« Esquif », Anaïs Allais Benbouali, Cie La Grange aux belles, Théâtre National de La Colline, Paris

Esquif-Anaïs-Allais-Benouali © Christophe Raynaud de Lage

Sauvetages en imagimer

Laura Plas
Les Trois Coups

Léger et modeste, Esquif, d’Anaïs Allais Benbouali nous embarque pour une odyssée visuelle et auditive qui nous fait entendre les confidences de la Méditerranée et de ceux qui l’ont parcourue pour atteindre une vie meilleure. Un petit spectacle délicat sur un sujet compliqué.

Quand la terre gronde, quand les catastrophes poussent sur les mers des êtres humains qui meurent d’avoir seulement rêvé d’une vie meilleure (la nôtre), qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on dit à ses enfants ? Il y a sans doute des jours où on préfère poser les paumes sur leurs petites oreilles, mais il y a heureusement aussi ceux où on leur rêve des lendemains solidaires.

Esquif (à fleur d’eau) est écrit sur la ligne de crête de ces espoirs et de ces inquiétudes. C’est un court spectacle, léger dans sa facture même, souvent doux et toujours sensible. Il a été conçu à hauteur d’enfants entre six et treize ans. Au-delà, en terre d’adolescence, d’autres récits plus concrets seront sans doute plus adaptés.

Dans le scaphandre de l’imaginaire

Tout de suite, d’ailleurs, on nous annonce la couleur. Ceux qui sont définitivement rentrés dans le territoire navrant et desséché de l’« adulterie » auront du mal à embarquer, car les ailes de leur imagination ont  été rognées. Le spectacle s’adresse donc à ceux qui savent encore entendre les mots des animaux, comme des défunts. Il esquisse un territoire invisible à la « raison ». À un moment, nous serons même invités, derrière des paupières de tissu, à une plongée dans un territoire inconnu.

Pour découvrir ce domaine sous-marin, nous sommes guidés par deux conteuses bottées comme des matelotes. Elles ont l’air d’adultes comme on en croise tous les jours, mais il ne faut pas s’y tromper. La première, avec son violoncelle arrondi comme une coque de bateau, incarne justement un navire ambulance : l’Océan Viking qui a été affrété par l’association SOS Méditerranée. D’ailleurs, le hall du théâtre avec son gouvernail, ses bidons d’eau, ses livres pour enfants et ses gilets de sauvetage, nous a préparés à l’embarquement.

Quand l’espoir renaît en chants

Amandine Dolé, belle au bois vivant, est non seulement une bonne conteuse, mais aussi une instrumentiste. Car il est des choses que les mots ne sauraient dire et la musique est la plus juste manière de rendre compte du retour à la vie des naufragés. À ce titre, on se souviendra longtemps du chant enregistré à la gloire de l’Océan Viking et qu’entonnent des femmes sauvées des eaux.

Le charme de la proposition tient beaucoup à la qualité de cette interprète et à la place de la musique. Si on est un peu moins convaincue par le jeu d’Anaïs Allais Benbouali (la deuxième conteuse) et par son écriture, on ne saurait nier qu’elle est adaptée à un jeune public et qu’elle déploie une forme de poésie candide. Nous rencontrons ainsi des pieuvres bavardes, des animaux prénommés et caractérisés.

Le propos n’est pas explicitement politique, plutôt humaniste. La prosopopée de la mer, qu’incarne justement Anaïs Allais Benbouali, reste douce. Les mots des morts sont sans rancune. Adama, Naim, Khadija, Maïmouna se demandent simplement ce qu’ils ont fait de si terrible pour qu’on les laisse « au bord de leur vie ». Ils se mettent à rêver que d’autres, plus chanceux, pourront eux devenir instituteurs, médecins, artistes.

Esquif rend ainsi leurs noms et leurs mots à ces disparus et les grave en nos cœurs. Il est une stèle sensible. C’est peut-être pour cela qu’il se veut si léger dans sa forme, dans son écriture : l’essentiel est ailleurs.

Laura Plas


Esquif (à fleur d’eau), d’Anaïs Allais Benbouali

Le texte est édité aux Éditions Koïné
Cie La Grange aux Belles
Texte et mise en scène : Anaïs Allais Benbouali
Avec : Anaïs Allais Benbouali et Amandine Dolé
Durée : 50 minutes
Dès 8 ans

Théâtre National de La Colline • 15, rue Malte Brun • 75020 Paris
Du 4 au 22 décembre 2024, du mercredi au dimanche (sauf le dimanche 8 décembre), à 14 h 30, mercredi, vendredi et samedi à 20 heures
De 8 € à 33 €
Réservations : 01 44 62 52 52 ou en ligne

Tournée ici :
• Du 5 au 7 février 2025, dans la Communauté de Communes d’Erdre et Gesvres (44)
• Du 24 au 28 février, ZEF, à Marseille (13)
• Du 17 au 22 mars, Théâtre de Sartrouville, CDN (78)
• Du 28 au 30 avril, Le Quai, CDN d’Angers et des Pays de La Loire (49)

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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