David Arribe, entre rêve et réalité
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Quand il ne crève pas l’écran, David Arribe brûle les planches. Entre deux rôles, rencontre avec un acteur exceptionnel.
Il est là ! C’est un début de soirée d’hiver, ce moment où le trac commence à le gagner quand il foule les plateaux de théâtre. Ce soir, relâche. Il répète le prochain spectacle, Face à face, créé aux Plateaux Sauvages et repris au Théâtre de l’Atelier jusqu’au 24 février.
Dans cette adaptation du scénario d’Ingmar Bergman par Léonard Matton, Jenny, une psychiatre comblée en apparence, tombe dans la dépression. À travers ses rêves et ses cauchemars, celle-ci va se livrer à sa propre analyse, telle une enquêtrice sur la piste de son trauma enfoui le plus intime.
Pour l’accompagner dans son face-à-face, Thomas, une rencontre d’un soir, est en retrait. Dans cette affaire ultra-sensible, David Arribe tempère son jeu pour contenir le flot d’émotions de ce personnage plein de mystère, dont on apprend qu’il a survécu, lui aussi, à une tentative de suicide. Il nous conduit loin des rivages conventionnels, tandis que sa partenaire, Emmanuelle Bercot, exprime haut et fort sa souffrance.
S’il est doux comme un agneau, on devine toutefois quels démons intérieurs Thomas a dû combattre : « C’est une nouvelle expérience passionnante car Bergman ouvre à tous les possibles. Il explore l’infiniment petit en découpant l’âme au scalpel. Or, l’intime confine à l’universel », précise David Arribe. Cette création met bien en avant l’immédiateté du jeu des acteurs, entre rêve et réalité.
Intensité poétique
Cette pudeur, David ne l’a pas tout le temps. Tout dépend évidemment du personnage ! Mais il aime le trouble. Laisser planer le mystère. Quel que soit le rôle, il met en jeu cet abîme. Toujours sur le fil du rasoir, il alterne force et fragilité, entre ombre et lumière.
David Arribe fait beaucoup de théâtre mais il a endossé son premier grand rôle au cinéma. Dans Mes Frères, de Bertrand Guerry, il incarne Rocco, qui a connu son heure de gloire sur la scène du rock indé. On le retrouve dix ans plus tard sur une île, défilant en tête de la fanfare locale, toujours aux côtés de son frère. Au-delà de la maladie incurable de Rocco, un secret les lie. Un soir, leur sœur Lola réapparaît dans leur vie. Des souffrances humaines ont brisé les cœurs, meurtri les corps et enfoui la parole, mais la joie va renaître de la fraternité.
RécompenseS
Encore une fois, il est question de vie et de mort, dans ce film très lumineux. Et David Arribe est là, face à moi, fou de joie car auréolé de nouveaux prix. En effet, il vient d’apprendre que le Festival international du film de Bruxelles lui a remis le Prix du meilleur acteur 2018. Il croit rêver. Pourtant, le rôle de Rocco lui a valu une autre récompense : Prix d’interprétation au Richmond International Film Festival (États-Unis).
Il faut dire que sa prestation est époustouflante. Juste, sensible, David nous fait très bien partager ses sentiments : la frustration, l’abattement, la colère ou le rire du désespoir, mais sans pathos ni victimisation. Il ne cherche effectivement pas à sauver son personnage, nous le rendant parfois antipathique. De la force de la nature au paralysé, de la « grande gueule » à l’homme meurtri, l’acteur impressionne par sa palette de jeu. Il est convaincant du début à la fin, subtil dans ses paradoxes.
« Il y a un avant et un après Rocco »
Une vraie reconnaissance, aujourd’hui, même si ce ne sont pas les premières. En effet, il a aussi été remarqué pour son interprétation dans Invisibles, écrit et mis en scène par Nasser Djemaï (Nouveau talent théâtre 2014 au Prix SACD et trois nominations aux Molières en 2014).
Mais quel est donc son parcours ? Après des études théâtrales à l’université Paris VIII, il a été formé à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (l’École de la rue Blanche) comme comédien. Il a travaillé sous la direction, entre autres, de Redjep Mitrovitsa, François Rancillac, Alain Ollivier, Andrzej Seweryn. De grands metteurs en scène et certains moins connus, aussi, car David aime participer à des projets collectifs. Il apprécie les aventures au long cours qui font grandir ensemble : « Mes Frères m’a occupé cinq ans. La Trilogie d’Alexandre dix ans. Peut-être que l’exploration de l’univers de Bergman m’accaparera aussi longtemps ? ».
Flamme intérieure
Sa carrière répond à des coups de cœur. Sa générosité s’exprime aussi dans sa façon d’aborder les rôles. Le comédien se glisse aisément dans la peau de ses personnages mais il se documente beaucoup. Ainsi, pour Rocco, il est allé à la rencontre de malades et il perdu 15 kilos. Tordu par la maladie de l’homme de pierre, sa métamorphose physique est impressionnante et il a su donner de l’épaisseur au personnage. Son engagement est total et chaque expérience le transforme en profondeur : « Il y a un avant et un après Rocco ! Aujourd’hui, je ne suis plus le même acteur ni le même homme ».
Déjà en 2017, David, seul sur scène, faisait vibrer le public dans Vivre, provoquant des vagues d’émotions, jouant un personnage qui redonne foi en l’humanité, projetant la lumière sur un sujet d’actualité sombre : le terrorisme. Peut-on expliquer ce don par une sorte de flamme intérieure ? Et si c’était la grâce…
Vivre est le troisième volet de La Trilogie d’Alexandre, écrite et mise en scène par Hugo Paviot, fondateur de la compagnie Les Piqueurs de Glingues. Celui-ci nous relate comment la grande Histoire peut influer, par ses traumas, sur le destin d’une famille et se répercuter sur les générations suivantes. Depuis 2012, David incarne le personnage central dans les trois pièces. Dans la dernière, Alexandre échappe de peu à un attentat suicide dans un pays du Moyen-Orient. Il s’obstine alors à retrouver la fillette qui a failli appuyer sur la ceinture explosive.
Entre deux rôles
Le comédien aime évoquer ses personnages : « Un rôle ne se choisit pas. Il vient à vous. Et il n’y a pas de hasard. Il arrive au bon moment. Par exemple, le rôle de Rocco a répondu à une nécessité impérieuse, pas narcissique, plutôt celle de me remettre en question et de me faire avancer en tant qu’être humain ».
Il parlerait pendant des heures et on l’écouterait volontiers. Il s’excuse. S’abrite derrière Michel Bouquet, Jeanne Moreau, pour d’exquises citations. Mais on préfère consigner ses propres mots. Car non seulement c’est un grand acteur mais il écrit.
Sa dernière pièce date de 2014. Il a participé à un projet d’écriture collective dont le texte final, En haut !, est publié aux éditions Lansman. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, on lui souhaite donc d’autres beaux rôles, à la hauteur de son talent. ¶
Léna Martinelli
Face à face, d’après Ingmar Bergman
Mise en scène : Léonard Matton
Avec : Emmanuelle Bercot, Philippe Dormoy, Thomas Gendronneau, Lilith Grasmug, Nathalie Kousnetzof, Évelyne Istria
Assistant à la mise en scène : Camille Delpech
Scénographie et lumières : Yves Collet
Composition musiques : Claire Mahieux
Composition piano : Jules Matton
Création costumes : Raoul Fernandez
Conseil artistique : Roch-Antoine Albaladéjo
Durée : 2 h 10
Théâtre de l’Atelier • 1, place Charles Dullin • 75018 Paris
Du 16 janvier au 24 février 2019, du mardi au samedi à 21 heures, le dimanche à 15 heures
De 10 € à 40 €
Réservations : 01 46 06 49 24 et en ligne
Tournée :
- Le 16 mars au Théâtre municipal de Sens
- Le 2 avril à l’Espace Legendre, à Compiègne
- Le 9 avril à la M.C.N.A., Maison de la Culture de Nevers Agglomération
- Le 11 avril au Théâtre d’Auxerre
Une réponse
Bel Article, et très juste …