« Sublimer le cercle »
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
Flamboyant, foisonnant, tonitruant, épatant. « FIQ (Réveille-toi) » nous a effectivement réveillés. Maroussia Diaz Verbèke a relevé le défi de cette mise en scène : mêler la culture populaire et urbaine marocaine à l’art ancestral d’une acrobatie née il y a des siècles dans la région du Souss. Directrice du Groupe Acrobatique de Tanger (GAT), Sanae El Kamouni revient sur cette création, vue au festival Circa.
Vous avez demandé à l’artiste de cirque Maroussia Diaz Verbèke de signer la nouvelle création du GAT. Pourquoi ?
Nous nous sommes rencontrées ici, à Auch. Elle était là pour son spectacle solo Circus Remix, et nous, pour Halka, créé en 2016. Son spectacle m’a intriguée. Puis j’ai vu Le vide- essai de cirque (lire la critique) , qu’elle a co-écrit avec Fragan Gehlker et Alexis Auffray. Lui demander de travailler avec nous est alors devenu une évidence, tant son univers nous plaisait. Le choix de nos metteurs en scène est toujours dicté par un même objectif : apporter une vraie nouveauté à la compagnie. Aurélien Bory, le duo Zimmermann/Pierrot, Abdeliazide Senahdji l’ont fait avant Maroussia. Il en a été de même avec elle. J’étais curieuse d’avoir le regard d’une jeune femme sur notre aventure.
Connaissait-elle votre travail ?
Pas du tout. Ni la culture marocaine, ni la Maroc. Mais elle a accepté l’immersion que je lui ai proposée. Pendant un an, nous avons voyagé partout au Maroc, à la rencontre d’artistes de tout univers : écrivains, plasticiens, circassiens, comédiens ou autres. J’ai récupéré beaucoup d’émissions de radio marocaine pour qu’elle puisse s’y plonger et comprendre notre société.
C’est seulement après cette phase que nous avons commencé à rencontrer des artistes pour le spectacle. Après une première pré-sélection, nous avons organisé une grande audition, avec soixante artistes. Au terme d’une autre sélection, nous avons demandé aux candidats de revenir avec des écrits sur leur questionnement en tant qu’artistes, ce qu’ils tenaient à dire. Les quinze artistes de FIQ (un panel de la scène urbaine d’aujourd’hui : danse, footfreestyle, break, taekwendo, disciplines de cirque traditionnel) ont été choisis sur cette base.
Maroussia avait aussi l’idée d’un DJ old-school. Dj Key, le plus célèbre au Maroc, avait abandonné scratchs et vinyles depuis trois ans pour se tourner vers la réalisation au cinéma. Il a été long à convaincre, mais il est là, sur le plateau, et a composé l’intégralité de la musique.
Un autre artiste est au cœur de cette création : Hassan Hajjaj.
Oui, un merveilleux photographe qui nous a fourni également toute la scénographie. Il n’a pas seulement habillé les artistes, il les a entourés de son univers visuel. Il se sert d’objets ultra simples de la vie marocaine de tous les jours auxquels il ajoute souvent humour et dérision. Qui n’a jamais vu les fameuses caisses rouges sur lesquelles s’assoient les gens, les nappes en plastique, les chaussettes colorées que l’on voit dans les souks ? il utilise tous ces accessoires pour créer le décor de ses photos, qui procèdent ainsi, d’une mise en scène.
Le titre provient de l’une de ses œuvres. Hassan Hajjaj a créé le panneau Stop marocain. Stop, c’est-à-dire, QIF : Arrête-toi ! Il l’a inversé et a trouvé FIQ, qui est l’opposé : réveille-toi ! C’est un jeu de mot intéressant, extrêmement percutant pour le titre d’un spectacle qui veut porter le regard sur la jeunesse marocaine d’aujourd’hui et son envie de bouger les choses.
Quel a été le plus gros défi de cette création ?
Allier le plus finement possible l’acrobatie marocaine traditionnelle au monde moderne d’aujourd’hui. Art populaire séculaire et création contemporaine. Univers numérique, séquences radios, sms, mais aussi pyramides humaines, sauts, roues. Mais si le dosage est déséquilibré, le spectacle est raté. C’est ici précisément que se situe mon travail, sur une crête. Un équilibre à défendre jusqu’au bout, dans chaque étape de création. Les quinze artistes étant issus d’univers très variés, il a fallu également sublimer chacun dans sa spécificité. Maroussia leur a demandé d’écrire leur solo, afin de créer des petites œuvres individuelles dans l’œuvre collective.
Cette acrobatie traditionnelle, que vous défendez depuis la création du GAT en 2003, quelle est-elle ?
C’est un art ancestral remontant au XVe siècle. Les « sauteurs » et « bâtisseurs de pyramides » appartenaient à la confrérie d’une haute figure spirituelle et politique de l’époque : Sidi Ahmed Ou Moussa, qui a introduit dans le sud du Maroc la voie mystique du soufisme. À cet aspect spirituel s’est ajoutée la dimension guerrière. Les pyramides à six hauteurs d’homme étaient en effet utilisées pour espionner l’ennemi et protéger les caravanes commerciales. La tradition a évolué, pour révéler un art de l’acrobatie, transmis depuis lors de génération en génération par plusieurs familles. C’est le cirque allemand qui, le premier, a repéré les acrobates marocains et les a fait découvrir en Europe. Cercle et rapidité dans le cercle sont les principales caractéristiques de ces exploits qui ont traversé les siècles.
Comment « FIQ » défend-il cette tradition ?
En la regardant un peu autrement. Nous avons questionné les figures classiques. Par exemple, « la fleur », où cinq acrobates sont portés par le même homme. Si nous la regardons bien, c’est une fleur fermée. Nous avons imaginé une fleur ouverte, avec les filles retombant sur le côté. C’est complètement différent. Ou encore, « la tour », construite grâce à une base de porteurs très importante : que se passe-t-il si on enlève un porteur ? curieusement, la tour n’est pas déstabilisée, comme on le montre dans le spectacle. Enfin, l’énorme pyramide de la fin, qu’ils constituent tous les quinze n’existe pas comme telle. Nous avons retravaillé une pyramide existante.
Nous avons également voulu sublimer le cercle. Dans la première scène, Maroussia a imaginé son opposé : la ligne. Les artistes sont sur une ligne de départ et courent. Puis la ligne est déviée vers le cercle : tout s’accélère alors, on retrouve la vitesse d’exécution ancestrale.
Je trouve très intéressant de voir évoluer le répertoire traditionnel en ouvrant le champ des possibles. Je veux enrichir ce patrimoine et l’emmener plus loin encore. Le porter vers un avenir, avec le regard des artistes d’aujourd’hui. ¶
Propos recueillis par
Florence Douroux
FIQ (réveille-toi), du Groupe Acrobatique de Tanger
Circographie, mise en scène : Maroussia Diaz Verbèke
Assistante à la mise en scène : Sanae El Kamouni
Avec : Achraf El Kati, Hassan Taher, Najwa Aarras, Bouchra El Kayouri, Ayoub Maani, Nora Bouhlala, Mohamed Takel, Samir Lâaroussi, Hamsa Naceri, Hammad Benjkiri, Manon Rouillar, Youssef El Machkouri, Tarik Hassani, Zhor Al Amine Demnati, Ilyas Bouchtaoui
Musicien et DJ : Dj Key
Scénographie, accessoires : Hassan Hajjaj
Lumières : Laure Andurand
Son : Joël Abriac
Technique : Marine David
Costume : Bouchra Sahl
Production de l’association Halka (Jean-François Pyka) en coproduction avec l’association Scènes du Maroc
Durée : 1 h 20
Dans le cadre du 33ème Festival CIRCa, à Auch
Salle du Mouzon • 17, rue du Général de Gaulle • 32000 Auch
Du 16 au 19 octobre 2020
Présentation par Sanae EL Kamouni avec agenda de tournée
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