Entretien avec Ugo Dario et Maxim Laurin, compagnie Machine de Cirque, Circa à Auch

Ghost-light © E-Burriel

« Un vrai fantasme d’acrobate ! » 

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

Le duo formé par Ugo Dario et Maxim Laurin, co-fondateurs de la compagnie Machine de Cirque, est une référence incontournable de la bascule. Avec « Ghost Light : entre la chute et l’envol », en création mondiale à Circa, ils signent une œuvre intime, où le clair le dispute à l’obscur. Une virtuosité désarmante au service de leur histoire d’acrobates. Ils racontent.

Tout en jouant « Machine de Cirque », de la compagnie du même nom, vous avez souhaité faire un spectacle à deux autour de votre agrès : la bascule. Pourquoi ?

Nous faisons de la bascule depuis une quinzaine d’années, et presque autant avec notre duo. Nous éprouvions le besoin d’en écrire l’histoire personnelle, à travers notre agrès. La bascule devient le catalyseur de notre épopée personnelle acrobatique. Elle nous permet de raconter, devenant ainsi – plus qu’un appareil –, le troisième personnage indispensable de notre narration. Avec Ghost Light, nous voulions aller le plus loin possible dans une réflexion « Ugo-Maxim-la bascule », comme une exploration que, finalement, nous n’avions jamais menée avec cette intensité. Jouer en collectif n’a rien à voir : le duo s’y dilue un peu, nécessairement. Nous avions envie de retrouver et développer tout ce que nous avions déjà expérimenté à deux, avec nos énergies si différentes mais totalement complémentaires sur scène.

Ghost-light © E-Burriel
© E. Burriel

Deux acrobates autour de la bascule pendant une heure : c’est une première ?

À notre connaissance, oui. Le premier spectacle entièrement tourné vers la bascule, notre première mondiale, et surtout la première fois qu’on utilise une bascule rotative. Nous avons rêvé de casser l’image un peu figée de la bascule habituellement montrée : un appareil vu de profil. Pour changer d’angle de vue du public, il fallait créer une bascule qui tourne et permette des visuels face et trois-quart. Du coup, l’agrès n’est plus du tout le même, le champ des possibles est démultiplié. Nous avons en plus une piste faite de matelas sur lequel nous pouvons nous jeter dans tous les sens. Ce tapis circulaire permet une plus grande flexibilité sur la hauteur des mouvements avec une réception plus sécuritaire. Un vrai fantasme d’acrobate !

Comment vous êtes-vous inspirés de l’histoire de votre duo ?

Nous avons imaginé un décor de théâtre entre fermeture du soir et ouverture, le lendemain. Ces heures où veille, seule, la ghost light (servante), lumière du plateau qui ne s’éteint pas. Pendant tout ce temps, un peu mystérieux, il nous plaît de croire à la superstition qui dit que les fantômes du théâtre entrent en action.

Deux ombres chinoises gigantesque apparaissent en fond de scène : ce sont les fantômes de Maxim et Ugo, qui se retrouvent. Le duo se matérialise et retrouve ses repères. Leur passé resurgit, avec l’arrivée des vestes de couleur, un peu semblables à celles que nous portions au Festival Mondial du Cirque de Demain, avec notre duo Baskultoo (Ugo et Maxim ont remporté la médaille d’or à la 33édition de ce festival). C’est alors que la bascule devient rotative, et que l’univers change. Une ambiance bleutée où nous montrons l’envers du décor : tout ne va pas si bien qu’on ne le pense. Il y a une perte de repère, des mouvements plus décalés.

Suit une scène dite « travail », où l’on veut figurer l’acharnement, la difficulté, le doute, jusqu’au « drame » : l’un des partenaires s’épuise, chute, et disparait du plateau. Nous tenions à évoquer l’importance de la blessure chez l’acrobate, car elle fait partie de notre histoire. L’un de nous deux s’est un jour blessé et l’autre s’est retrouvé seul, essayant, mais en vain, de le remplacer. Vient le moment des retrouvailles, pour un nouveau départ appelé « création ». C’est alors le moment de finir en beauté, car le théâtre va ouvrir, les fantômes doivent débarrasser le plancher.

Retrouve -t-on votre marque de fabrique acrobatique dans « Ghost Light » ?

Oui bien sûr. Mais nous avons mis notre acrobatie au service de la trame, qui a d’abord été écrite entièrement. Ensuite, seulement, nous avons cherché les mouvements pouvant fonctionner avec nos tableaux. L’acrobatie s’est donc intégrée dans nos couleurs. 

Nous sommes encore détenteurs d’un record mondial : 101 saltos enchaînés. Mais notre identité ne se trouve sans doute plus dans la complexité des sauts, car la technique à la bascule a beaucoup évolué, et les jeunes planchistes d’aujourd’hui exécutent des sauts que nous ne faisons pas. On nous connaît pour nos enchaînements de figures à la manière de phrases musicales. On ne fait pas « saut-saut-figure-saut, etc. » ; on fait « figures-figures-figures, etc. ». Cela reste notre défi technique.

Comme on se connaît par cœur, on sait exactement où en est l’autre dans sa trajectoire, on surveille son saut (dans un espace-temps infime) et on enchaîne. Comme tous les planchistes, nous communiquons entre nous par des « next », ou « j’arrive ». Mais ce peut être minimaliste. Au Festival Mondial, nous avions commencé notre numéro les bouches fermées par un sparadrap. Seule la chorégraphie nous indiquait nos points de repère. De façon générale, on se débrouille pour faire la figure décidée. Si la poussée donnée par notre partenaire est un peu juste, on resserre. Mais on essaye d’être constants et on y va. Quand on a programmé un double salto avec triple vrille – ce qu’on appelle une grosse figure –, on ne quitte pas le plateau sans la montrer, fatigue ou pas.

Êtes-vous toujours aussi passionnés par votre agrès ?

Sauter reste un plaisir, car notre complicité artistique chasse toute frustration. La planche génère souvent de la peur auprès du public, mais on a beaucoup de réflexes pour gérer les erreurs et ne pas nous faire mal. Un bon acrobate est capable de tomber.

Et puis, deux personnes debout sur une bascule, c’est une image tellement symbolique ! Compréhension, écoute, équilibre. Comme la justice aux yeux bandés. La bascule prend le bon, le mal, et trouve l’équilibre. Ce qui représente bien notre duo. Et c’est fascinant de voir deux vérités opposées coexistant dans un même espace : pour qu’il y ait envol, il faut une chute. C’est notre propos. 

Propos recueillis par
Florence Douroux


Ghost Light : « entre la chute et l’envol », de la compagnie Machine de Cirque

Co-auteurs, co-metteurs en scène et interprètes : Maxim Laurin et Ugo Dario

Production : Machine de Cirque

Conseillère artistique principale : Nico Lagarde

Musicien et compositeur : Félix Boisvert et Jérôme Guilleaume

Directeur artistique : Vincent Dubé

Concepteur des éclairages : Bruno Matte

Conceptrice des costumes : Camille Thibault-Bédard

Conseillers artistiques : Brigitte Poupart, Harold Rhéaume, Shana Caroll, Howard Richard 

Scénographe : Maxim Laurin et Ugo Dario

Directeurs techniques : Patrick Paquet et Antoine Protat

Durée : 1 heure

Dans le cadre de CIRCa, 33ème festival du cirque actuel

Salle du Mouzon• 17, rue du Général-de-Gaulle • 32000 Auch

Le 16 octobre 2020 à 20 h 30, le 17 octobre 2020 à 19 heures

À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Entretien avec Stéphanie Bulteau, directrice de CIRCa, propos recueillis par Forence Douroux

☛ Hauts plateaux, de Mathurin Bolze, critique de LénaMartinelli

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