« Brecht dans son jus »
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Après avoir assisté à la représentation de « Courage Modèle », dans ce que j’imaginais être une mise en scène de Gwenaël Morin (lire la critique), j’ai eu la surprise de remarquer sur le programme Bertolt Brecht au texte et à la mise en scène. Interloquée, je suis allée interroger celui qui avait conçu le spectacle.
Pourquoi avoir choisi cette pièce ?
Les pièces de Brecht sont pain béni pour faire travailler des élèves. Roger Planchon, que je cite dans la feuille de salle, le dit avec force : Il faut refaire les mises en scènes de Brecht. C’est très bien, elles sont parfaites, donc il faut les copier. Il faut rentrer dedans et puis bien dire que ça vient de Brecht, pas dire que c’est de soi, ça ne sert à rien.
Je me suis donc mis dans ses chaussons et me suis mis en quête des pièces didactiques de Brecht. Ces modèles ne délivrent pas de message, ce sont des pièces pour apprendre la relation à l’autre sur la scène. Ils sont constitués du texte, de photos et de notes de mise en scène. L’intention de Brecht n’est pas comparable à celle d’un Beckett qui exige le respect absolu de la forme, mais de permettre aux acteurs de monter ses propres textes eux-mêmes. Pour lui, l’imitation est vecteur d’émancipation.
Cela me semble opportun de travailler avec cette modestie dans le cadre d’une école de théâtre. Nous avons donc scrupuleusement pris appui sur les notes de Brecht, comme Alain Françon le fait sur les notes de Stanislavski.
Ces notes se trouvent-elles facilement ?
Bien sûr que non ! Je savais qu’elles existaient et suis parti en Allemagne, où j’ai fouiné chez les antiquaires, les bouquinistes, chez lesquels j’ai trouvé ces Modellbücher. Puis j’ai eu la chance de tomber, pendant le confinement, sur une captation vidéo de Mère Courage de 1949 diffusée par le Berliner Ensemble, qui m’a nourri et dont je me suis largement inspiré. Ma direction d’acteurs vient de là.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la direction d’acteurs ?
Dans une pièce aussi longue avec plusieurs dizaines de personnages, certaines partitions sont très longues, notamment celle de Mère Courage qui est pratiquement tout le temps sur le plateau. En seulement trois semaines et demi, les élèves ont appris tous les rôles, ce qui permet le tirage au sort de la distribution. Ce choix n’est pas gratuit, je ne voulais pas introduire de discrimination. Ce procédé garantit aussi l’effacement devant une œuvre, comme j’ai pu m’effacer devant Brecht.
Ses acteurs sont très libres. Ils improvisent sans tirer la couverture à eux. Dans cette promotion, comme certains étaient musiciens, je leur ai demandé d’inventer la musique pour la scène et ils l’ont fait directement au plateau. Ce fut un régal.
Je n’ai jamais vraiment pu travailler comme ça auparavant, par manque de temps et de moyens. À l’Ensatt, j’ai trouvé une puissance de feu incomparable. J’ai aussi bénéficié de l’implication sans faille de la scénographe Marie Bonnemaison et de la costumière Elsa Depardieu.
Je mesure là ce que peut être un théâtre très accompli. Pour moi, qui suis un autodidacte, cela m’excite assez.
Propos recueillis par
Trina Mounier
Courage Modèle, de Bertolt Brecht
Texte : Bertolt Brecht
Traduction : Eugène Guillevic
Conception : Gwenaël Morin
Mise en scène : Bertolt Brecht
Assistanat : Léo Martin
Dramaturgie : Barbara Jung
Costume : Elsa Depardieu
Scénographie : Marie Bonnemaison
Adaptation musicale : Rayan Ouertani et Lucille Courtalin
Traduction de la chanson de la grande capitulation : Irène Bonnaud
Régie et création lumière, vidéo, son : Malounine Buard
Durée : 2 h 45 entracte compris
Ensatt • 4, rue Sœur Bouvier • 69005 Lyon
Du 23 mars au 1er avril 2022