Une école du spectateur remarquable
À son lancement, en 2023, 340 élèves ont eu l’opportunité d’apprendre à devenir des spectateurs. En plus de la liste des propositions à découvrir ensemble aux alentours de Rennes, une surprise était annoncée, dont les détails n’ont été révélés qu’en décembre, le temps de s’organiser. Sur les 45 candidatures pour Avignon, il a fallu en sélectionner seulement 12. Parmi les critères : motivations et engagement, diversité des formations.
Conformément aux projets de l’académie et de l’établissement, cette école du spectateur fixe donc des objectifs approfondis et ambitieux d’éducation artistique et culturelle avec, cette année, un module d’initiation en Seconde (pas de section théâtre dans ce lycée non spécialisé), un parcours dans les institutions locales (TNB, Trans musicales, Le Triangle Cité de la danse, les festivals Waterproof et Mythos…), la présence de compagnies amateurs, ainsi qu’un séjour au Festival d’Avignon en Première. La promesse d’une riche expérience : analyse de représentations, visites, rencontres, débats…
D’un point de vue pédagogique, relevons évidemment la préparation aux épreuves du Baccalauréat de Français (culture générale, analyse critique, capacités à l’oral), laquelle s’enrichit de compétences comportementales et citoyennes fort utiles (curiosité, ouverture, vivre ensemble, autonomie dans l’organisation et la planification, fiabilité, sérieux, etc.).
De Rennes à Avignon
Pour Avignon 2024, Daniel Le Beuan a composé un programme très complet, grâce au soutien de partenaires institutionnels, le Festival d’Avignon, la Maison Jean Vilar, et de deux théâtres du Off, l’Artéphile (accueil pendant une journée complète de générales) et La Manufacture (actions de médiation). Soit 23 spectacles en une semaine !
L’accompagnatrice Louise Goudon, qui se destine à être CPE, a trouvé l’expérience très formatrice. « Une présence indispensable et précieuse pour ce groupe mixte », ajoute Daniel Le Beuan, organisateur, pédagogue et animateur hors pair : « Attention ! Être spectateur n’est pas un loisir. C’est un travail, même s’il y a beaucoup de plaisir. J’accepte que les élèves fassent des palmarès, qu’ils disent ne pas aimer, mais pas qu’ils quittent une salle. Et sortir en colère d’un spectacle est une bonne chose : cela signifie que celui-ci ne laisse pas indifférent. Tout spectacle laisse des traces ».
Il applique donc les mêmes « règles d’or » qu’il se fixe à lui-même : « dépasser la question de j’aime / je n’aime pas ; accepter de ne pas comprendre ; aller tout voir, et s’ouvrir à tout ; ne jamais conseiller de spectacles aux autres » : l’enthousiasme de ce quinquagénaire est contagieux !
Un bilan très positif
Arrivé dès le 28 juin, le groupe a découvert une ville en ébullition, la parcourant en tous sens car, depuis l’auberge de jeunesse de l’Île de la Barthelasse, le programme prévoyait des visites de lieux, jusque dans les coulisses. Les lycéens ont suivi des guides, mais aussi fait des choix personnels, notamment pour revoir une proposition découverte en avant-première. Solal explique qu’assister à une représentation en présence du public lui a fait « mesurer le trac des comédiens et changer son point de vue grâce à une analyse approfondie du spectacle ».
Outre les connaissances, ces jeunes ont eu la chance de vivre des conditions variées (montage technique, filage, première, etc.), de rencontrer des professionnels et des artistes de plusieurs nationalités, leur permettant ainsi de mieux comprendre certains enjeux actuels de la création, de participer à la promotion de « coups de cœur » (à la radio), de partager des moments d’une rare intensité, comme le tractage avec une compagnie.
« Immersion, choc, inattendu, émotion, variété, explosion, surprise, réception, engagement, inspiration, discussion, révélation… » : synthétiser cette expérience en un mot n’est pas un exercice facile, tant ils ont de choses à raconter : Jade adore la ville « si animée », l’accueil « chaleureux » des professionnels. Comme Louise, avide d’échanges, Romane apprécie « le côté humain », les débats qui lui ont permis de développer son argumentaire. François relève « la qualité du dialogue authentique entre la réception du public et les intentions des artistes. Même quand il y a une rencontre avec l’équipe, tout commence par des questions qui nous sont adressées », explique-t-il.
Tous font tous preuve d’une certaine maturité : Alix y trouve l’occasion de communiquer sur des sujets divers, qu’ils soient drôles ou difficiles. Chloé précise que « le théâtre n’a pas transformé sa vie, mais sa vision des choses ». Antoine, qui aimerait devenir réalisateur de cinéma, est sensible aux esthétiques et garde en tête beaucoup d’images. Maïwenn a aimé s’ouvrir à différents genres, entendre certains messages, vivre tant d’émotions.
Daniel Le Beuan : une « mémoire vive »
Le Festival d’Avignon, c’est aussi son école. Si Daniel Le Beuan a débuté par le Off, « moins intimidant », il se rend dans la Cité du théâtre depuis presque 25 ans. Il a vu tous les spectacles du In depuis plus de vingt ans, et donc ceux de la Cour d’honneur depuis 2002. Cela fait de lui une exceptionnelle « mémoire vive ». D’ailleurs, il a contribué au projet Cour d’honneur de Jérôme Bel présenté au Palais des papes, dans le cadre du Festival d’Avignon 2013.
Dans ce texte, il a livré ses plus fortes émotions, ses déceptions, ses « rêveries », ses réflexions avec force anecdotes, bref son expérience de « spectateur vivant », qui en dit long sur sa démarche, entre approche sensible et lectures de Bertolt Brecht, Roland Barthes, Charlotte Delbo. Doctorant à Paris 3 (sous la direction de Marie-Madeleine Mervant-Roux), il a été chargé de cours vacataire à l’Université de Rennes 2.
Daniel Le Beuan va également au théâtre toute l’année. Ainsi a-t-il vu, plus de 2.700 spectacles : « Ce n’est ni une performance, ni une quête de record ; c’est une chance », précise-t-il. « Je vais tout voir et comme ça c’est clair, je ne choisis pas ! ». À l’instar de Walter Benjamin, il tient un registre. Il a appelé sa liste « Mon testament ».
Héritier de Jean Vilar, il a forgé son expérience grâce aux ATP (Amis du Théâtre Populaire). Sans enfant, mais conseiller principal d’éducation, il transmet à son tour de façon très généreuse : « Mon patrimoine de spectateur est un legs que j’ai reçu et je m’efforce avec plaisir de le redonner aux autres, parfois longtemps après, par ce que je fais dans ma vie, dans mon métier et dans mes engagements de citoyen. Le théâtre m’a transformé. Pourquoi pas eux ? ».
Nul doute que tous les jeunes se souviendront de ce séjour incroyable. Et de ce passeur unique. Un vote en ligne permet de soutenir le développement de ces activités.
Léna Martinelli
École du spectateur Lycée Victor et Hélène Basch de Rennes au Festival d’Avignon
Séjour du 28 juin au 6 juillet 2024
Lycée Victor & Hélène Basch • 15, av Charles et Raymonde Tillon • 35000 Rennes
Contact : mail
Soutiens : Éducation nationale (Académie de Rennes), Pass culture, le Conseil régional de Bretagne (dispositif Karta), Artéphile, La Manufacture d’Avignon et le CPPC, Festival d’Avignon, Maison Jean Vilar, BNF (Arts du spectacle à Avignon)
Émission radio en ligne ici et ici
Pour soutenir le projet 70 en ligne
Photos : ©️ Daniel Le Beuan
Une réponse
Très bel article.
Tout notre soutien au Lycée Victor & Hélène Basch pour ce projet.