Entretien, Véronique Bellegarde, metteure en scène, directrice, La Mousson d’été 2023

Veronique-Bellegarde © Philippe-Delacroix

« J’ai le goût de la rencontre, de l’inconnu, des échos du monde »

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Des yeux ouverts sur les horizons infinis des écritures, des mains qui volètent pour nous faire saisir l’invisible et le sensible, Véronique Bellegarde est à l’image de cette Mousson d’été qu’elle dirige. Elle nous ouvre avec générosité les beaux horizons de l’édition 2023.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

J’ai grandi dans un milieu où l’on aimait l’art contemporain, mon père était peintre. Je me dirigeais plutôt vers les arts plastiques, mais j’ai commencé le théâtre et le travail de mise en scène m’a paru plus complet. C’est le goût des écritures contemporaines, la rencontre avec les auteurs vivants qui m’ont donné envie de passer à la mise en scène, alors que j’étais comédienne.

J’aime dialoguer avec les auteurs vivants, être dans ce qui s’écrit et met des mots sur notre monde. Associée au début de mon parcours à la Ferme du Buisson, j’ai développé un intérêt pour le nouveau cirque et sa dimension onirique, de même que les croisements artistiques entre la scène et d’autres arts comme la photographie.

Votre travail, comme les Moussons d’été, est marqué par l’ouverture au monde. Comment cela s’explique-t-il ?

La Mousson d’été m’a ouverte à une dimension internationale. Ma curiosité, par ailleurs, m’invite aux écritures étrangères. J’aime notamment le réalisme magique latino-américain ou la façon que le théâtre anglo-saxon a de mettre en jeu le réel. Et puis, il y a déjà des lieux spécifiquement dédiés à la découverte des textes français : la dimension internationale est l’ADN de la Mousson.

Comment s’accorde cet intérêt pour les textes et votre goût pour la musique ?

Un jour, on m’a fait une commande pour Jazz à la Villette à la Cité de la musique et on m’a mise en contact avec le jazzman Médéric Collignon. Ça a été une rencontre extraordinaire. On a créé un cabaret musical, puis un spectacle autour de lui et de l’apprentissage de la trompette sur un très beau texte de David Lescot : L’Instrument à pression. La musique est un langage scénique qui permet de travailler la voix, le rythme, le corps. C’est aussi un paysage mental qui peut mettre en perspective un texte.

« Aller à l’os des textes »

Quelle place est accordée à la lecture à la Mousson ?

Ce sont des lectures mise en espace. Tout en dépliant le texte dans l’espace, en le mettant en jeu, texte en main, il s’agit de faire entendre le potentiel d’une œuvre, de garder ses multiplicités de sens ouverts.

Mais alors les metteurs en scène ont-ils encore une place ?

Avec les acteurs et actrices, nous cherchons à mettre en lumière la mécanique de la pièce, la vibration de sa langue, le sous texte. Nous offrons un temps de répétitions aux metteurs et metteuses qui leur permet de réaliser une esquisse. Le passage au plateau devant un public est révélateur et permet de mesurer en direct la profondeur des œuvres.

À la Mousson, on peut se frotter à des textes qu’on ne monterait pas pour des questions d’univers ou d’économie. Les metteurs et metteuses en scène peuvent faire des rencontres inattendues, découvrir un texte qu’il ou elle produiront par la suite.

© Éric Didym

Qu’est-ce que cela change de passer à la direction de la Mousson ?

Je dirigeais depuis un moment le comité de lecture et je travaillais déjà sur les distributions, les mises en espace. J’ai simplement accéléré le rythme des comités de lecture, mis en place des partenariats qui se déploient sur l’année. C’est un peu comme une permanence artistique qui se met en place

Je peux citer l’Espace Bernard-Marie Koltès de Metz, le NEST de Thionville pour les chantiers d’automne où on creuse les pistes esquissées, des textes en devenir. On a encore un nouveau partenariat avec Le Rideau de Bruxelles, la Comédie de Reims, l’ENSATT ou avec le Théâtre des Îlets de Montluçon. Carole Thibaut va d’ailleurs monter un texte de Magne van Den Berg qu’elle a découvert à la Mousson.

On fait bouger les formats de proposition des textes. On commence aussi à associer d’autres arts : la photographie, la danse. Mais je crois à la continuité : celle de l’université d’été conduite par Jean-Pierre Ryngaert, de la dimension internationale, des partenariats avec France Culture, d’Artcena, la Maison Antoine Vitez… La Mousson d’été doit être un centre pérenne des écritures du Grand Est.

« Les parfums divers » de l’été

Quelles seront les parfums de la Mousson d’été 2023 ?

Il y a plusieurs parfums liés à la variété des pays d’origine des auteurs : l’Argentine, La Norvège, Le Canada, l’Europe du sud, Hong-Kong, Cameroun… D’ailleurs, nous mettons à l’honneur les écritures argentines dans le cadre du dispositif Tintas frescas.

Globalement, on a eu des coups de cœur pour des fictions fortes avec un souffle poétique, une langue puissante, comme Fendre les lacs, de Steve Gagnon, un texte bouleversant qui parle de l’isolement, de l’arrachement à la nature, avec une écriture charnelle, imagée et sensible.

Chacun pour un, deux pour tous,d’Edouard Elvis Bvouma, autour d’un échange entre Jean Moulin et un tirailleur sénégalais, nous a aussi impressionnés sur ce point.

Quant à Ceci n’est pas nous, de la norvégienne Monika Isakstuen, aux dialogues économes et propices à l’imaginaire, il a une poétique quasi métaphysique. Le principal parfum est celui de l’altérité.

© Éric Didym

Et au niveau des thématiques ?

Un certain nombre de textes dépeignent la vie contemporaine : ainsi, Le Poisson rouge de Berlin, de Pat To Yan, évoque-t-il avec une grande délicatesse ces amours qui se vivent par-delà les frontières grâce aux nouvelles technologies. Nuit blanche, de Tatjana Motta, confronte le tourisme au périple de migrants. Quant à Pauline Sauveur, elle parle d’un autre voyage dans Presqu’îl-e : celui de la transition de genre grâce à un dialogue intérieur entre « il » et « elle ». C’est un texte sur la liberté d’être ce qu’on veut. Là aussi, on retrouve donc une réflexion sur l’autre. Aurora travaille, de Mariana de la Mata, pose, lui, la question du patriarcat dans le travail et de la misère sociale.

Il y a aussi un texte du nouveau directeur du festival d’Avignon : Tiago Rodrigues ?

Oui, Trois doigts au-dessus du genou, traduit récemment par Thomas Resendes, est un montage très intéressant sur la censure. On y voit que le théâtre au Portugal était considéré durant la dictature comme dangereux en raison de son ambiguïté, de la liberté d’interprétation des acteurs, de son emprise sur le vivant. La pièce nous permet de réfléchir aux lectures sensibles, à la question de l’appropriation culturelle.

« Parler des textes jusqu’au bout de la nuit »

Et en plus de toutes ces belles lectures, quel sera le programme ?

Côté spectacle, on retrouvera Jacques Bonnaffé qui a fait, l’an passé, une tournée dans le département et a su embarquer le public avec un spectacle érudit, poétique et en même temps populaire. Il revient dans les salles des fêtes avec L’Oral et hardi et un cabaret de rue imaginé pour La Mousson : Faut qu’ ça va ! On aura aussi Des Filles sages, de Lucie Brandsma et Mélissa Irma, une comédie qui traite avec une grande acuité de la question du consentement.

Dans le cadre del’université d’été, étudiants, enseignants, médiateurs et professionnels explorent les mêmes textes que les comédiens. Ses participants assistent aux lectures et des échanges sont ensuite organisés. Il y en aura notamment avec Steve Gagnon, Edouard Elvis Bvouma, Laurent Gallardo, le traducteur de Cet Air infini de Lluïsa Cunillé, et autour du texte de Tiago Rodrigues.

On peut encore se restaurer, danser, assister à de petites formes festives, lire le petit journal Temporairement contemporain édité tous les jours, vagabonder dans la si belle abbaye des Prémontrés et son jardin. On est plongé dans un petit monde, un laboratoire où on peut parler des textes jusqu’au bout de la nuit. 🔴

Propos recueillis par
Laura Plas


La Mousson d’été

Site de l’évènement
Du 24 au 30 août 2023
Lieu des lectures :
Abbaye des Prémontrés • 9, rue Saint-Martin • 54700 Pont-à-Mousson
Lieux des spectacles :
Espace Montrichard • Chemin de Montrichard • 54700 Pont-à-Mousson
Centre culturel Pablo Picasso • Square Jean-Jaurès • 54700 Blénod-lès-Pont-à-Mousson
Entrée libre pour les lectures
De 8 € à 11 € pour les spectacles
Réservations : 03 83 81 20 22 et par mail

À découvrir sur Les Trois Coups :
La Mousson d’été 2016, par Corinne François-Denève

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