone à Fourvière ou dans Introspection l’an dernier. Chaque fois le résultat était à la hauteur des ambitions. Mais Molière… mais Dom Juan… de si grands rôles, un texte si chargé d’histoire, cinq grands actes, des tirades si longues, tant de grands interprètes qui s’y sont confrontés… Le doute était légitime et le résultat, il faut bien le dire, sidérant.

Pour rajouter une difficulté, ou peut-être pour parer la critique, les rôles ont été tirés au sort par des mains innocentes… Ainsi est‑ce le hasard qui a décidé qui serait Dom Juan, qui Sganarelle, qui Monsieur Dimanche… et c’est donc, par exemple, Marion Couzinié qui joue Sganarelle et reprend donc le rôle tenu en son temps par l’auteur lui-même et Thomas Tressy Done Elvire… Difficulté supplémentaire, coquetterie de metteur en scène, habitué par ailleurs du fait, ou bien technique pour décoller l’acteur de tous les partis pris ? Ce pourrait être surtout une façon de donner l’absolue primauté au texte, pour ne pas dire l’exclusivité. Car ce qui importe avant tout chez Gwenaël Morin, c’est le texte dont il extorque toutes les subtilités.

Il mène avec ses comédiens un travail sur la voix dont beaucoup d’autres feraient bien de s’inspirer : ici, nul besoin de tendre l’oreille, encore moins de micro, chaque mot s’entend parfaitement, chaque syllabe se détache, et le texte nous parvient tout entier. À croire qu’ils ont appris à dire, comme Démosthène, avec des cailloux dans la bouche… Et, comme lui, ils portent à l’excellence les mots qu’ils disent, leur donnent sens et saveur. Une première grande réussite. Et même, disons‑le, un tour de force éblouissant de Maxime Roger dans le rôle de Pierrot : il tient un discours absolument inintelligible pour Dom Juan comme pour nous spectateurs de façon drôlissime, une suite d’onomatopées et de borborygmes enchaînés à toute allure, accompagnée de l’air naïf de celui qui pense être entendu et compris, seul ridicule au milieu des gens du monde…

Le texte, rien que le texte

Autre technique pour aborder le texte et se débarrasser des oripeaux accumulés au cours des siècles : prendre le texte au pied de la lettre. C’est ainsi que le pauvre à qui Dom Juan conseille de « prier Dieu qu’il [te] donne un habit » est nu et, en cette époque pieuse, honteux. Cela n’est pas artificiel : la forêt, nous annonce-t‑il, est peuplée de voleurs de grand chemin… C’est au contraire le travail sur le texte qui guide les choix de mise en scène. Et lui seul puisque décor et costumes sont réduits à leur plus simple expression : un seul cercle tracé à la craie sur le sol délimite des espaces, et surtout des limites, des séparations, qu’on franchit comme on transgresse. Pour les costumes, une petite concession tout de même à l’époque avec rubans et perruques pour les seigneurs, manifestement d’une autre espèce que les autres, burqa pour Done Elvire… Ces éléments, purement anecdotiques, stylisés, sont davantage faits pour accentuer le comique que pour illustrer l’époque. Car il s’agit là d’une comédie, et on y rit beaucoup. Des insolences du metteur en scène, comme des trouvailles des comédiens et par le texte lui‑même.

Le vrai choix, original, de Gwenaël Morin sur ce texte est en effet le parti pris de faire de cette « grande comédie » une comédie tout court, et ce, jusqu’à la dernière ligne. Dom Juan façon Gwenaël Morin ne se repent pas. Il peut avoir peur et reculer d’effroi, il ne tourne pas le dos à cette bizarrerie si inquiétante et continue à se jouer, à se moquer, tel un feu follet adolescent et audacieux. Il y a en lui du James Dean de la Fureur de vivre et la question du sacré est laissée aux oubliettes. C’est là une lecture du metteur en scène avec laquelle on peut prendre ses distances : à aucun moment, en effet, il ne quitte le terrain de la comédie et même du loufoque alors qu’une autre lecture, plus classique, privilégie une montée dramatique avec la succession des avertissements. Mais cette lecture‑ci se tient. Mieux, elle est somme toute assez nouvelle. Et bien évidemment iconoclaste.

Il faut enfin saluer le travail des comédiens. Si la distribution n’est pas complètement uniforme, il y a là un bel ensemble qui opère fort bien. Et surtout deux ou trois noms dont il faut se souvenir, car ils feront sans doute rapidement parler d’eux : Marion Couzinié, étonnante de fraîcheur, de rouerie et de naturel dans sa composition sensible de Sganarelle, Benoît Martin qui incarne un Dom Juan primesautier et impertinent à souhait, Maxime Roger enfin, dont l’interprétation de Pierrot met en avant les qualités de comique. Un étonnant spectacle, un plaisir pour les amoureux du texte, de la joie et de l’énergie à revendre… on en redemande ! Cela tombe bien : ils jouent jusqu’à la fin du mois, puis ce sera Tartuffe. On attend ! 

Trina Mounier


Dom Juan, de Molière

Mise en scène : Gwenaël Morin

Avec : Julien Michel (Dom Carlos), Maxime Roger (Pierrot), Chloé Giraud (le Père), Chloé Astor (Mathurine), Marion Couzinié (Sganarelle), Benoît Martin (Dom Juan), Judith Rutkowski (Gusman), Thomas Tressy (Done Elvire), Asja Nadjar (Monsieur Dimanche), Lucas Delesvaux (Dom Alfonse), Pierre Laloge (Charlotte), Mickaël Comte (le Pauvre)

Photo : © Théâtre du Point-du‑Jour

Théâtre du Point-du‑Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

04 72 38 72 50

Pas de réservation – 5 € pour tous – pass Molière 20 €

Du 3 au 28 septembre 2013, du mardi au samedi à 20 heures

Durée : 1 h 50

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