Édito, réouverture, déconfinement

CFB-451-Cie-Christian-François-Ben-Aïm © Patrick Berger

Enfin !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Combien de fois ce mot a-t-il été utilisé en ce jour de reprise ? Enfin, les retrouvailles ont eu lieu, en effet. Ce fut une réouverture pluvieuse mais heureuse. Nombre de théâtres ont organisé des représentations ou événements (voir notre sélection). Malgré une météo capricieuse qui a chamboulé sa programmation, le Théâtre de la Ville a, par exemple, invité le public, dès 8 h 30 lors de la journée de reprise, à des concerts sur les nouvelles scènes extérieures de l’Espace Cardin, des rencontres, des ateliers, des consultations poétiques, musicales et dansées. Cela se poursuit dimanche.

Quel soulagement de reprendre le cours de la vie, dans la liberté de l’échange et de la création ! En revanche, la situation des théâtres occupés par les intermittents, étudiants et précaires est loin d’être réglée. D’ailleurs, le 10 mai, L’Odéon – Théâtre de L’Europe lançait un « appel à lever les occupations », signé par son directeur Stéphane Braunschweig, relayé par ses homologues de l’Opéra national de Lyon, de La Criée de Marseille et du théâtre national de Nice. Les deux premiers doivent encore faire face à de sérieux blocages.

Respiration revigorante

Tandis que, depuis novembre, les artistes étaient réduits à la distanciation sociale – plutôt qu’à faire société – contraints à chercher de nouveaux chemins – à défaut de trouver du sens –, notre rédaction s’est cantonnée au strict nécessaire. Re-tenue. Après les tergiversations, d’incessantes quêtes sans queue ni tête qui ont abouti à tant de frustrations et de crispations légitimes (lire édito), reprenons donc l’essence de nos activités : retrouvons-nous sur les places publiques, dans des lieux atypiques, en fait partout où l’étincelle de vie peut surgir, dont les salles de spectacle. Comme toujours, responsables mais détendus.

Nid-de-cendres-Simon-Falguieres © Simon-Gosselin
« Nid de cendres », de Simon Falguieres, du 19 au 23 mai 2021 au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Paris © Simon Gosselin

Depuis des mois, les équipes rivalisent d’imagination pour maintenir leurs activités. Le secteur subventionné n’a pas relâché ses efforts : résidences, répétitions, représentations professionnelles, captations, projets d’éducation culturelle et artistique hors-les-murs, restitutions d’ateliers avec ou sans public… Beaucoup ont même imaginé des propositions inédites pour maintenir le lien, voire créer à distance. Bravo à eux !

Cependant, notre soif va de nouveau pouvoir être rassasiée, car le vrai spectacle vivant fait assemblée : il vous scotche sur une chaise ou vous éjecte du siège par l’énergie qu’il procure, une fois diffusée dans la salle ; il vous traverse d’émotions mêlées; il palpite et fait de vous, de nous, des êtres uniques, réunis ici et maintenant.

Retrouvailles biaisées

Certes, on ne peut pas revivre le spectacle vivant comme avant. Entre autres contraintes, les jauges sont limitées à 35 % : c’est peu mais c’est un début… Les professionnels s’adapteront. Encore et toujours. Sans parler des équations à résoudre, du casse-tête des programmateurs devant caler reprises, créations avortées et confinées.

On devra faire des choix. Et donc sacrifier des victimes… Même si Roselyne Bachelot vient d’annoncer 68 M€ supplémentaires pour accompagner la reprise du spectacle vivant (soit 38 M€ pour le fonds de compensation billetterie du spectacle musical, 15 M€ pour le théâtre public en région et 15 M€ pour le théâtre privé), le secteur va traverser une grave crise économique. Comment donc revivre comme avant, quand le jour d’après s’annonce morose ?! Quand les leçons du passé ne sont pas tirées, que les dés sont pipés d’avance et que l’avenir est si incertain, pour les professionnels, les publics et les autres ?

Réenchantés ?

S’il paraît absurde de relancer la machine à un moment où se font traditionnellement les lancements de saisons, où devrait plutôt se préparer la rentrée de septembre, l’effervescence est malgré tout palpable, car accueillir à nouveau les spectateurs en salle est le cœur de mission du théâtre subventionné (lire l’entretien avec Elsa Kedadouche, directrice des relations avec le public du théâtre de la Bastille). Et puis les festivals se profilent avec leur lot de réjouissances. Savourons l’espoir de vibrer à l’unisson en retrouvant une création florissante !

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« Percut », de Pierre Pontvianne, le 23 mai 2021 au Théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie de Paris, dans le cadre de June Events 2021 © DR

Cet art qui réjouit, touche, bouscule, dont l’exigence et l’éclectisme des formes s’adressent à tous les publics, s’annonce moins divertissant que jamais. Loin d’être insouciants, nombre d’artistes traitent des dérives sociétales, des effondrements en cours. Depuis longtemps, beaucoup nous alertent, nous livrent même des dystopies, réfléchissent au monde d’après. Ceux-là, et tant d’autres, nous le rappellent : il ne faut « pas oublier de se souvenir » (tel est le fil rouge du festival d’Avignon en juillet prochain).

Maintenant qu’ils le peuvent à nouveau, ils vont continuer d’interroger nos rêves, de tisser des liens indéfectibles entre nous, survivants, pour partager expériences et points de vue sur le monde d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Ces artistes construiront d’autres ponts, mais aussi emprunteront de nouveaux chemins de traverse pour faire tomber les masques, révéler les failles de nos systèmes et battre en brèche le repli sur soi, tandis que d’autres tenteront un ré-enchantement. C’est vital. 

Léna Martinelli

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