Entretien avec Marina Hands, interprète du spectacle « Actrice » de Pascal Rambert

Marina Hands dans « Actrice » de Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez

Marina Hands : « Rester dans
le théâtre contemporain
 » 

Propos recueillis par Olivier Pansieri
Les Trois Coups 

Actrice de théâtre mais aussi de cinéma et de télé, Marina Hands incarne Eugenia dans « Actrice » de Pascal Rambert, l’héroïne de ce « Chant du cygne » actuel. Elle y brille de cet éclat fort et paisible du diamant. Nous avons donc interrogé la femme qui se cache derrière ce phénomène. Eh bien, elle ne s’y cache pas du tout ! Quelqu’un de naturellement vrai et lumineux.

 

Comment a commencé cette histoire ?

Pascal Rambert m’a vue jouer dans un spectacle de Luc Bondy, qui est décédé peu après. Je faisais Anna Petrovna dans Ivanov de Tchekhov. Actrice était écrit pour le Théâtre d’art de Moscou, mais Pascal voulait en faire une version française. Il m’a proposé Eugenia.

 

Pascal Rambert explique-t-il ses motivations ?

Il ne parle que si l’on demande. Il ne dévoile pas sa cuisine : comment, pourquoi. Ni ses motivations. Ça reste mystérieux mais, si vous le lui demandez, il vous dit tout. Par contre, dans un premier temps, il ne parle pas de lui, disons « en plus du texte ». C’est une forme de pudeur. Une fois, je lui ai posé une question très précise, une seule fois. Mais j’ai bien aimé que ça reste ainsi, que ça flotte.

Marina Hands dans « Actrice » de Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez
Marina Hands dans « Actrice » de Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez

« Arracheuse de larmes ». Cette définition vous convient ?

J’espère que je ne les arrache pas trop violemment [petit rire]. Je ne sais pas. En tout cas, je dois jouer une actrice qui le fait.

 

Au cours des répétitions, avez-vous évoqué le statut de l’euthanasie en France ?

Pas directement. C’était assez étrange à quel point il n’y avait pas de discussion frontale sur le sujet. Mais, de mon côté, j’ai regardé des documentaires et des films sur les infirmières, les soins palliatifs.

  

Dans la pièce, les relations familiales sont terribles. Est-ce parce qu’Eugenia est artiste ?

Non. Dans toutes les familles c’est pareil. C’est pourquoi, dans la salle, les gens se reconnaissent. Et c’est voulu par l’écriture. Il y a toujours cette question de la famille de sang et de la famille choisie. Eugenia a ses collègues, ses collaborateurs, c’est sa famille choisie ; sa famille de sang est plus dans l’incompréhension par rapport à son mode de vie. Dans les familles, il arrive souvent que les gens ne se comprennent pas et ne comprennent pas pourquoi ils ne se comprennent pas, puisqu’ils sont de la même famille.

 

Pavel, ce serait l’amour fou ; Igor, la tendresse. Il semble qu’Eugenia veuille les deux.

Pour moi, c’est une forme de régression, sans la dimension péjorative du terme, que j’attribue aussi à ce qu’elle est en train de vivre. Ce moment où, tout d’un coup, il y a beaucoup moins de défenses et de filtres. Il y a les médicaments, le tourbillon des visites, les gens sont aussi « hors d’eux-mêmes » et donc les relations deviennent plus fusionnelles, maladroites, peut-être infantiles. Un peu chez tous les personnages.

 

La pièce est hantée par Tchekhov, notamment sa Mouette. Eugenia, ce serait qui : Nina ou Arkadina ?

Sa sœur la traite d’Arkadina. Mais Eugenia, je pense, n’aimerait surtout pas jouer Arkadina. Alors Tchekhov oui, Pascal a écrit la pièce exprès pour le Théâtre d’art de Moscou. Il y a une forme de sacralisation de la poésie, du théâtre comme une réalité vraiment nécessaire. Mais Arkadina, non. Il y a d’ailleurs beaucoup d’actrices qui ont fait Nina mais ne veulent pas jouer Arkadina, ne veulent pas basculer dans l’autre.

 

Vous-même, comment conciliez-vous le temps de jouer et celui de vivre ?

J’implique le moins de gens possible. Je ne prend pas tellement de responsabilités, je me « responsabilise » très peu [nouveau petit rire]. Ainsi, je ne mets personne en défaut. L’aspect vorace du théâtre, peut-être plus que du cinéma ou de la télé, est très vrai. On vit complètement à contrecourant. Quand j’ai commencé le théâtre, c’était ce que j’aimais. Après, c’est une décision. C’est un mode de vie qu’on choisit. Il faut en être conscient.

 

Y a-t-il des choses que vous avez trouvées en cours de représentation ?

Oui. Aucune représentation n’est pareille, on le dit souvent, mais là particulièrement. On ne change pas les intentions mais, par moments, la forme devient plus explosive ou, au contraire, plus intime. Même la disposition scénique, car quand on circule tous sur le plateau, on ne fait presque jamais les mêmes déplacements. Une obsession est récurrente chez Pascal : « Je veux que ça reste vivant ». Il préfère, nous disait-il, qu’il y ait des petits problèmes techniques, que parfois on n’entende pas tout, que le spectacle ne soit pas coulé dans le bronze, mais qu’il reste vivant.

Marina Hands dans « Actrice » de Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez
Marina Hands dans « Actrice » de Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez

C’est différent de jouer aux Bouffes du Nord et au Théâtre national de Bretagne, à Rennes ?

Je crois que la diversité des programmes en province rend le public plus ouvert, moins mondain qu’à Paris. C’était frappant aux Bouffes du Nord. La première semaine était vraiment étrange, certains retours étaient un peu… Les spectateurs ne s’attendaient pas à quelque chose d’aussi violent et qui parle autant du théâtre. Moi, je répondais : « Relisez l’argument : “Une actrice de théâtre, et qui va mourir”. Alors, ça va parler de quoi ? De théâtre probablement, puis de la mort, non ? Il n’y a aucune tromperie. On ne vous annonce pas Richard III et, tout d’un coup, on est dans un cabaret ».

À certains, on a vraiment envie de demander : « Vous êtes venu pour quelles raisons, si le sujet en lui-même vous le trouvez agaçant, ou rabâcheur, ou je ne sais quoi ? » On n’a jamais eu ces réactions ni à Rennes, ni à Strasbourg, ni à Tarbes, des salles très différentes en taille, mais où il y a une grande constance du public. Il sait ce qu’il vient voir. À Paris, on a dû attendre la deuxième semaine pour que le public vienne en se disant : « Bon, je sais de quoi ça parle. Je veux le voir, ça m’intéresse ».

 

Une pièce que vous aimeriez jouer ?

J’ai envie de rester dans le théâtre contemporain, qui a été une révolution pour moi. Je dois retravailler avec Pascal, et j’en suis ravie. C’est une rencontre de vies. Vraiment, je le pense.

 

Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ?

Ah… La question du public jeune. Comment la pièce est reçue par les jeunes. Parce que, et c’est une surprise, Actrice est reçue de façon très intense. Les jeunes, dans toutes les villes, sont bouleversés. Beaucoup s’identifient à la petite Lyna [la fille d’Eugenia dans la pièce]. Ils écrivent des messages sur les réseaux sociaux ou m’attendent à la sortie. Ce sont des adolescents de seize ou dix-sept ans, qui viennent avec les scolaires. J’en suis très touchée. À Paris, une fille m’a même arrêtée dans le métro pour me dire : « Il y a des gens qui disent que Pascal Rambert c’est clivant. Je ne le connaissais pas, mais en fait, ce n’est pas vrai ». Pascal est vu comme un intellectuel. Mais les jeunes prennent la pièce vraiment fortement ; j’ai vu des jeunes filles en larmes debout aux saluts quasiment à chaque fois, ce qui ne m’était jamais arrivé. J’ai joué dans des spectacles qui avaient une critique merveilleuse, que les gens trouvaient formidables, etc. ; mais personne ne se levait de son siège et je n’avais pas tous les soirs des messages de filles de seize ans. Pascal touche juste, il touche le cœur. Je veux continuer à avoir ce rapport avec le public. Si je peux. Je veux faire du théâtre si je sais qu’on prend la parole pour dialoguer avec les gens. 

Propos recueillis par Olivier Pansieri


Actrice, de Pascal Rambert

Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs

Texte, mise en scène et scénographie : Pascal Rambert

Avec : Marina Hands, Audrey Bonnet, Ruth Nüesch, Jakob Öhrman, Elmer Bäck, Yuming Hey, Emmanuel Cuchet, Luc Bataïni, Jean Guizerix, Rasmus Slätis, Sifan Shao, Laetitia Somé, Hayat Amiri, Lyna Khoudri et Anas Abidar en alternance avec Nathan Aznar et Samuel Kircher

Lumières : Yves Godin

Costumes : Anaïs Romand

Assistante à la mise en scène et directrice de production : Pauline Roussille

Durée : 2 h 15

Photo © JeanLouis Fernandez

Reprise au Théâtre national de Bretagne du 13 au 17 février 2018 


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ « Actrice », de Pascal Rambert, Théâtre des Bouffes-du-Nord à Paris / Par Bénédicte Fantin

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