Match Duras‑Platini : avantage à Duras
Par Élise Ternat
Les Trois Coups
Décembre 1987, à l’occasion de la parution du livre « Ma vie comme un match », le quotidien « Libération » publie une interview entre Michel Platini et Marguerite Duras. Après « Marguerite et François », entretien mis en scène par Gilles Pastor en 2010, cette fois‑ci, c’est Guy Naigeon, membre du collectif Les Trois‑Huit qui s’est attelé à cette autre interview de l’écrivain, pour en faire le matériau premier de sa dernière mise en scène, sobrement intitulée « Duras‑Platini ».
Sur scène, la tête rentrée dans son col roulé couleur blanc cassé, Anne de Boissy incarne Marguerite Duras face à Stéphane Naigeon dans le rôle du footballeur star des années 1980. La difficulté propre à ce genre d’exercice consiste à savoir donner le relief nécessaire aux paroles partagées, avec justesse et sans en dénaturer la teneur. La chose est ici plutôt réussie puisque le jeu des acteurs, leur gestuelle et le ton décalé de certaines répliques permettent de dynamiser la rencontre tout en conservant son authenticité. Cela notamment grâce à la diction précise et reconnaissable d’Anne de Boissy, dont les traits mutins se font rapidement oublier derrière les lunettes de l’écrivain. Son personnage gagne en ampleur à mesure que se déroule la pièce. Elle porte l’interview à bout de bras, lui impulse un rythme et fait ainsi oublier quelques approximations du second interprète, parfois en arrière‑plan, trahi par un maniement de ballon peu expert… et pas toujours à l’aise dans le rôle d’un jeune retraité du football de 32 ans.
En revanche, on est séduit par la scénographie marquée par un choix d’éclairages contrastés. Le plateau composé de zones de noir et de blanc devient espace de jeu semblable à un terrain de foot. De la cage de but au rond central, des portemanteaux de vestiaire aux bancs de touche, rien n’est laissé au hasard. À cela s’associe l’ambiance sonore des tribunes du stade composant un ensemble des plus réussis. Il s’agit là d’un véritable clin d’œil à la fois élégant et didactique à l’univers du ballon rond.
Le football intellectualisé
Au-delà de la dimension formelle, c’est le football qui est ici interrogé sous toutes ses facettes, réaffirmant aujourd’hui la pertinence et l’actualité de certaines questions posées. De l’absence d’engagement politique aux enjeux financiers d’un tel sport, des rapports aux journalistes à la question des valeurs humaines, en passant par la misogynie et le racisme, c’est tout un domaine qui est ici disséqué sur le ton de la confidence. Ainsi, ce sport s’en trouve conceptualisé, voire intellectualisé, à travers les notions d’angélisme ou encore de hasard, offrant aux novices en la matière une source d’intérêt inattendue. Par ailleurs, l’humour présent tout au long de la pièce, par exemple lors d’échanges ou passes de ballon entre les personnages, permet de donner au propos une vraie mise à distance, un vrai décalage.
Malheureusement, et malgré l’irrévérence des questions posées, quelques longueurs rendent un peu poussif cet échange d’une heure trente. On reconnaît toutefois l’intérêt d’avoir mis en scène cette rencontre improbable, en ce qu’il s’agit là d’un hommage à la fois respectueux et sympathique tant à un mythe de la littérature qu’à une légende du football. ¶
Élise Ternat
Duras‑Platini, de Guy Naigeon
D’après l’interview publiée en décembre 1987 dans Libération
Mise en scène : Guy Naigeon
Avec : Anne de Boissy et Stéphane Naigeon
Scénographie, lumières : Yoann Tivoli
Costumes : Clara Ognibene
Son : Marie Nachury
Photo : © Aurélien Serre
Nouveau Théâtre du Huitième • 22, rue du Commandant‑Pégout • 69008 Lyon
Site du théâtre : www.nth8.com
Réservations : 01 78 78 33 30
Du 17 au 25 octobre 2012 à 20 heures et du 26 au 27 octobre à 17 heures
Durée : 1 h 30
Au choix de chacun : 0 € | 5 € | 10 € | 20 € | 50 € | 100 €