Beau printemps chez Molière
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
56 jours durant, la Comédie-Française a animé sur son site et sur Facebook une chaîne intitulée « la Comédie continue ». De 16 heures à 23 heures, des rubriques présentées par les acteurs et techniciens de la troupe, ainsi que deux levers de rideau, ont permis au monde de voir entrer « la Maison » à la maison. Clotilde de Bayser, 509e sociétaire de la Comédie-Française, nous parle de cette première.
Pourquoi avoir préféré la création d’une chaîne à la seule diffusion de captations de spectacles ?
C’est vrai que nous aurions pu nous contenter de notre catalogue. Mais Éric Ruf voulait rétablir le lien avec le public le plus vite possible, ce que la web télé permettait mieux. Par ailleurs, nous sommes un théâtre national très soutenu par le ministère. Nous ne jouons plus, mais nous sommes payés. Il était normal de justifier cette aide et de travailler de concert avec l’État, qui a toujours voulu que la Comédie-Française s’adresse à tout public, parisien ou non, adultes ou enfants. La web télé a donc prolongé cette volonté. Ainsi, une des tranches horaires a-t-elle été dédiée aux scolaires, avec la rubrique du bac de Français, et aux plus petits, avec la lecture de contes. Cela nous a permis de relayer l’école à distance.
Le lien avec le public s’est-il approfondi de la sorte ?
Oui, bien sûr. Nous avons un rapport très particulier avec les gens, presque amical, parce qu’ils nous connaissent et nous reconnaissent. Ce sont des fidèles. Avec la web télé, le rideau s’est ouvert plus largement. De façon assez transparente et intime. C’était comme faire un cadeau à ce public qui nous suit, sans rompre le lien, sans coupure brutale.
En effet, la Comédie-Française ne s’est arrêtée qu’une seule fois, lors de la Révolution. Nous sommes présents continuellement, sans jour de relâche, hormis les jours saints. Il était donc exclu de distendre ce rapport : la web télé a créé un fil conducteur qui nous a tous reliés. Et de toute évidence, nous n’avons pas touché que des habitués. C’était émouvant de constater que le cercle s’agrandissait.
Concrètement, comment cela s’est-il passé ?
Dès qu’Éric et son équipe ont pris leur décision, nous avons démarré sur les chapeaux de roue. On nous a présenté une grille, avec des cases journalières à remplir, selon notre choix. Certaines cases se sont très vite remplies, comme celle de la poésie. Chez nous, tout le monde aime la poésie ! On avait tous envie d’en lire. La case du bac de Français a suscité moins d’engouement. C’était plus compliqué, on savait que ce ne serait pas parfait, car on était en roue libre. Il a dû y avoir des maladresses, mais l’énergie était là. Certaines rubriques se sont un peu taries, comme celle « ce que j’emporterais sur une île ». Nous en avons trouvé d’autres dans les dernières semaines, comme la lecture de correspondances.
On n’est pas sur les planches, mais on utilise quand même notre humanité, notre sensibilité.
Avez-vous retrouvé l’impression de jouer ?
Rien n’est comparable aux planches ! Au fait d’être là, physiquement, avec le spectateur. Le théâtre ne se remplace pas. Mais dans cette période confuse, je ne savais pas trop quoi penser, ni quoi faire : cette chaîne m’a forcée à retourner dans mes bouquins, à aller chercher, à être émue. Car on ne lit pas le premier poème venu. Il faut en avoir lu beaucoup pour choisir celui que l’on aimerait partager.
Finalement, dans les mots, dans la littérature, on retrouve les vrais sentiments de la vie, en profondeur. On n’est pas sur les planches, mais on utilise quand même notre humanité, notre sensibilité. Alors, oui, j’ai retrouvé des sensations. Des mécanismes se sont réenclenchés.
Quel mécanisme, par exemple ?
Quand on prépare un rôle, on a une pièce en tête. Et dans la vie, au même moment, il y a une multitude de micro événements, que l’on pourrait appeler « coïncidences », mais qui n’en sont pas. C’est juste notre acuité qui est plus forte. On est comme un buvard, on capte des correspondances. Par exemple, lorsque je faisais des lectures de Maigret à la Maison de la Radio, j’ai vu à plusieurs reprises, sur mon trajet, des hommes avec pipes et chapeaux. À notre époque ! Notre œil devient très attiré par les points de correspondance avec le rôle. On s’imprègne de courants. Pendant le confinement, en préparant mes lectures, j’ai aussi retrouvé ce mécanisme de connexion, d’imprégnation. Donc, clairement, le métier s’est rappelé à moi. J’ai même eu le trac ! Pas le trac du spectateur, bien sûr, mais celui de ne pas bien faire.
Vous regardiez-vous les uns les autres ?
Oui. D’ailleurs, cette chaîne a été très salutaire pour l’angoisse des comédiens. Nous nous sommes encouragés. Comme nous nous connaissons bien, nous repérions les défauts et qualités de chacun. Nos interventions étaient parfois diamétralement opposées, puisque nous étions en totale liberté. Chaque artiste a œuvré avec sa spécificité, sa personnalité, selon l’inspiration du moment. Au décès de Christophe, l’une d’entre nous a chanté « Les Paradis Perdus ». Nous nous sommes sûrement redécouverts un peu individuellement. On a eu l’impression de ne pas être seuls et désespérés. Notre devise, « Simul et Singulis », a eu tout son sens.
Comment se présente la suite ?
Nous poursuivons le samedi et le dimanche, de 14 heures à 23 heures, avec deux levers de rideau, le samedi et le dimanche, et un entretien en fin de journée sur les réseaux. C’est le programme intitulé « la Comédie continue, encore ! ». Ensuite, lorsque nous aurons une date de reprise et que les répétitions auront recommencé, un comédien en charge de la journée montrera le travail en cours, avec questions aux artistes, visite de sa loge, etc. On verra la Maison qui reprend. Ce sera « La Comédie reprend ! ». Enfin, après la première, nous diffuserons un grand spectacle par mois, tout en restant très actifs sur les réseaux sociaux. Cette période aura été l’accélération d’un processus déjà dans les tiroirs. Le dénouement s’appellera « Quelle Comédie ! ». ¶
Propos recueillis par
Florence Douroux
Clotilde de Bayser, 509e sociétaire de la Comédie-Française, entrée le 7 mars 1997
La Comédie-Française • 1, Place Colette • 75001 Paris
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Électre, Oreste », d’Euripide, la Comédie-Française à Paris, par Léna Martinelli.
☛ « la Double Inconstance », de Marivaux, Comédie-Française à Paris, par Isabelle Jouve