Entretien avec Pascale Paulat, directrice artistique d’Ère de jeu, Île‑de‑France

Pascale Paulat © D.R.

« Il faut donner le meilleur dès le plus jeune âge. »

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Repérée comme un acteur innovant dans le secteur culturel et artistique pour la jeunesse à Paris et en Île-de-France, l’association Ère de jeu organise les festivals Ô 4 vents ainsi que Pestacles et des actions d’éducation artistique. Rencontre avec Pascale Paulat, sa directrice artistique et « connecteuse », comme elle se définit elle-même.

Vous avez fondé Ère de jeu. Pouvez-vous nous présenter les missions de cette association ?

Ère de jeu vient de fêter ses 14 ans. Je l’ai fondée en 2002 pour créer Escapade, le premier festival jeune public à Paris, qui avait pour mission de défendre les écritures contemporaines et de programmer celles-ci dans des lieux culturels pour faire circuler les publics.

La mairie de Paris nous a ensuite proposé d’organiser le festival Ô 4 vents. Le concept : proposer des évènements et activités culturelles pendant dix jours à destination des 0‑11 ans dans les lieux de patrimoine. Le défi : investir des lieux pas forcément destinés au spectacle vivant.

Nous avons ensuite postulé à l’appel d’offres concernant l’organisation de Pestacles, qui se déroule au Parc floral de Paris tous les mercredis d’été. Nous l’avons remporté et nous venons de signer notre troisième mandat. Ce qui nous intéresse dans ce projet, c’est de programmer de la musique à destination des familles, dans un espace public.

Vous pilotez donc plusieurs projets. D’où le terme de « plateforme associative », plutôt qu’association ?

Qui dit « plateforme » dit « croisements », « rencontres », « réseaux ». C’est pourquoi nous développons plusieurs types de projets à Paris et en périphérie. Les dénominateurs communs : les artistes, la jeunesse et l’ancrage sur le territoire.

Si Escapades n’existe plus aujourd’hui, les deux autres festivals se développent bien. Pestacles remporte un franc succès. Quant au festival Ô 4 vents, il évolue à chaque édition. Cette année, nous ne disposons d’aucun plateau pour présenter les spectacles. Compte tenu de ces contraintes techniques, il m’a fallu composer la programmation avec des spectacles adaptables. Du coup, j’ai cherché à créer des contrastes, car je suis convaincue que l’on peut éveiller le regard par chocs positifs. Pour la prochaine édition, nous allons imaginer des visites un peu particulières : des groupes d’enfants aborderont des lieux en compagnie d’un artiste, qui proposera son approche personnelle.

Ère de jeu accueille chaque année 25 000 spectateurs.

Grâce à la réinvention du rapport collaboratif entre les artistes, le public et les partenaires, les évènements sont plus participatifs. Très vite, nous avons d’ailleurs imaginé des actions culturelles (ateliers, rencontres, débats…) qui prolongent le plaisir du spectacle. Ère de jeu accueille chaque année 25 000 spectateurs et développe parallèlement des actions d’éducation artistique qui profitent à plus de 2 000 bénéficiaires.

Aujourd’hui, nos actions évoluent, avec un volet « éducation par la culture ». Ainsi, depuis 2012, Ère de jeu s’inscrit aussi dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Nous bénéficions d’ailleurs du label « Entreprise solidaire ».

C’est dans ce cadre que vous intervenez dans les maisons médicalisées ou les centres sociaux, par exemple ?

Tout à fait. Cela permet de renforcer notre présence sur les territoires et d’imaginer sans cesse de nouvelles actions. Clichés, projet photographique intergénérationnel, et les Bâtisseurs, programme de découverte des métiers de l’innovation par et pour les collégiens, visent à créer du lien social et à inscrire les participants au cœur du processus.

Nous nous éloignons du spectacle vivant, me direz-vous ? Rassurez-vous ! Je ne peux pas me passer des artistes trop longtemps. À partir de l’année prochaine, certains d’entre eux s’inscriront aussi dans ces projets.

C’est un peu le grand écart entre le Marais, ce quartier très chic, « bobo », et les quartiers défavorisés dans lesquels vous intervenez, non ?

En tant qu’acteur culturel, cela fait partie de notre mission que d’adapter nos actions aux spécificités de chaque territoire. Et c’est passionnant. Le festival Ô 4 vents est un petit bijou. Il est précieux, de fait, par les lieux partenaires. Nous travaillons en proximité et en profondeur dans ce quartier, comme dans les autres, car, si les besoins diffèrent, les richesses des uns peuvent servir aux autres. Nous travaillons sur la mixité des publics parce que, à mon sens, la culture doit être pour tous.

Avec mon équipe (trois permanentes, un service civique et un stagiaire), nous sommes toujours dans la circulation. Notre siège est à Montreuil, mais la mairie du IVe arrondissement met des bureaux à notre disposition et nous bougeons beaucoup, au sein de Paris, notamment dans le Xe arrondissement, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val‑d’Oise. D’ailleurs, je revendique le terme de « nomadisme » et d’« itinérance ». Vous comprendrez notre slogan : « Circulez ! Y’a tout à voir et à faire ! ».

En cette période de profondes mutations, comment évoluent vos métiers, vos pratiques ?

La culture souffre, incontestablement. Tout se resserre, y compris en matière de subventions. Les villes peuvent toujours nous aider dans la mise en réseau, la logistique, la technique, mais le modèle classique de l’association soutenue par les pouvoirs publics se transforme, ce qui soulève effectivement des questions de fond : avec quels moyens continuer ? Avec qui ? Comment ?

Il nous faut même réinventer le mécénat.

Nous devons donc travailler autrement en diversifiant nos sources de financement, en multipliant les coopérations, en échangeant les compétences, en trouvant des synergies, en mutualisant les moyens. Ainsi, cette année le Théâtre du Châtelet nous prête de nombreux équipements techniques. Il nous faut même réinventer le mécénat, auquel Ère de jeu a recours depuis longtemps déjà. Des fondations nous aident, dans plusieurs secteurs (culture, éducation, solidarité, insertion, social), et nous avons lancé une campagne de recherche de fonds via une plateforme de mécénat participatif pour notre projet « Nous irons tous à Avignon », découverte des métiers du spectacle en immersion au Festival. Enfin, nous sommes à présent mûrs pour présenter notre candidature à des prix.

Comment innover au mieux ?

On est tous bousculés, mais il existe des solutions. Il faut se protéger du repli sur soi. D’ailleurs, je passe beaucoup de temps à aller d’une communauté à l’autre pour m’inspirer. En ce qui nous concerne, dans le jargon de la culture, on nous présente comme des médiateurs, car nous travaillons à mettre en place des passerelles. Je dirais même plus : nous sommes des traducteurs de ce nouveau monde, des connecteurs. Partageons aujourd’hui le monde de demain !, telle est notre devise. Et aujourd’hui, nous valorisons aussi bien les artistes que les collectivités territoriales, les entreprises, les publics, les citoyens.

Vous accompagnez ces changements avec les artistes, mais pas seulement alors ?

Les artistes s’impliquent. Ils ne sont pas seulement sur les scènes, mais au plus près des publics ou des acteurs économiques et sociaux. Bref, sur les territoires. C’est une nécessité. Les collectivités sont nos partenaires, mais aussi les entreprises, car elles ont besoin de sens, de créativité, d’humain. De plus, celles-ci ont les moyens.

Pourquoi, alors, ne pas associer aussi les citoyens qui cherchent à donner du sens à leurs actions ? Nous travaillons sur l’engagement, en particulier des jeunes, en développant le bénévolat intelligent. De même, nous sollicitons les parents, en les associant à des projets collaboratifs.

Dans ce système circulaire, nous sommes désormais plusieurs à être des ambassadeurs. Nous formons une communauté dont les membres sont solidaires. Tous travaillent pour le bien commun.

Il faut valoriser tous les métiers.

Si le projet est au centre, les artistes sont parties prenantes, au même titre que les médiateurs, les financeurs, les programmateurs, les publics. Les créateurs apportent le mot, le geste, la pensée. Ce qui n’est pas rien, mais sans les autres, ils n’existent pas ! Il faut valoriser tous les métiers : la chargée de relations avec le public qui va chercher les spectateurs un à un, les techniciens qui travaillent dans l’ombre…

Vous aimez faire bouger les lignes, y compris faire valser les étiquettes habituelles données aux registres des spectacles ?

Déjà, si je n’exclus pas les auteurs jeunesse, ma préférence va au « tout public », plutôt qu’au « jeune public ». Le bon spectacle parle à tous. Joël Pommerat ou Olivier Py, pour citer les plus connus, n’ont-ils pas considérablement changé la donne en la matière ? Leurs œuvres sont intergénérationnelles, ce sur quoi nous travaillons beaucoup dans nos projets. Je passe alors des commandes aux artistes dont les univers me plaisent. C’est le cas de la musicienne Christine Kotschi, qui animera même un atelier alors qu’elle n’a jamais travaillé en direction des enfants.

Après, c’est la qualité artistique qui fait la différence ?

Absolument ! Et il faut donner le meilleur dès le plus jeune âge. 

Propos recueillis par
Léna Martinelli


Ère de jeu

Mundo-M • 47, avenue Pasteur • 93100 Montreuil

Tél. 01 48 51 38 98

Courriel : contact.eredejeu@gmail.com

Site : www.eredejeu.fr

Festival Ô 4 vents

Du 20 au 29 mai 2016

Mairie du IVe arrondissement de Paris, Bibliothèque historique, halle des Blancs-Manteaux, hôtel de Beauvais, hôtel de Lauzun, Studio Micadanses, église Saint-Merri, pavillon de l’Arsenal

Site : www.o4vents.fr

Tarif unique : 8 €, pass famille 6 places : 36 € (sur 2 spectacles minimum)

Ouverture de la billetterie à partir de mai 2016

Pestacles

Du 8 juin au 28 septembre 2016

Espace Delta du Parc floral de Paris • esplanade du Château-de‑Vincennes • 75012 Paris

Site : www.lespestacles.fr

Réservation indispensable pour les lectures et les ateliers (à partir de 5 ans) : 01 48 51 38 98

contact@eredejeu.fr

Parc ouvert de 9 h 30 à 20 heures

Concerts tous les mercredis à 14 h 30

De juin à septembre, ateliers Jardin de 10 heures à 12 heures

En juillet et août, ateliers Jardin de 10 heures à 13 heures

Contes au jardin de 11 h 30 à 12 heures

Après acquittement des droits d’entrée du parc, les concerts et les ateliers sont gratuits.

Tarif journée : 6 € • Tarif réduit (de 7 ans à 26 ans) : 3 € • Gratuit pour les moins de 7 ans, les groupes et les accompagnateurs, demandeurs d’emploi, R.S.A., personnes handicapées, fonctionnaires de la mairie de Paris

Photo : D.R.

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